NDLR : Cet article évoque les problématiques que Marie-Sophie Zambeaux a traité dans un livre passionnant qui vient de sortir chez Dunod : « Recrutement sous influence – Libérez-vous des biais »
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77 % des DRH, 64 % des managers et 63 % des recruteurs en France s’appuient sur leur intuition pour décider lors d’un recrutement, selon une étude PerformanSe de 2023. [1] Autrement dit, une grande partie des professionnels du recrutement fonde des choix décisifs sur un « feeling », souvent influencé par des biais cognitifs inconscients.
Bien que ces biais soient de plus en plus discutés ces dernières années, leur compréhension reste limitée.
La même étude PerformanSe illustre cet écart : 60,7 % des répondants déclarent bien connaître les biais cognitifs, mais 52 % pensent qu’il n’en existe qu’une dizaine influençant les décisions en recrutement, loin de la réalité. Par ailleurs, 21,8 % admettent ne rien ou très peu savoir sur les biais auxquels ils sont exposés.
Ce décalage entre perception et réalité souligne à quel point les biais cognitifs restent mal compris en France, malgré leur impact considérable sur la performance et l’équité des recrutements. C’est ce constat alarmant qui m’a poussée à écrire Recrutement sous influence – Libérez-vous des biais cognitifs, pour mieux cerner et combattre ces mécanismes insidieux.
Les biais cognitifs ne sont pas une simple curiosité intellectuelle. Ils constituent un enjeu concret et urgent pour des pratiques de recrutement plus justes et efficaces. L’objectif de cet article est clair : vous convaincre de leur impact et de la nécessité d’instaurer des garde-fous pour les maîtriser. C’est parti !
🧠 Les biais cognitifs : des raccourcis piégeurs
Un biais cognitif, qu’est-ce que c’est exactement ? Il s’agit d’un mécanisme mental automatique, une sorte de raccourci spontané et inconscient que notre cerveau emprunte pour traiter l’information rapidement. Et, bonne nouvelle, ces biais sont loin d’être inutiles !
Chaque jour, nous sommes confrontés à un véritable marathon décisionnel : près de 35 000 décisions quotidiennes, d’après une étude de l’université de Cornell. Pour éviter la surcharge, notre cerveau a développé des stratégies ingénieuses, en simplifiant les analyses et en optant pour des solutions rapides. Ces biais ne traduisent pas un dysfonctionnement, mais , au contraire, une astuce évolutive qui, bien souvent, nous sauve la mise.
Prenons un exemple simple : vous êtes dans la savane et vous apercevez une créature zébrée se précipitant dans votre direction. Pas le temps de vous interroger sur la nature de l’animal, ses intentions ou son pedigree génétique ! Votre cerveau, grâce à ces raccourcis mentaux, vous ordonne de fuir immédiatement. Résultat : vous êtes sain et sauf !
Cependant, là où ces mécanismes nous rendent service dans des situations simples ou urgentes, ils peuvent devenir un véritable obstacle lorsqu’il s’agit de prendre des décisions stratégiques. Recruter un collaborateur, promouvoir un talent ou choisir un investissement financier ne sont pas des choix qui devraient reposer sur des intuitions ou des impressions fugaces.
🕹️ Le cerveau, deux systèmes en action
Pour comprendre pourquoi ces biais nous induisent parfois en erreur, il faut se pencher sur le concept des deux systèmes de pensée, théorisé par Daniel Kahneman dans Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée :
- Système 1 : rapide, instinctif, automatique. Idéal pour les réflexes du quotidien, comme freiner à un feu rouge ou attraper une porte qui se ferme.
- Système 2 : plus lent, analytique et rigoureux. Indispensable pour réfléchir en profondeur, que ce soit pour résoudre une équation complexe, évaluer un candidat ou décider d’un plan stratégique.
Le problème ? Notre cerveau préfère économiser son énergie, et c’est le système 1 qui prend le dessus dans 95 % des cas. Un mode opératoire pratique au quotidien, mais qui peut sérieusement compromettre la qualité de nos décisions lorsqu’il faudrait basculer sur le système 2.
C’est particulièrement vrai en recrutement, où laisser les biais guider nos choix peut entraîner des erreurs coûteuses. Alors, pour les décisions clés, prenons le temps de ralentir, d’analyser et de mettre en place des garde-fous pour limiter l’impact de ces mécanismes automatiques.
🧠 Les biais cognitifs : ces invités indésirables du recrutement
25 %. C’est le taux de désaccord entre deux recruteurs lorsqu’ils évaluent enemble deux candidats en entretien. Ce chiffre, tiré de Noise : Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter (Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein), peut sembler acceptable à première vue. Après tout, une divergence sur un quart des cas, ce n’est pas dramatique, non ?
Mais attention : cette statistique s’applique à une situation très simple, avec seulement deux candidats en lice. Imaginez maintenant que vous commencez avec 50 candidatures initiales : les risques d’erreur ou de désaccord explosent à mesure que le nombre de choix augmente.
Et pourquoi ces erreurs surviennent-elles ? Parce que le recrutement est un terrain fertile pour les biais cognitifs. Voici trois exemples de ces pièges invisibles :
- Le biais de confirmation : Ce réflexe pousse à privilégier les informations qui confirment une première impression. Exemple typique : un recruteur convaincu qu’un candidat issu d’une grande école est brillant cherchera inconsciemment des éléments qui valident cette idée, en écartant ceux qui pourraient la contredire.
- Le biais d’affinité (ou syndrome du scarabée) : Nous avons tendance à privilégier les candidats qui nous ressemblent, que ce soit par leurs parcours, centres d’intérêt ou valeurs. Résultat ? Une diversité limitée et des équipes uniformes qui freinent l’innovation.
- L’effet de contraste : Quand l’évaluation d’un candidat est influencée par celle des précédents. Par exemple, après plusieurs profils décevants, un candidat moyen peut paraître exceptionnel.
Ces biais, bien qu’invisibles, ont des conséquences bien réelles sur la qualité des décisions prises.
❌ Recrutement sans biais : un enjeu stratégique incontournable
Aussi, laisser les biais cognitifs dicter nos choix, c’est mettre en péril l’objectivité, l’équité et l’efficacité des recrutements. Les conséquences peuvent être lourdes, tant pour l’organisation que pour ses collaborateurs :
- Passer à côté de talents prometteurs, écartés pour des raisons superficielles ou subjectives.
- Recruter des profils inadaptés, mal alignés avec les exigences du poste ou la culture de l’entreprise.
- Accroître le turnover : un mauvais choix de recrutement conduit souvent à des départs prématurés, coûteux et chronophages.
- Baisser la performance individuelle et collective, les erreurs de recrutement pouvant affecter la dynamique d’équipe et freiner l’atteinte des objectifs.
- Engendrer des coûts élevés : selon Manpower, une erreur de recrutement peut coûter entre 30 000 et 150 000 euros, sans compter les frais liés au remplacement.
- Nuire à la motivation des équipes : une embauche inadaptée peut créer des tensions, démotiver les collaborateurs et affaiblir la cohésion interne.
- Porter atteinte à la diversité : les biais renforcent souvent des pratiques d’exclusion implicites, limitant ainsi l’innovation et l’ouverture d’esprit au sein des équipes.
En parallèle, l’image employeur peut également en souffrir. Des pratiques biaisées en recrutement donnent une impression d’injustice et d’arbitraire, ce qui peut dissuader les meilleurs talents de postuler ou inciter ceux déjà en poste à chercher ailleurs.
Pour les organisations, ces erreurs répétées s’avèrent coûteuses, non seulement financièrement, mais aussi en termes d’agilité et de compétitivité sur le long terme. Il est donc primordial de mettre en place des méthodes, techniques et garde-fous pour se prémunir au maximum des biais cognitifs.
🔎 Structurer pour mieux recruter : la clé pour neutraliser les biais cognitifs
Pour réduire l’impact des biais cognitifs et améliorer la qualité des décisions en recrutement, il est essentiel de réfléchir, bien en amont, à la manière dont les décisions seront prises. Les étapes du processus, les critères d’évaluation, les rôles de chacun… tout doit être clairement défini avant de débuter.
Pourquoi ? Parce qu’un processus flou ou variable d’un candidat à l’autre ouvre grand la porte aux biais et à l’arbitraire.
Voici les étapes clés pour construire un processus de recrutement structuré et solide :
- Recueillir le besoin : Identifier les critères essentiels pour le poste (idéalement 7 à 10 critères objectifs et mesurables).
- Définir un planning précis : Fixer des délais clairs pour chaque étape (temps de réponse après réception des candidatures, nombre de jours avant le premier entretien, etc.).
- Clarifier les étapes : Préciser le nombre d’étapes du processus, les méthodes d’évaluation utilisées et les interlocuteurs impliqués.
- Établir des règles de fonctionnement : Qui prend la décision finale ? Qui rencontre les candidats à chaque étape ?
- Normer les critères d’évaluation : Utiliser une échelle et des seuils définis à l’avance, avec une grille d’évaluation standardisée.
- Constituer une équipe dédiée : Former une équipe de recruteurs ou d’intervieweurs (habituelle ou ad hoc) pour garantir une cohérence tout au long du processus.
- Utiliser des check-lists : S’assurer que toutes les étapes et évaluations sont effectuées de manière rigoureuse et homogène.
Cette structuration du processus de recrutement est essentielle pour contenir les biais cognitifs. Elle permet de transformer une décision complexe – recruter ou non un candidat – en une série de jugements simples, fondés sur des critères objectifs et partagés.
Et parmi les outils à disposition des recruteurs, s’il ne fallait en retenir qu’un seul, ce serait l’entretien structuré. C’est de loin le plus efficace. En effet, l’entretien structuré est deux fois plus fiable que l’entretien non structuré pour prédire la réussite future d’un candidat dans un poste donné [3].
Conclusion
Même en 2025, les biais cognitifs continuent de parasiter les pratiques de recrutement. Doucement, sûrement, insidieusement. Pourtant, recruter va bien au-delà de choisir un candidat : c’est un acte stratégique engageant la performance globale d’une organisation.
En réduisant l’influence des biais à chaque étape, on améliore la qualité des recrutements, on protège l’entreprise des risques inutiles et on favorise un environnement de travail plus juste et inclusif.
Les biais cognitifs représentent un défi mais aussi une opportunité : celle de bâtir des pratiques de recrutement modernes, éthiques et performantes. Alors, prêt(e) à relever ce défi ? Découvrez les outils concrets dans Recrutement sous influence – Libérez-vous des biais cognitifs 😉.
Références
[1] Baromètre « La place de l’intuition dans le recrutement » - WeSuggest-PerformanSE - 2023
[2] Livre « Recrutement sous influence – Libérez-vous des biais cognitifs » de Marie-Sophie Zambeaux : Recrutement sous influence - Libérez-vous des biais cognitifs - Livre Ressources humaines de Marie-Sophie Zambeaux - Dunod
[3] Etude « Revisiting Meta-Analytic Estimates of Validity in Personnel Selection Addressing Systematic Overcorrection for Restriction of Range » - Sackett, P. R., Zhang, C., Berry, C. M., & Lievens, F.| Journal of Applied Psychology | a40e852d5975086111dcd359967400cc5150.pdf (semanticscholar.org)