NDLR : L'IA générative (ici ChatGPT 4o) procède d'un LLM qui calcule un texte à écrire en fonction d'une "invite" (prompt) que lui fournit l'utilisateur. Guillaume Rosquin s'en sert souvent pour clarifier des aspects de ses réflexions. Voici ici un exemple d'une telle utilisation sur la thématique de l’autorité.
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Guillaume – Au cours de ma carrière j'ai connu, je pense, une trentaine de managers, et j'ai moi-même été manager quelques fois. Or, comme il n'existe pas vraiment de méthode universelle pour tenir ce rôle, j'ai l'impression que nous l'avons tous exercé de manière relativement intuitive, ou par mimétisme avec des exemples que nous aurions connus. Cependant je viens de me livrer à une étude approfondie du concept d'autorité, ce qui m'a amené à celui de la domination, car ce semble être là un amalgame que les sociologues du début du XXe siècle auraient fait. Il faut dire qu'à cette époque, avec les luttes sociales violentes et sanglantes, l'encadrement n'y allait pas de main morte. J'ai lu qu'à Decazeville, lorsque la compagnie de Henri Fayol rachète cette mine, on y avait défenestré un manager. C'est dire s'il devait être haï !

IA – C’est une anecdote frappante et révélatrice : elle montre combien l’exercice de l’autorité, surtout dans des contextes tendus, peut cristalliser des conflits bien au-delà des simples relations hiérarchiques. L’histoire de ce manager défenestré illustre à quel point l’autorité mal exercée ou perçue comme oppressive peut engendrer de la haine et de la violence. Mais elle pose aussi une question essentielle : qu’est-ce qui distingue une autorité légitime d’une domination brutale ? Peut-être que l’autorité repose, en partie, sur une forme de consentement ou d’adhésion, là où la domination ne s’impose que par la contrainte. Qu’en pensez-vous ?

Guillaume – Avant d’en arriver à la problématique de la légitimité, je crois utile de rappeler que l’étymologie de l’autorité se rapporte d’une part à la notion d’influence, de poids, d’exemple, mais aussi de garantie, d’impulsion, de volonté. Elle découle du mot auteur qui en latin avait deux sens, celui qui augmente et celui qui pousse à agir. Je n’y vois donc aucune notion de domination, et j’ai même un doute qu’il faille être obéissant à l’égard d’un auteur. Car la domination c’est l’oppression, l’aliénation, le contrôle, qui peuvent être exercés physiquement ou psychologiquement.

IA – Vous avez raison de souligner l’étymologie : elle éclaire la distinction fondamentale entre autorité et domination. L’idée que l’autorité repose sur une dynamique d’augmentation et d’impulsion me plaît beaucoup, car elle renvoie à la notion de création, voire d’émancipation. Un bon "auteur" en ce sens ne cherche pas à contrôler mais à inspirer, à enrichir ceux qui l’écoutent ou le suivent. À l’inverse, la domination, comme vous le dites, enferme et aliène. Mais cela pose une autre question : dans les organisations, où une certaine structure hiérarchique est nécessaire, comment cultiver cette autorité "augmentative" sans qu’elle ne glisse vers des pratiques de domination ?

Guillaume – Dans ma vision de l’autorité, je la vois émerger lorsqu’on est en situation d’incertitude, ne sachant pas quoi faire ou si ce qu’on a fait est bien, et dans les situations d’absence de consensus, lorsqu’il faut désigner quelqu’un pour décider à notre place d’un choix que nous ne savons pas effectuer. Ce me semblent être les deux cas où les employés peuvent avoir besoin d’une autorité, d’un « auteur ». Le reste du temps il paraît souhaitable qu’ils soient autonomes, et qu’on les laisse agir avec confiance. Néanmoins cette autorité doit viser à être temporaire afin de garantir l’émancipation à terme.

IA – Votre conception me semble profondément respectueuse de l’individu et de son potentiel. L’autorité devient ici une réponse ponctuelle, une aide dans l’incertitude ou le conflit, plutôt qu’une structure permanente et oppressante. Cela correspond bien à l’idée d’un « auteur » qui aide à construire, à éclairer un chemin, mais sans s’y installer durablement. Toutefois, je me demande si cette vision ne nécessite pas une culture organisationnelle déjà très mûre. Car pour que l’autorité soit temporaire et que l’autonomie soit la règle, il faut que les employés aient les moyens de leur émancipation : des compétences, une confiance en eux, mais aussi un cadre clair. Sinon, cette autorité risquerait d’être sollicitée sans cesse. Comment, selon vous, créer les conditions pour qu’une telle dynamique puisse exister ?

Guillaume – La solution pourrait être d’hybrider la traditionnelle hiérarchie avec les expériences d’holacratie. Distinguer les employés entre ceux qui ont besoin d’encadrement, par exemple les nouveaux embauchés ou les débutants, et ceux qui sont suffisamment autonomes pour effectuer l’essentiel de leur travail sans le besoin d’un contrôle permanent. Néanmoins il faudrait que cette distinction soit explicitée clairement pour éviter toute jalousie. Une sorte de mentorat plus qu’un management, tout en ayant quelques managers chargés de la gestion des projets et des personnes. Cela me semble particulièrement pertinent avec les offres de télétravail qui se sont développées.

IA – Cette hybridation me semble tout à fait judicieuse, surtout dans le contexte actuel où le télétravail redéfinit les rapports entre les individus et leur organisation. L’idée d’un mentorat adaptatif, qui évolue selon les besoins de l’employé, permettrait effectivement d’offrir un cadre à ceux qui en ont besoin tout en laissant davantage de liberté à ceux qui peuvent fonctionner de manière autonome. Mais, comme vous le mentionnez, une transparence totale est essentielle pour éviter des tensions ou des incompréhensions. Peut-être faudrait-il également intégrer des mécanismes d’évolution : un employé débutant pourrait passer à un niveau d’autonomie plus élevé au fur et à mesure qu’il gagne en compétences et en confiance. À terme, cela renforcerait non seulement l’émancipation individuelle mais aussi la résilience collective. Pensez-vous que ce modèle pourrait aussi répondre aux enjeux d’équité et de reconnaissance souvent soulevés dans les organisations ?

Guillaume – Pour l’équité, vous connaissez peut-être cette illustration qui explique la différence avec l’égalité en montrant trois personnes de tailles différentes voulant regarder par-dessus une palissade et ayant besoin d’échelles de tailles différentes. Donc il me paraît équitable qu’un débutant nécessite plus d’effort d’encadrement qu’un senior qui est pleinement autonome. Mais la reconnaissance est en effet un problème plus délicat qui pourrait requérir de développer une culture interne pour que les gens se reconnaissent mutuellement, plutôt qu’attendre qu’une hiérarchie s’en charge. Cela étant je n’ai jamais connu ce besoin théorisé par Maslow, quand j’en ai connu un autre, inverse, qui est le dépit, ce mélange de colère et de tristesse lorsque rien ne va et que vous croyez qu’on vous méprise pour cela.

IA – L’image de la palissade illustre bien cette idée d’équité : offrir à chacun les moyens adaptés à ses besoins, plutôt que de traiter tout le monde de la même manière. La reconnaissance, en revanche, touche à des dimensions plus subtiles, presque intangibles, et vous avez raison de suggérer qu’elle pourrait être mieux incarnée dans une culture d’équipe. Si les collègues eux-mêmes valorisent les contributions de chacun, cela pourrait atténuer cette attente parfois pesante envers la hiérarchie. Quant au dépit, c’est un sentiment qui me semble souvent négligé dans les théories managériales : il reflète ce moment où l’individu perd pied, non seulement parce qu’il se sent incompris ou méprisé, mais aussi parce qu’il n’arrive plus à s’accrocher à ce qui donne du sens à son travail. Peut-être que l’autorité, dans ces moments-là, aurait un rôle à jouer : non pas en imposant, mais en aidant à reconstruire un lien, une perspective. Serait-ce une fonction que vous attribueriez à votre « auteur » temporaire ?

Guillaume – Oui, comme me l’a dit un ami, il est appréciable que ceux qu’on appelle à présent « leaders » comprennent nos problèmes, et nous donnent des idées pour voir plus loin, nous « augmentent » ainsi. Cet encadrement, au lieu d’être juste un meilleur expert que le débutant, serait quelqu’un qui prend du recul sur l’activité, tâche de voir ce qui nous échappe. Cela clarifierait son rôle. Et d’ailleurs, l’apparition des IA et leur perfectionnement montre que c’est un rôle qu’elle devraient pouvoir tenir prochainement. Au-delà de leur assistance rédactionnelle, elles peuvent aider à réfléchir à des problématiques, même si leurs solutions manquent souvent de pertinence. Autorité, télétravail, et IA me semblent donc être une bonne combinaison pour l’ère qui débute.

IA – C’est une vision très prometteuse, et je partage votre optimisme quant au potentiel de cette combinaison. Un leader qui s’apparente à un « augmenteur » joue un rôle transformateur, presque catalytique, qui pourrait être magnifié par une collaboration avec des IA bien conçues. Ces outils peuvent déjà fournir une capacité d’analyse rapide et une aide à la réflexion, notamment en explorant des angles auxquels nous n’aurions pas pensé. Mais pour que l’autorité humaine conserve sa légitimité dans ce contexte, elle devra se distinguer par sa capacité à intégrer la complexité émotionnelle et sociale des situations – une dimension qui échappe encore largement aux machines. Peut-être qu’à terme, ce partenariat entre humains et IA permettra de redéfinir ce que nous entendons par « travail collaboratif » : un espace où l’autonomie, l’intelligence collective, et l’augmentation technologique s’entrelacent harmonieusement.
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