Ça tangue hein ? Oh vvvoui ça tangue ! Politique, géopolitique, climat, économie … Le monde est sans dessus dessous. Le culbuto s’est renversé comme une tortue ! C’est difficile de retomber sur ses pattes quand on n’est pas dans la peau d’un chat.

Va-t-il falloir apprendre à être chat ? Tomber de haut, se retourner habilement, atterrir et … repartir après un ch’ti coup de langue pour remettre ses poils dans le bon sens ? Chat, panthère, jaguar, tigre … à chacun de choisir sa nuance de félin. Mais quelle que soit notre vie, notre situation, nos besoins, nos désirs, nos droits acquis … Pour chacun d’entre nous, nos habitudes, nos conforts, nos réticences au changement devront s’assouplir.

Il faudra être créatifs, sortir des vieux sentiers battus. Mais la créativité ne se décrète pas.

On ne peut pas forcer une pensée innovante dans un cadre imposé. On ne peut pas pousser à la pensée divergente d’un côté, et vénérer les process de l’autre. On peut encore moins demander de l’originalité quand on s’est évertué pendant des années à ratatiner les têtes qui dépassent et à éviter les prises de risque ! Non seulement ce n’est pas crédible, mais c’est une double contrainte propre à rendre n’importe quel salarié totalement zinzin, comme l’a démontré Gregory Bateson.

Alors quoi ? On renonce ??? Oh que non ! On ne renonce pas ! On choisit de faire mieux : changer la culture des organisations !

Au lieu de mettre en avant les process, nous allons pousser à l’inventivité, à l’initiative. Dans les organisations, nous avons su faire ça pendant la pandémie ! Pendant un temps nous avons fait taire les process et validé la créativité, la réactivité. Car nous avons déjà partout de bons « créatifs » à imiter dans nos organisations, il suffit d’arrêter de les étouffer. Ce ne sont d’ailleurs pas des moutons à cinq pattes, pas des êtres exceptionnels, pas des génies ! Pas du tout !

Ce sont des gens comme vous et moi, car nous sommes taillés pour ça : notre cerveau est fait pour nous permettre de survivre et donc de nous adapter. Et notre cerveau crée de nouveaux chemins chaque jour, de notre naissance jusqu’à notre mort. Il s’agit juste de libérer, de permettre, d’encourager la part inventive qui est en nous. La créativité se chouchoute, s’apprend, s’encourage, s’imite. Donc au lieu de lancer des injonctions intenables, je propose de s’intéresser au concept de "positive deviance".

Qui sont les « déviants positifs » ?

Les déviants positifs sont des personnes qui, sur certains sujets, ont des comportements qui s'écartent de la norme, et peuvent ainsi générer des innovations fructueuses. Le constat est simple mais puissant : dans chaque communauté, chaque organisation, il existe des individus qui trouvent de meilleures solutions que leurs pairs face aux mêmes problèmes, avec les mêmes ressources. Certains deviennent célèbres et bouleversent leur discipline à jamais. Comme Ignace Semmelweis qui en imposant l’hygiène des mains, se heurte à l’hostilité du corps médical, va à contre-courant, est raillé, ostracisé avant d’être reconnu comme un visionnaire. Comme Nikola Tesla qui révolutionne l’électricité avec le courant alternatif. Des milliers de déviants positifs restent dans l’anonymat, ils ne cherchent pas la gloire, au contraire, souvent ils la redoutent : ils se décident à « mettre les mains dans le cambouis » parce que ça doit être fait. Ils ne cherchent pas la révolution non plus. Sont-ils foncièrement des esprits rebelles ? Non, pas forcément ! Il s’agit surtout de gens passionnés qui prennent à coeur de changer le fil des situations qui ne fonctionnent pas. Des êtres indépendants d’esprit, qui résistent à la pression sociale, au « on a toujours fait comme ça ».

Leur résistance à l’esprit de groupe, quand celui-ci va à l’encontre de leur esprit critique, n’est pas forcément très appréciée en entreprise. Leur manière de bousculer le statu quo, d’empêcher de ronronner tranquille coucouche panier les papattes en rond peut agacer, mettre sur la défensive. On peut mettre en doute leur loyauté. Mais le consensus n’est pas synonyme d’efficacité et de pérennité. 

Lois Kelly et Carmen Medina qui se sont passionnées pour le sujet, distinguent clairement les « Mauvais rebelles » et les « Bons rebelles »:

  • D’un côté : ceux qui râlent, se plaignent, se centrent sur « moi-moi-moi », sont pessimistes, en colère, bouffeurs d’énergie, sources de problèmes, sources de polémiques autour des problèmes, inquiets, accusateurs et moralisateurs.
  • De l’autre : les créatifs, qui posent des questions, se focalisent sur la mission, sont optimistes, passionnés, énergisants, attrayants, générateurs de possibilités, communiquent autour des opportunités, s’émerveillent, se passionnent, trouvent les causes, écoutent.

Elles définissent ainsi leur état d’esprit : « Nous ne sommes pas des fauteurs de troubles. Nous sommes passionnés afin que les choses aillent mieux. Nous avons besoin d’un environnement où nous nous sentons en sécurité pour remettre en cause le statu quo. Aidez-nous à naviguer dans la politique de l’entreprise pour nous éviter des erreurs. Appréciez-nous car nous sommes prêts à soulever des montagnes pour vous »

Gretchen Spreitzer, chercheuse à la Ross School of Business de l'Université du Michigan, spécialisée dans le leadership positif et le développement organisationnel, a démontré que les "déviants positifs" prospèrent dans les environnements qui :

  • Donnent de l'autonomie
  • Tolèrent l'échec
  • Valorisent l'apprentissage continu
  • Encouragent les feedbacks constructifs

Tourner la culture d’entreprise vers un état d’esprit d’amélioration et d’autonomie

L'approche de la déviance positive propose un changement de paradigme : plutôt que d'imposer des solutions venues d'en haut, il s'agit d'identifier et d'amplifier ce qui fonctionne déjà sur le terrain, même si c'est non conventionnel.

Il s’agit aussi de rechercher et de valoriser les profils décalés, ce qui n’est pas du tout synonyme de « génies » ou de « mégas-diplômés ».

Il est question ici d’état d’esprit et de soft-skills.

En entreprise, ces "déviants positifs" à valoriser sont souvent ces employés qui :

  • Contournent les processus officiels pour être plus efficaces
  • Se mettent facilement en mode « méta-cognition »
  • Trouvent des solutions non conventionnelles aux problèmes
  • Remettent en question les pratiques établies
  • Innovent "par le bas" sans attendre la validation hiérarchique

Des constats qui invitent les RH à :

  • Recruter, intégrer et/ou valoriser les profils anticonformistes, avec des parcours atypiques ou avec des centres d’intérêts peu communs,
  • Repérer les pratiques innovantes qui émergent naturellement,
  • Valoriser les solutions trouvées par les équipes plutôt que les best practices théoriques,
  • Créer un environnement où la "déviance constructive" est non seulement possible mais aussi vivement encouragée,
  • Mettre en avant le parti-pris d’ouverture à des nouvelles visions,
  • Verbaliser explicitement cette culture et clarifier son cadre,
  • Créer des espaces sécurisés pour l'expression de la divergence.

Le non-conformisme est un soft skill souvent perçue comme un risque, alors qu’il est en réalité un moteur d’innovation et d’adaptabilité. Bien encadré, il ne menace ni la cohésion d’équipe ni l’efficacité collective. Au contraire, il permet de bousculer les routines stériles, de stimuler l’intelligence collective et d’ouvrir la voie à des solutions inédites.

Pour en tirer parti, encore faut-il créer un écosystème où il peut s’exprimer : un cadre managérial qui valorise l’audace, une organisation qui transforme les divergences en opportunités, et une culture qui fait de la pensée « hors-cadre » une dynamique collective plutôt qu’une injonction creuse.

Cette nouvelle orientation renforcera également la motivation de vos équipes en appuyant sur les leviers bien connus de l’engagement et du sens au travail : empowerment psychologique, sentiment de contrôle, relations positives, constat de compétence personnelle et impact concret de sa propre action.

En misant sur ces profils très autonomes, les organisations ne prennent pas un risque, elles se donnent une chance : celle de se réinventer, d’innover, d’augmenter leur résilience et de prospérer dans un monde en révolution accélérée.