Il faut en convenir : dans bien des cas, le grand leader « charismatique » semble avoir été détrôné au profit du « médiatique », ce qui n’est pas du tout la même chose. L’homme médiatique n’a que son image à soigner ; et on sait combien l’image se travaille et se modèle par un marketing adapté.

Même sur le plan du comportement apparent, il existe des techniques de relation qui peuvent s’apprendre, se travailler. L’élocution peut s’améliorer par exemple, de même que l’écoute, le maniement du silence, le respect de la parole de l’autre. On peut soigner particulièrement son « image de marque » pour séduire, inspirer confiance, augmenter son influence et le poids de sa parole. Mais il s’agit là, dans tous les cas, de l’acquisition, au regard des autres, de nouvelles « images » de soi-même : c’est clairement de l’ordre d’une qualité acquise, et qui est rarement durable ; « chassez le naturel… il revient au galop », dit le dicton.

En revanche, quand on dit d’un leader qu’il est doué de « charisme », on fait généralement allusion à une qualité particulière – intérieure et durable –, voire exceptionnelle, dans la relation qu’elle instaure avec les autres. Cette qualité est d’ailleurs souvent difficile à définir, à déterminer dans ses origines ; comme s’il s’agissait d’une sorte d’aura, de quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’en présence de cette personne (parfois même en écoutant simplement son discours, en la voyant, en lisant ses écrits), nous nous sentons plus intimidé, subjugué, séduit, inconditionnellement « pris sous le charme », qu’avec les autres. Cette qualité là ne semble pas pouvoir s’acquérir ; elle présente un caractère inné certain. Elle est un grand avantage dans le management, car celui ou celle qui a du charisme peut indubitablement demander davantage à ses collaborateurs : ils le suivront ; il sait toucher à des ressorts de motivation immatériels.

Cela étant, il faut aussi demeurer conscient du fait que le « charisme » est à double tranchant, car celui qui a un don de ce genre exerce justement sur les autres un ascendant, une attraction, un pouvoir informel. Il est investi d’une sorte d’autorité qui ne repose pas d’abord sur des réussites ou sur des démonstrations. Sa parole convainc par une sorte d’évidence et non parce qu’elle est plus rationnelle. Il est regardé par ceux qui l’entourent comme celui qui sait quelles décisions il faut prendre. S’il se trompe, la déconvenue est à la hauteur de l’espoir et de la confiance – aveugle – qu’il avait suscités.

C’est pourquoi on peut dire que si le charisme ne s’acquiert pas, il est nécessaire à celui qui en possède d’acquérir, par son travail et ses réalisations, la justification de l’adhésion qu’il engendre naturellement. Nul ne peut, en effet, s’appuyer très longtemps sur son seul charisme sans courir à l’échec. Tout comme celui qui parle bien ne trompera pas longtemps ses interlocuteurs si ses actes ne suivent pas !

Le charisme est donc une qualité « empoisonnée » : il requiert une excellence professionnelle proportionnée à son pouvoir irrationnel. Faute de quoi « l’amour » qu’il avait engendré se transforme en haine, et la chute est d’autant plus rude.

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