Juillet 2023

La réforme des retraites portée par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale[1] pour 2023, tient compte des conditions de travail des seniors et notamment de ceux qui sont exposés à des facteurs de risque professionnel. Dans ce cadre, plusieurs dispositifs de reconversion professionnelle sont prévus par la loi. A noter que les conditions d’emploi des seniors restent d’actualité, contrepartie inévitable au report de l’âge de départ à la retraite.

Les postes de travail exposent, plus ou moins, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels. En conséquence, si l’usure professionnelle concerne tous les salariés d’une entreprise, son ampleur et ses impacts vont dépendre du poste occupé et de l’exposition aux risques. Pour rappel, l’employeur a un devoir de vigilance et doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale et physique de ses salariés[2].  

Aussi, la loi portant réforme des retraites prévoit la mise en place d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle permettant ainsi de financer les différentes mesures introduites par la loi dans ce domaine.  

Elle adapte également l’utilisation du projet de transition professionnelle et du C2P pour effectuer une reconversion professionnelle en vue d’aboutir à un emploi moins exposé aux risques professionnels.

Rappel : les facteurs de risque professionnel

Le code du travail liste 10 facteurs de risques professionnels[3]:

Au titre des contraintes physiques marquées :

a) Manutentions manuelles de charges ;

b) Postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ;

c) Vibrations mécaniques ;

Au titre d’un environnement physique agressif :

a) Agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ;

b) Activités exercées en milieu hyperbare ;

c) Températures extrêmes ;

d) Bruit ;

Au titre d’un certain rythme de travail :

a) Travail de nuit[4] ;

b) Travail en équipes successives alternantes ;

c) Travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l'exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.

Les facteurs de risque au titre des contraintes physiques marquées, ainsi que le risque chimique sont exclus du Compte professionnel de prévention (C2P).

Les 6 autres facteurs de risques professionnels sont évalués et déclarés chaque année par les employeurs concernés, dès lors qu’au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées en moyenne sur l'année, les seuils d’exposition sont dépassés.

Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle

Depuis 2017, les facteurs de risques liés aux contraintes physiques marquées (ou risques ergonomiques) et le risque chimique sont exclus du C2P car jugés trop complexes à évaluer.

Actuellement, lorsque le salarié est exposé à l’un ou plusieurs de ces 4 facteurs de risques professionnels, exclus du C2P, s’il est victime d’une maladie professionnelle consécutive à l’un de ces 4 facteurs, alors ce salarié bénéficie d’une procédure allégée pour bénéficier d’un départ à la retraite anticipé pour incapacité permanente d’origine professionnelle[5]. Toutefois cette prise en charge n’intervient après coup et n’est pas une action préventive. Aussi, pour les risques ergonomiques, la loi portant réforme des retraites prévoit des mesures de prévention pour les salariés concernés.

Ainsi, est créé, au sein de la Caisse nationale de l'assurance maladie, un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle[6] placé auprès de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le montant de la dotation au fonds par la branche Accidents du travail et maladies professionnelles du régime général sera fixé chaque année par arrêté (à paraître).

Le fonds a pour mission de participer au financement par les employeurs d'actions de sensibilisation et de prévention, d'actions de formation pouvant être délivrées dans le cadre du CPF[7] et d'actions de reconversion et de prévention de la désinsertion professionnelle à destination des salariés particulièrement exposés aux 3 facteurs de risques professionnels liés aux contraintes physiques marquées (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques).

Les orientations du fonds, définis par la commission AT-MP[8] après avis de la formation compétente du Conseil d'orientation des conditions de travail, reposeront sur une cartographie des métiers et des activités particulièrement exposés aux facteurs de risques ergonomiques.

En effet, selon la loi, les branches professionnelles ont deux mois suivant la promulgation de la loi, pour engager une négociation en vue d'aboutir à l'établissement des listes de métiers ou d'activités particulièrement exposés à ces 3 facteurs de risques ergonomiques.

Pour les secteurs qui ne seraient pas couverts par une des listes établies par les branches professionnelles, c’est la commission AT-MP de la CNAM qui sera chargée d’établir la liste de ces métiers ou activités, en se fondant sur les données disponibles relatives à la sinistralité et aux expositions professionnelles. La commission peut, dans ce cadre, être assistée d'un comité d'experts, dont le fonctionnement et la composition seront définis par décret (à paraître).

Concrètement, le fonds peut financer :

  • Des entreprises, notamment celles identifiées par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, en vue de soutenir leurs démarches de prévention des effets de l'exposition aux risques ergonomiques et leurs actions de formation en faveur des salariés exposés à ces facteurs ;
  • Des organismes de branche[9] ayant conclu une convention avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (par exemple l’OPPBTP pour le bâtiment et les travaux publics). Ces organismes de branche peuvent faire appel à des organismes nationaux de prévention des risques professionnels ;
  • Les projets de transition professionnelle par l’intermédiaire de France compétences, institution nationale qui répartit la dotation ainsi reçue entre les commissions paritaires interprofessionnelles régionales (ou ATpro : Association de transition professionnelle).

Le fonctionnement de ce fonds, les conditions de sa participation au financement des actions, les modalités d'identification des métiers et des activités exposant aux facteurs de risques ergonomiques ainsi que les modalités de gestion et d'affectation de ses ressources seront précisés par décret en Conseil d'Etat à paraître.

Le projet de transition professionnelle

Pour les salariés exposés aux 3 facteurs de risques ergonomiques, la loi crée un dispositif de reconversion professionnelle. Il s’agit d’une modalité particulière d’utilisation du « Projet de transition professionnelle » ou « CPF de transition professionnelle ».

Pour rappel, tout salarié peut mobiliser les droits inscrits sur son compte personnel de formation afin que celui-ci contribue au financement d'une action de formation certifiante, destinée à lui permettre de changer de métier ou de profession dans le cadre d'un projet de transition professionnelle. Il bénéficie d'un positionnement préalable au suivi de l'action de formation afin d'identifier ses acquis professionnels permettant d'adapter la durée du parcours de formation proposé. Il bénéficie d'un congé spécifique lorsqu'il suit cette action de formation en tout ou partie durant son temps de travail[10].

Pour les salariés exposés aux facteurs de risques ergonomiques, le projet de transition professionnelle peut aussi être financé via la dotation versée par France compétences aux commissions paritaires interprofessionnelles régionales (ou ATPro). Toutefois pour ces salariés, il s’agit d'un financement dédié, via le Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, en vue de permettre au salarié d'accéder à un emploi non exposé aux facteurs de risques professionnels (soit les 10 facteurs de risque cités plus haut et pas seulement les facteurs de risques ergonomiques). A noter qu’il convient de remplir une condition : le projet de transition professionnelle du salarié devra faire l'objet d'un cofinancement assuré par son employeur, dans des conditions qui seront fixées par décret à paraître [11].

Dans le cas classique, pour bénéficier d'un projet de transition professionnelle, le salarié doit justifier d'une ancienneté minimale en qualité de salarié[12] :

  • 24 mois en tant que salarié dont 12 dans l’entreprise (Condition requise pour les salariés en CDI),
  • Ou 24 mois en tant que salarié au cours des 5 dernières années dont 4 en CDD au cours des 12 derniers mois (Condition requise pour les CDD),
  • Sauf exception : en effet, la condition d'ancienneté n'est pas exigée dans un certain nombre de cas :
    • Pour le salarié bénéficiant de l’OETH[13] ,
    • Pour le salarié qui a changé d'emploi à la suite d'un licenciement pour motif économique ou pour inaptitude et qui n'a pas suivi d’action de formation entre son licenciement et son réemploi,
    • Pour le salarié ayant connu, dans les 24 mois ayant précédé sa demande de projet de transition professionnelle, soit une absence au travail résultant d'une maladie professionnelle, soit une absence au travail supérieure à une durée d’au moins 6 mois, consécutifs ou non, résultant d'un accident du travail, d'une maladie ou d'un accident non professionnel.

La loi complète ces conditions et précise que pour bénéficier du projet de transition professionnelle dans le cadre des interventions du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, le salarié doit justifier d'une durée minimale d'activité professionnelle dans un métier concerné par les facteurs de risques ergonomiques. Cette durée minimale d'activité, qui sera déterminée par décret à paraître, n'est pas exigée pour le salarié bénéficiaire du statut[14] OETH.

Utilisation du C2P pour une reconversion professionnelle

Pour un salarié qui est exposé aux 6 facteurs de risque professionnel du C2P, et qui a accumulé des points dans le cadre de son compte professionnel de prévention, il peut les utiliser pour[15] :

  • Se former en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé aux facteurs de risques professionnels ;
  • Réduire son temps de travail en bénéficiant d’un complément de rémunération ;
  • Financer une majoration de durée d’assurance vieillesse et d’un départ en retraite avant l’âge légal de départ en retraite de droit commun.

La loi portant réforme des retraites, rajoute une quatrième possibilité :

Le C2P pourra également être utilisé pour financer un projet de reconversion professionnelle et accéder à un emploi non exposé ou moins exposé aux facteurs de risques professionnels. Ainsi le bénéficiaire pourra mobiliser ses points pour financer des frais afférents à une ou plusieurs actions de formation, de bilan de compétences ou de validation des acquis de l’expérience[16] dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle.

Concrètement les points du C2P seront convertis en euros pour abonder le compte personnel de formation (CPF) afin de financer les coûts pédagogiques afférents à son projet de reconversion professionnelle[17].

En cas d’actions de formation devant être suivies en tout ou partie pendant le temps de travail, les salariés disposant d’un C2P pourront demander un congé de reconversion professionnelle à leur employeur, dans des conditions qui seront précisées par décret à paraître [18]. Dans ce cas, la mobilisation des points permet de financer la rémunération pendant le congé de conversion. Les points du C2P sont alors convertis en euros[19].

La demande d’utilisation des points pour un projet de reconversion professionnelle peut intervenir à tout moment de la carrière du titulaire du compte[20].

Le projet de reconversion professionnelle fera l'objet d'un accompagnement par les Opco[21] qui sera financé par France compétences au titre du conseil en évolution professionnelle. Cet opérateur informe et oriente le salarié et l'aide à formaliser son projet[22].

Les commissions paritaires interprofessionnelles régionales, (ou ATPro) assureront l'instruction et la prise en charge administrative et financière des projets de reconversion professionnelle, dans des conditions fixées par décret à paraître[23].

Enfin, la durée du congé de reconversion professionnelle est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté. Le salarié conserve le bénéfice de tous les avantages qu'il avait acquis avant le début du congé[24].

Muriel Besnard

Consultant Juridique

 

[1] Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 – Journal Officiel du 15 avril 2023

[2] Articles L. 4121-1 à L. 4121-3 du Code du travail

[3] Article L. 4161-1 du Code du travail

[4] Dans les conditions fixées aux articles L. 3122-2 à L. 3122-5 du Code du travail

[5] Article L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale modifié et article L. 732-18-3 du code rural et de la pêche maritime)

[6] Article L. 221-1-5 du Code de la sécurité sociale

[7] CPF = Compte personnel de formation

[8][8][8] Commission Accident du Travail et Maladie Professionnelle de la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) mentionnée à l’article L. 221-5 du Code de la sécurité sociale

[9] Ceux mentionnés à l’article L. 4643-1 du Code du travail

[10] Article L. 6323-17-1 du Code du travail

[11] Article L. 6323-17-1 nouveau du Code du travail

[12] Articles L. 6323-17-2 et D. 6323-9 du Code du travail

[13] OETH = Obligation d’emploi des travailleurs handicapés (Article L. 5212-13 du Code du travail)

[14] Statut mentionné à l’article L. 5212-13 du Code du travail

[15] Article L. 4163-7 modifié du Code du travail

[16] Il s’agit des actions de formation énumérées du 1° au 3° de l’article L. 6313-1 du Code du travail.

[17] Article L. 4163-8-1 du Code du travail nouveau)

[18] Article L. 4163-8-4 nouveau du Code du travail

[19] Articles L. 4163-7 et L. 4163-8-1 nouveau du Code du travail

[20] Article L. 4163-7 du Code du travail

[21] Opco : Opérateur de compétences, institution mentionnée à l’article L. 6123—5 du Code du travail

[22] Article L. 4163-8-2 nouveau du Code du travail

[23] Article L. 4163-8-3 du Code du travail

[24] Article L. 4163-8-5 nouveau du Code du travail