S’il est une question délicate dans la vie quelque peu paradoxale d’un manager, c’est bien celle de la manipulation : la pratique en est régulière, pour des raisons parfois nobles – et parfois moins avouables. Mais si l’on vient à en parler, tous le dénient, s’en défendent, et affirment haut et fort que ce n’est pas « éthique ». Quant aux collaborateurs, s’ils s’estiment en général copieusement manipulés, ils poussent en revanche des cris d’orfraies à la seule évocation de leurs propres pratiques : « Nous, manipuler ?! Mais nous n’en avons ni la science ni le pouvoir. Nous sommes simples et uniquement professionnels !», sans voir – ni encore moins accepter – que la manipulation est un constituant normal de toute communication humaine et plus encore de toute ambition, fut-elle de simple séduction de ses interlocuteurs. Curieusement on voit poindre des scrupules tout à fait scandalisés sur la réalité la plus naturelle et la plus ordinaire de notre existence sociale !

Quoi de plus naturel, en effet, que la manipulation ? Pour s’en convaincre, il suffit de regarder comment un enfant use de ses parents ou de ses grands-parents, à un âge où l’on pense plutôt que l’innocence leur est acquise ! Par exemple à quatre ans : « Ho ! Papa, comme tu es beau aujourd’hui »… chacun imagine aisément le type de demande que peut suivre une telle déclaration, bien entendu parfaitement désintéressée ! Sans parler des politiques d’alliances, qui sont des pratiques quasiment innées chez eux ; à tel point que l’on se demande presque si les vieux politiques n’ont finalement pas tout simplement gardé, quelque part, leur âme d’enfant ! Quant à la publicité, si elle vise de plus en plus la population enfantine, c’est bien parce qu’elle a identifié là, pour la relayer, une force d’influence et de persuasion qui n’a rien de virtuel, ni d’innocent !

On pourrait objecter qu’il s’agit là de rapports spontanés, et non du machiavélisme froid et calculateur censé animer la « vraie » manipulation… Cette distinction nous semble quelque peu artificielle, dans la mesure où les procédés en sont les mêmes, et que le Monsieur Jourdain de la manipulation, dans l’entreprise moderne, n’est pas moins responsable de sa nature que ce qu’il a organisé en pleine conscience.

Il appartient à chacun de nous de mieux comprendre ces modes de fonctionnement de notre psychologie :

  • Afin de mieux les maîtriser et pouvoir les utiliser à meilleur escient, sans qu’ils nous jouent des tours inattendus.
  • Afin d’être moins dupes des autres et de soi-même, et d’apaiser un peu le niveau de suspicion et de paranoïa qui pénètre de plus en plus nos journées stressées.
  • Afin d’être effectivement capable de ne pas manipuler si nous le décidons : dans une matière aussi naturelle et spontanée, seul celui qui a acquis une maîtrise objective raisonnable devient en effet capable d’y renoncer s’il le désire.
  • Afin d’orienter les manipulations que nous décidons par un contrôle plus serré qui en limite les débordements et la malice inutile.

Pour le dire en une phrase, il convient peut-être de cesser de se voiler pudiquement la face en la matière et d’affronter clairement cette réalité de notre nature et de nos relations. L’ignorance volontaire n’y apporte que de l’opacité et ne réduit en rien le phénomène : ce n’est pas parce qu’on se bouche les yeux et les oreilles que la réalité cesse d’exister.

C’est moins le fait de manipuler qui est un mal, que les finalités que nous poursuivons par nos travers. Et c’est justement cette claire conscience personnelle et mutuelle qui peut – paradoxalement –introduire dans nos relations et dans notre management plus de transparence et de simplicité.

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