Mars 2024

Episode n°2 faisant suite aux jurisprudences de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023 sur l’acquisition de congés payés pendant les périodes de maladie ou accident du travail : la décision du Conseil Constitutionnel du 8 février 2024[1] argue d’une conformité à la Constitution, ce qui laisse donc une grande marge de manœuvre au législateur.  

Ce fût le sujet de la rentrée de septembre 2023 : les décisions de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023[2] visant à contourner l’inconventionnalité du Code du travail au droit de l’Union Européenne pour permettre aux salariés absents d’acquérir des congés payés, à défaut pour l’Etat français d’avoir transposé en droit interne l’article 7 de la directive européenne n°2003-88 du 4 novembre 2003.

Nous vous renvoyons à l’article publié dans l’info d’experts du mois de Novembre 2023[3] pour davantage de détails sur ces jurisprudences et les questionnements pratiques qu’elles soulèvent.

A l’occasion d’un litige ultérieur à ces décisions du 13 septembre 2023, la Cour de Cassation a décidé de transmettre au Conseil Constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) le 15 novembre 2023 pour qu’il juge de la constitutionnalité des dispositions du Code du travail (non conformes au droit européen) pour éventuellement les censurer.

Rappel des décisions de la Cour de Cassation

Mettant fin à une dizaine d’année de demandes de mise en conformité du Code du travail français au législateur restées lettre morte, la Cour de Cassation a rendu plusieurs arrêts le 13 septembre 2023 pour écarter les dispositions du Code du travail français non compatibles avec le droit européen pour poser les principes suivants :

  • Un salarié en arrêt de travail pour maladie non professionnelle conserve l’acquisition de ses congés payés pendant son arrêt de travail[4].
  • Un salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle acquiert des congés payés pendant toute la durée de son arrêt de travail sans limite de temps[5].
  • La prescription de l’indemnité de congés payés ne peut courir à compter de la fin de la période au cours de laquelle les congés auraient pu être pris que si l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés[6].
  • Un salarié qui s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre la totalité de son congé payé annuel au cours de l’année de référence en raison de son congé parental doit bénéficier du report de ses congés payés après sa date de reprise du travail[7].

La conformité à la Constitution dégagée par le Conseil Constitutionnel

Pour recontextualiser la situation à l’origine des QPC transmises le 15 novembre 2023, il s’agit d’une salariée en arrêt de travail du 10 novembre au 30 décembre 2014 pour maladie non professionnelle, puis du 31 décembre 2014 au 13 novembre 2016 pour accident du travail, puis du 19 novembre 2016 au 17 novembre 2019 à nouveau pour cause de maladie non professionnelle. Elle a été licenciée le 16 janvier 2020 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement. Elle saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Bourges du 18 novembre 2022, pourvoi dans lequel elle demande à la Cour de Cassation de renvoyer au Conseil Constitutionnel deux QPC relatives à l’acquisition des congés payés durant des périodes d’arrêt de travail pour raisons médicales.

Jugeant les QPC « sérieuses » sur des textes applicables au litige n’ayant pas déjà été déclarés conformes à la Constitution, la Cour de Cassation a décidé de renvoyer les QPC au Conseil Constitutionnel[8].

Le contenu des QPC

Deux articles du Code du travail ont été mis en cause par la requérante et son conseil : il s’agit des article L. 3141-3 et L. 3141-5, 5°, portant respectivement sur l’acquisition des congés payés en fonction d’un temps de travail effectif (et privant de fait un salarié absent de son droit à congés payés) et la limitation de l’acquisition des congés payés en cas d’arrêt pour accident du travail et maladie professionnelle à une année.

Ce sont ces articles qui sont également écartés par la Cour de Cassation dans ses décisions du 13 septembre 2023 pour faire application des textes européens.

Le Conseil Constitutionnel devait déterminer si ces articles étaient contraires :

  • Au droit à la santé et au repos garanti par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946,
  • Au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, dans la mesure où le Code du travail dissocie la situation du salarié en fonction de la typologie de son arrêt de travail (accident du travail et maladie professionnelle versus maladie non professionnelle).

La décision du Conseil Constitutionnel

Les Sages rappellent dans leur décision du 8 février 2024 qu’ils n’ont « pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ». Autrement dit, bien qu’ils jugent de la conformité à la Constitution, ils ne peuvent pas déterminer si un autre biais aurait permis au législateur d’atteindre les objectifs fixés dans la conception de la loi n°46-473 du 18 avril 1946 tendant à assimiler à un temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés les périodes de suspension pour cause d’accident du travail et maladie professionnelle. Le législateur de la loi de 1946 ne voulait pas imposer une double sanction au salarié victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle : à la fois l’arrêt de travail en lui-même résultant directement de son activité professionnelle, et à la fois la perte du droit à congés payés au cours de cette suspension de contrat liée à son activité professionnelle.

Une fois ces rappels fixés par le Conseil Constitutionnel, il admet que le législateur puisse fixer des règles d’acquisition des droits à congés payés différentes pour les salariés en arrêt maladie selon le motif de la suspension du contrat de travail, sans que cette différence ne porte atteinte au droit au repos, au principe d’égalité de traitement devant la loi ou encore au droit à la protection de la santé. Il considère que les salariés en arrêt de travail pour maladie pour motif professionnelle ou pour motif non professionnel ne sont pas dans la même situation.

Le fait pour un salarié en arrêt de travail pour maladie non professionnelle, de ne pas acquérir de droits à congés payés ne le prive pas pour autant de son droit au repos constitutionnellement garanti.

Les articles du Code du travail mis en cause par la requérante sont donc jugés conformes à la Constitution.

Et maintenant, quelles suites ?

Le mystère reste donc entier ! En effet, en jugeant les dispositions du Code du travail conformes à la Constitution, le Conseil Constitutionnel « laisse un sursis » au gouvernement pour élaborer le projet de loi à venir, pour modifier le Code du travail et le mettre en conformité avec le droit de l’Union Européenne. Car rappelons-le, même si le Code du travail est conforme à la Constitution, la Cour de Cassation le juge non-conforme au droit de l’Union Européenne, mettant alors les employeurs dans une situation extrêmement bancale.

Force est de constater que les cours d’appel saisies, depuis le 13 septembre 2023, de litiges sur ces thématiques donnent gain de cause aux demandes des salariés en appliquant l’argumentaire de non-conformité du Code du travail aux textes européens dégagé par la Cour de Cassation. Toutes les questions soulevées précédemment par ces arrêts du 13 septembre 2023 restent donc d’actualité et surtout sans réponse[9].

Une piste pourrait être évoquée à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel : les Sages admettent que le législateur traite les salariés en arrêt de travail à la suite d’un accident de travail ou maladie professionnelle de façon différente de ceux en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle. Il serait donc envisageable pour le législateur de différencier l’acquisition des congés payés pour ces populations. C’est une hypothèse évoquée dans des publications spécialisées, spéculation dans l’attente de la publication d’un projet de loi sur le sujet, annoncé pour le courant de l’année 2024 par le gouvernement.

A date, la seule chose certaine au sujet de l’acquisition des congés payés pendant les périodes d’absence est que la patience est mère de toutes les vertus.

Compte tenu des incertitudes juridiques dans l’attente du projet de loi à venir courant 2024, pour rappel, il vous appartient de décider de modifier ou non vos paramétrages paie[10]. ADP met tout en œuvre pour obtenir les règles à venir le plus rapidement possible.

Elodie Chailloux

Responsable Veille légale et DSN

[1] Décision Conseil Constitutionnel n°2023-1079 QPC du 8 février 2024, Journal Officiel du 9 février. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049112159 

[2] Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.340, FPBR, n°22-17.638, FPBR, n°22-10.529 et n°22-11.106, FPBR, n°22-14.043, B

[3] https://www.fr.adp.com/ressources/documentations/articles/e/maladie-et-conges-payes-retour-sur-les-jurisprudences.aspx

[4] Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.340, FPBR

[5] Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.638 FPBR

[6] Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.529 et n°22-11.106, FPBR

[7] Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-14.043 B. A noter toutefois que la portée de cet arrêt est moindre par rapport aux autres rendus le même jour puisque la loi n°2023-171 du 9 mars 2023 portant adaptation à diverses dispositions du droit de l’Union Européenne a permis aux salariés en congé parental de conserver le bénéfice de tous les avantages acquis avant le début du congé parental.

[8] Cass. Soc. 15 novembre 2023, n° 23-14806 FSB

[9] Voir à ce titre l’article d’Infos d’experts Novembre 2023 :

[10] Comme nous l’avions mentionné dans l’article d’infos d’experts de novembre 2023 : « nos offres vous permettent en l’étant de prévoir l’acquisition ou non des congés payés pendant les périodes de maladie non professionnelle ou sans limitation de durée en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle. Il vous appartiendra, si vous le souhaitez, de « changer d’option » dans l’hypothèse où l’acquisition était limitée voire inexistante, et de définir toutes les conséquences pratiques de ce changement, faute d’avoir les règles au plus haut niveau de l’Etat ».