« Donc les psys, c’est comme les curés !? » Assise sur les bancs de la fac, cette exclamation jaillit de ma bouche et interrompt le monologue de la prof. Oups ! Cours de déontologie et d’éthique, ambiance studieuse. J’apprends que le code de déontologie des psychologues… n’est pas inscrit dans la loi. Stupeur. Incrédulité. Groumpf. Dans ma tête, ça équivaut à un « tous responsables devant personne ». Autrement dit à un refus de répondre devant quiconque … Grrrr !
Dans les jours précédents ce cours, le comportement de l’Abbé Pierre avait fait la une des journaux. De nouveau. Toute une vie de « turpitudes » qui s’étale avec les détails les plus glauques : abus de faiblesse, abus de pouvoir, agressions sexuelles. Des faits en apparence sans rapport avec les codes de déontologie, mais qui, dans mon esprit, se télescopent violemment. Ainsi donc les engagements à la moralité ne seraient que des « vœux pieux » ? Des déclarations théoriques dans le ciel des idées, mais qui dans le monde réel seraient foulées aux pieds ? Des envolées verbales d’autant plus tonitruantes qu’elles sont faibles dans les actes ? Car ce scandale retentissant s’ajoute à une longue liste de révélations. On a déjà vu ça ces dernières années dans d’autres professions prestigieuses. C’est bon. J’ai mon compte d’horreurs et de dégoût. N’en jetez plus !
Je suite prête à parier que, quel que soit le jour où vous lirez cet article, un autre fait « divers » du même genre sera à la une. Tant et tant de comportements immoraux, délictueux et parfois carrément criminels, qui, au fil des années, se dévoilent sous nos yeux effarés et incrédules. Ce qui choque encore plus ? Tout cela était parfaitement connu, mais uniquement dans chaque cercle bien fermé des différentes professions.
Délicate déontologie professionnelle
Tous les métiers n’ont pas de codes de déontologie officiels, mais quand ils existent, ils sont construits pour énoncer clairement les normes éthiques de chaque profession : ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. Ce qui est souhaitable et ce qui est proscrit.
Les codes priorisent le respect et la protection du public (notamment contre les abus de pouvoir). Ils devraient normalement empêcher les dérives dès les premiers pas de toute carrière. Mais tous les codes n’ont pas la même force normative, tout d’abord selon l’existence ou non d’une réelle instance professionnelle de régulation et de discipline. (Comme l’ordre des médecins, qui a un pouvoir de sanction)
Ensuite, parce qu’un code de déontologie qui n’est pas transposé dans la loi ressemble fort à une liste de principes que les professionnels s’engagent moralement à respecter … tout en sachant qu’il n’y aura pas de réelles conséquences en cas de manquements.
En exagérant le trait, les gens qui ont déjà des valeurs morales vont respecter le code, les autres peuvent bien l’utiliser comme serpillière si ça leur chante. Du moins pour les indépendants. Les salariés se trouvent dans des situations variables, certaines structures reprenant les codes de déontologie dans leur règlement intérieur.
L’esprit de corps : face amour et face amère
Les codes de déontologie servent aussi à créer une identité professionnelle. Ils sont une colonne vertébrale qui donne une cohésion, un sentiment d’appartenance. Ils favorisent explicitement la solidarité et le soutien mutuel.
Cet esprit de corps présent dans chaque profession (voir dans chaque entreprise) a hélas de nombreux inconvénients. Et ces inconvénients sautent aux yeux à chaque scandale.
On pourrait les résumer ainsi : ne pas entendre, ne pas voir, ne pas dire.
Et cela correspond à des mécanismes bien connus :
- Biais d'endogroupe : favoriser son propre groupe au détriment des autres.
- Conformisme : adopter les opinions ou comportements du groupe.
- Biais de confirmation : chercher des informations qui confirment les croyances ou décisions du groupe.
- Pensée de groupe : maintenir l'unanimité, inhiber la critique ou l'innovation.
- Biais de statu quo : maintenir les pratiques ou décisions installées.
- Biais d'autorité : influence disproportionnée des figures perçues comme leaders dans le groupe.
Quand dénoncer devient un risque professionnel et social
Pour chaque affaire qui vient devant la justice, nous découvrons de nombreuses victimes ignorées, malgré des signaux d’alerte pourtant flagrants, et ce qui ressemble à une omerta d’une partie des instances.
Et les lanceurs d’alerte peuvent se retrouver coincés entre deux feux. Oui, ils avertissent les instances professionnelles, et/ou la justice. Mais parfois, surprise ! Au lieu d’applaudissements nourris et d’une haie d‘honneur pour leur courage et leur vigilance, ils se retrouvent isolés, ridiculisés, critiqués, ostracisés ou carrément poussé vers la sortie.
Victimes de l’esprit de corps.
Victimes du besoin de préserver l’institution.
Victimes de la nécessité de protéger la cash-machine.
Victimes de ce qui est explicitement inscrit dans certains codes : l’obligation de confraternité.
Ainsi, dans certaines affaires scandaleuses, entre silence, lenteur ou contre-attaque envers les lanceurs d’alerte, les hiérarchies et les instances professionnelles ont semblé plus promptes à protéger l’organisation ou la profession, plutôt qu’à mettre fin aux comportements inacceptables.
La priorité, parfois, semble être de noyer les têtes qui dépassent et de resserrer les rangs. Ces mécanismes montrent comment l’esprit de corps, en protégeant les intérêts du groupe, peut exacerber des dysfonctionnements et empêcher une réponse adéquate face à des comportements gravissimes. C’est immoral. Et sur la durée, c’est un très, très mauvais calcul. Tout, un jour, finit pas se savoir. Et l’effet boomerang est redoutable pour l’image de l’institution qui a pitoyablement failli.
Ce n’est pas qu’une question de règlement intérieur, de code de déontologie ou de loi, mais bien de culture.
Il est temps de repenser l’esprit de corps pour en faire une force de responsabilité, pas un prétexte à l’inaction. C’est nécessaire pour restaurer la confiance, dans notre pays écœuré par un sentiment d’irresponsabilité généralisée.