2020 et 2021 furent des années mouvementées pour les régimes de protection sociale complémentaire :
- L’ampleur de l’activité partielle pendant la période Covid a conduit la Direction de la Sécurité sociale (DSS) à modifier les règles applicables à ces régimes pour prévoir le maintien des garanties pendant les périodes de suspension du contrat de travail[1].
- La fusion du régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco au 1er janvier 2019 a conduit à la publication d’un décret pour adapter les critères définissant les catégories dites objectives de salariés pour le bénéfice de la protection sociale complémentaire[2].
Retour sur ces deux éléments dont la période de tolérance de mise en conformité des régimes d’entreprise pour les employeurs s’achève au 31 décembre 2024.
Avant d’entrer dans le détail de chacune de ces mesures, il convient de rappeler qu’un régime de protection sociale complémentaire d’entreprise (garanties « frais de santé », prévoyance, retraite supplémentaire) bénéficie d’un régime social et fiscal de faveur dès lors qu’il remplit plusieurs conditions, dont notamment le fait d’avoir un caractère obligatoire et collectif[3].
Pour avoir un caractère collectif, le régime de protection sociale complémentaire doit couvrir[4] :
- Soit l’ensemble des salariés,
- Soit une ou plusieurs catégories de salariés, à condition dans ce cas, que les catégories retenues permettent de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées.
Pour avoir un caractère obligatoire, l’adhésion au régime doit être inévitable pour tous les salariés ou pour ceux entrant dans le champ de la catégorie de personnel couverte[5], étant précisé que ce principe s’entend sous réserve de l’éventuelle condition d’ancienneté prévue pour l’accès au régime (impliquant la non-affiliation des salariés jusqu’à ce qu’ils aient atteint le seuil requis) et sous réserve des éventuelles dispenses d’affiliation à la demande des salariés lorsqu’elles sont possibles.
Les catégories de personnels éventuellement définies doivent être considérées comme objectives.
Rappelons également que les régimes de protection sociale complémentaire ont deux fondements :
- Un premier dit acte fondateur du régime, qui est un acte de droit du travail (accord collectif, accord référendaire, décision unilatérale de l’employeur) où l’employeur s’engage vis-à-vis de ses salariés[6],
- Un second dit contrat d’assurance qui vise le contrat de protection sociale complémentaire liant l’employeur à l’organisme complémentaire (mutuelle, prévoyance, assurance) où sont notamment définies les garanties souscrites[7].
Il n’est pas possible de modifier l’un sans l’autre, pour autant, des mesures d’aménagement ont été prévues pour avoir cette dyssynchronie entre les deux actes le temps que les employeurs s’adaptent aux nouveautés posées en 2020 et 2021.
La prise en compte des salariés en suspension de contrat pour apprécier le caractère collectif
Principe des garanties maintenues
Pendant la pandémie de Covid-19, compte tenu de l’ampleur de la mise en œuvre de l’activité partielle, l’administration a intégré aux critères d’appréciation du caractère collectif le principe selon lequel certaines garanties de protection sociale complémentaire doivent être maintenues en cas de suspension du contrat de travail indemnisée par l’employeur.
Autrement dit, les régimes de protection sociale complémentaire sont tenus de prévoir le maintien de certaines garanties pendant les périodes de suspension du contrat de travail indemnisées par l’employeur[8], sous peine de voir remettre en cause le régime social et fiscal de faveur applicable aux contributions patronales.
Le BOSS dissocie les garanties à maintenir selon le type d’absence du salarié.
Lorsque le salarié perçoit pendant son absence un maintien de salaire ou des indemnités journalières (IJ) complémentaires[9], toutes les garanties doivent être maintenues : celles de prévoyance complémentaire (y inclus les frais de santé) et celles de retraite supplémentaire dès lors que le salarié en bénéficie[10].
En revanche, lorsque le salarié perçoit un revenu de remplacement[11], seules les garanties de prévoyance complémentaire (y inclus les frais de santé) doivent être maintenues de façon obligatoire. Les salariés ici visés sont ceux placés en activité partielle, en activité partielle de longue durée, congé de reclassement, congé de mobilité, etc. Concernant les garanties de retraite supplémentaire, il convient de se référer aux conditions stipulées dans l’acte instituant les garanties au sein de l’entreprise ainsi qu’au contrat, règlement ou bulletin d’adhésion. En pratique, les garanties de retraite supplémentaire peuvent être soit suspendues, soit maintenues en fonction des stipulations des actes.
A noter que le BOSS prévoit aussi les règles de financement du maintien de ces garanties[12] (non détaillées ici), avec notamment les assiettes de contributions, le montant des contributions ou primes versées.
Mesure de tolérance
Dans les instructions ministérielles de la DSS, remplacées par le BOSS en septembre 2022, un délai d’adaptation avait été accordé aux employeurs pour mettre en conformité leur acte fondateur du régime[13]. Ce délai d’adaptation ne valait que si le contrat d’assurance liant l’entreprise à l’organisme assureur était d’ores-et-déjà conforme aux règles de maintien de la protection sociale complémentaire d’entreprise en cas de suspension de contrat, telles que définies par le BOSS au 1er janvier 2023.
La DSS a dissocié la durée de tolérance applicable selon l’origine de l’acte fondateur du régime de protection sociale complémentaire.
Pour les régimes mis en place par décision unilatérale d’entreprise (DUE), le délai de mise en conformité de la DUE est d’ores-et-déjà échu, puisque celle-ci (ainsi que le contrat collectif) devait être conforme au chapitre du BOSS au 1er janvier 2023, sous peine de voir le caractère obligatoire et collectif du régime tombé.
Compte tenu des délais nécessaires à la négociation, la DSS a admis une période de tolérance plus longue pour les régimes mis en place par accords de branche, conventions collectives ou accords d’entreprise. Ceux-ci ont jusqu’au 31 décembre 2024 pour mettre leur accord collectif fondateur du régime en conformité avec le chapitre du BOSS.
Au 1er janvier 2025, ces accords de branches, conventions collectives ou accords d’entreprise devront avoir été modifiés pour intégrer le maintien des garanties en cas de suspension de contrat de travail et conserver leur caractère collectif et obligatoire. Les employeurs qui ne sont donc pas « à jour » ont encore quelques semaines pour le faire.
Catégories objectives de salariés en référence au régime Agirc-Arrco
Comme évoqué en introduction, pour bénéficier du régime social et fiscal de faveur, le régime de protection sociale complémentaire doit notamment être obligatoire et collectif. Le Code de la sécurité sociale fixe cinq critères[14] pour déterminer une catégorie dite objective, permettant de dissocier les garanties octroyées sans remettre en cause le caractère collectif et obligatoire du régime, à savoir :
- Critère 1: L’appartenance aux catégories de cadres et non-cadres,
- Critère 2: Le niveau de rémunération au regard des tranches de rémunérations fixées en référence au plafond de la sécurité sociale,
- Critère 3: Les catégories définies par référence à la place dans les classifications professionnelles des conventions de branches ou les accords professionnels ou interprofessionnels,
- Critère 4: Le niveau de responsabilité, le type de fonctions ou degré d’autonomie ou ancienneté dans le travail correspondant aux sous-catégories fixées par les conventions de branche ou les accords professionnels ou interprofessionnels,
- Critère 5: L’appartenance au champ d’application d’un régime légalement ou réglementairement obligatoire assurant la couverture du risque concerné ; les catégories définies clairement et de manière non restrictive à partir des usages constants, généraux et fixes en vigueur dans la profession ; les catégories spécifiques de salariés définies par les stipulations d’une convention collective, d’un accord de branche ou d’un accord national interprofessionnel caractérisant des conditions d’emploi ou des activités particulières.
Avec la fusion du régime Agirc-Arrco au 1er janvier 2019, il a fallu modifier deux des cinq critères retenus pour déterminer une catégorie objective de salariés. C’est l’objet du décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021 modifiant les critères 1 et 2, à savoir l’appartenance aux catégories de cadres et non-cadres et le niveau de rémunération au regard des tranches de rémunérations fixées en référence au plafond de la sécurité sociale.
Les modifications légales effectuées depuis janvier 2022
Critère n°1 – L’appartenance aux catégories de cadres et non-cadres
Depuis le 1er janvier 2022[15], le critère 1 d’appartenance aux catégories de cadres et non-cadres est défini en référence à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres.
Autrement dit, sont définis comme constituant une catégorie objective de « cadres »[16] :
- Les cadres au sens de l’article 2.1 de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres,
- L’ensemble des cadres au sens de l’article 2.1 ci-dessus et des assimilés cadres au sens de l’article 2.2 de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres,
- L’ensemble des cadres au sens de l’article 2.1, des assimilés cadres au sens de l’article 2.2 et de certains salariés définis par une convention ou un accord de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, sous réserve que l'accord ou la convention soit agréé par la commission paritaire rattachée à l’association pour l’emploi des cadres – APEC. A noter que tout défaut d’agrément remet en cause l’exclusion de l’assiette de cotisations sociales.
Sont en parallèle considérés comme des « non-cadres » constituant une catégorie objective, tous les salariés n’entrant pas dans la définition retenue pour constituer une catégorie objective de cadres[17].
En somme, le Code de la Sécurité sociale fait désormais référence à l’ANI de 2017 sur la prévoyance des cadres, là où antérieurement, il faisait référence à la convention Agirc de 1947 abrogée avec l’entrée en vigueur du régime unifié Agirc-Arrco au 1er janvier 2019.
Critère n°2 – Le niveau de rémunération au regard des tranches fixées en référence au plafond de la sécurité sociale
Le seuil de rémunération déterminé en fonction du plafond de la sécurité sociale est le critère n°2. Peuvent ainsi constituer des catégories objectives[18] :
- Les salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 1, 2, 3, 4 ou 8 fois le plafond de la sécurité sociale,
- En fonction du choix précédent, ceux dont la rémunération est supérieure ou égale à 1, 2, 3, ou 4 fois le plafond de la sécurité sociale.
Il est à noter que les seuls salariés dont la rémunération excède 8 fois le plafond de sécurité sociale ne peuvent constituer à eux seuls une catégorie objective[19].
Le BOSS précise également que peuvent être utilisés, pour les entreprises relevant de ces régimes, les tranches de rémunération fixées pour le calcul des cotisations au régime Ircantec, CNBF et CAVEC[20].
Le délai pour se conformer aux modifications
Le décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021 a laissé du temps pour les entreprises pour modifier leurs actes de droit du travail en matière de protection sociale et les mettre en conformité avec les nouvelles définitions de catégorie par référence aux critères 1 et 2 précités, ce jusqu’au 31 décembre 2024.
Ainsi, pendant la période transitoire du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2024, les actes de droit du travail instaurant des garanties collectives conclus avant le 1er janvier 2022 peuvent continuer à utiliser les références à la convention Agirc du 14 mars 1947, à savoir :
- Pour le critère n°1, les références aux articles 4, 4 bis et 36 de l’annexe I de la convention nationale du 14 mars 1947 relative à la prévoyance des cadres pour déterminer les cadres et non-cadres, sans qu’il y ait remise en cause du caractère collectif des garanties.
- Pour le critère n°2, les seuils de rémunération mentionnés à l’article 6 de la convention AGIRC du 14 mars 1947 et à l’article 13 de l’accord national interprofessionnel de retraite complémentaire ARRCO du 8 décembre 1961.
Pour que cette période transitoire s’applique, le décret prévoit néanmoins qu’aucune modification des stipulations sur le champ des bénéficiaires ne doit intervenir pendant cette période. En cas de modification de ces stipulations sur le champ des bénéficiaires pendant la période transitoire, l’employeur devra se conformer immédiatement aux nouvelles définitions des critères n°1 et n°2 permettant de définir une catégorie objective, telles que posées par le décret n°2021-1002, pour conserver le caractère obligatoire et collectif du régime.
Pour le critère n°1 sur les catégories de cadres et non-cadres, les entreprises créées postérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 30 juillet 2021 peuvent également bénéficier de cette tolérance si la branche professionnelle dont elles relèvent ne s’est pas encore conformée au décret.
A compter du 1er janvier 2025, les actes instaurant les garanties dans l’entreprise devront être conformes avec les dispositions du décret du 30 juillet 2021.
A noter que le BOSS détaille les catégories considérées comme objectives pendant la période transitoire[21]. Là encore, il reste quelques semaines aux employeurs pour mettre leur acte fondateur du régime en conformité avec le décret n°2021-1002, si ces critères 1 et 2 sont utilisés pour déterminer une catégorie objective.
Elodie Chailloux
Responsable Veille légale et DSN
[1] Loi n°2020-734 du 17 juin 2020, JO du 18, art 12, modifié par la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, JO du 15, art 8 ; Instruction interministérielle DSS/3C/5B/2020/197 du 16 novembre 2020 ; Instruction interministérielle DSS/3C/5B/2021/127 du 17 juin 2021. Il convient de noter que cette dernière instruction a été abrogée avec la publication de la partie Protection Sociale complémentaire au Bulletin Officiel de la Sécurité sociale (BOSS), entrée en vigueur le 1er septembre 2022. L’instruction interministérielle DSS/3C/5B/2020/197 du 16 novembre 2020 avait vocation à s’appliquer uniquement jusqu’au 30 juin 2021.
[2] Décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021, JO du 31
[3] C. Séc. Soc. art L. 242-1, II, 4° ; CGI, art 83, 1° quater
[4] C. Séc. Soc. art R. 242-1-1
[5] C. Séc. Soc. art R. 242-1-6
[6] C. Séc. Soc. art L. 242-1 et L. 911-1
[7] C. assur. Art L. 112-2, R. 112-3 et L. 141-4 ; C. Séc. Soc. art L. 932-3, L. 932-6 et R. 932-1-2 ; C. mut. Art L. 221-4 et L. 221-6
[8] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1440 à §1540
[9] Sont ici visées les indemnités journalières financées au moins en partie par l’employeur, qu’elles soient versées directement par lui ou par l’intermédiaire d’un tiers.
[10] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1450
[11] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1460
[12] BOSS, Protection sociale complémentaire, §§1470 à 1580
[13] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1430
[14] C. Séc. Soc. art R. 242-1-1
[15] Le décret a prévu une entrée en vigueur des nouveautés au 1er janvier 2022 (décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021, art 2, 1er alinéa).
[16] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1030 ; Décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021, art 1er modifiant l’art R. 242-1-1, 1° du C. Séc. Soc.
[17] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1040
[18] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1090 ; Décret n°2021-1002 du 30 juillet 2021, art 1er modifiant l’art R. 242-1-1, 2° du C. Séc. Soc.
[19] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1090
[20] BOSS, Protection sociale complémentaire, §1110 ; Ircantec = régime de retraite complémentaire pour les agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques ; CNBF = régime de retraite de base, complémentaire, invalidité-décès et aide sociale des avocats salariés ou indépendants et leurs conjoints-collaborateurs. CAVEC = caisse d’assurance vieillesse et de prévoyance des experts-comptables et commissaires aux comptes
[21] BOSS, Protection sociale complémentaire, §§1070 et 1120