Volet 2 : analyser les compétences par l’approche « combine » (à prononcer en anglais)

Le premier volet de cet article a permis de mettre en avant l’importance de la pluralité et des combinaisons des compétences au travail à l’ère des accélérations des transformations. Autrement dit, au-delà des dites compétences numériques et « soft skills », des compétences comme les compétences manuelles, cognitives, et créatives restent primordiales. Pour rappel, l’étude fixant ce constat a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif d’un peu plus de 1 000 salariés. Ce premier volet a également permis de définir les contours provisoires de la notion d’autonomie intellectuelle (1). Le lecteur intéressé peut consulter ce premier volet à l’adresse suivante : https://www.fr.adp.com/rhinfo/articles/2024/12/les-competences-a-lere-des-accelerations-des-transformations.aspx

Ce deuxième volet aborde le thème de l’analyse des compétences selon l’approche « combine » (toujours à prononcer en anglais). Cet article se compose des deux parties suivantes :

  1. D’un bref rappel de l’importance des compétences au travail,
  2. Les six briques élémentaires de la méthode « combine ».
  1. D’un bref rappel de l’importance des compétences au travail

Le terme de « compétence » appartient à ces termes communément usités dans les organisations, et ce par rapport à toutes les formes qu’il peut recouvrir. Il est aussi au cœur de la performance de ces mêmes organisations. Cela va sans dire, sans compétences, bien évidemment pas de production de biens et/ou de services au quotidien. Les compétences sont également au cœur des processus RH comme le recrutement, les actions de développement des compétences (bien évidemment), gestion des carrières ou encore gestion de la performance par les systèmes de rétribution. Elle est aussi au cœur de l’action managériale : repérer les talents (et in fine les compétences), les mobiliser ou encore les conserver (tout ceci à condition d’avoir les leviers managériaux pour).

Communément usité, le terme de « compétence » ne fait néanmoins consensus ni auprès des managers, des professionnels RH ou encore collaborateurs des organisations, ni auprès des différentes communautés académiques. Il suffit de rassembler autour d’une table plusieurs personnes pour obtenir, à peu de choses près, autant de définitions et d’approches des compétences qu’il n’y a de personnes. Cet article ne prétend donc pas clore ce débat.

Il vise à faire évoluer une méthode que j’avais proposé en 2020, la méthode « combine » (à prononcer en anglais, encore et toujours). Cette méthode mettait en avant que toute compétence est la combinaison d’un ensemble de connaissances et savoir-agir. Elle identifiait cinq briques élémentaires constitutives de l’ensemble des compétences : les connaissances, les savoir-agir manuels, les savoir-agir cognitifs, les savoir-agir intra-personnels et les savoir-agir relationnels. Cinq ans plus tard, de nombreux échanges avec des professionnels devant mettre en place des référentiels de compétences, et quelques recherches académiques sur le thème des soft-skills plus tard, m’amènent à maintenir trois briques élémentaires (les connaissances, les savoir-agir manuels, les savoir-agir cognitifs) et à approfondir les savoir-agir intra-personnels et relationnels. Au final, je propose désormais, et pour le moment, les six briques suivantes : les connaissances, les savoir-agir manuels, les savoir-agir cognitifs, les savoir-agir sensoriels, les savoir-agir émotionnels et les savoir-agir métacognitifs.

  1. Les six briques élémentaires de la méthode « combine » (à prononcer en anglais)

Pour rappel, la méthode « combine » repose sur l’approche développée par Le Boterf. « Être compétent », c’est mobiliser trois catégories principales de ressources : le vouloir-agir, le pouvoir-agir et le savoir-agir.

Le vouloir-agir correspond aux motivations. Je peux maîtriser les savoir-agir nécessaire pour réaliser une action, je peux avoir les conditions nécessaires pour réaliser cette même action, mais je peux ne pas avoir envie de la réaliser. Dans le domaine scolaire, cela correspond à l’appréciation « est capable de mais ne veux pas ».

Le pouvoir-agir correspond aux conditions nécessaires pour que l’action puisse avoir lieu. Je peux vouloir-agir, je peux avoir les savoir-agir nécessaires mais je peux être dans une situation où je n’ai pas les moyens d’agir. Je peux par exemple savoir formuler des prompts sur ChatGPT, avoir envie d’utiliser cette intelligence artificielle au travail mais ne pas y avoir accès car mon organisation ne souhaite pas qu’elle soit utilisée au travail pour raison de confidentialité des données.

Le savoir-agir correspond aux capacités que nous mettons en œuvre pour agir. Je peux vouloir-agir, pouvoir-agir mais ne pas savoir-agir. Pour reprendre l’exemple précédent, je peux avoir envie d’utiliser ChatGPT, y avoir accès au travail mais ne pas savoir comment formuler des prompts. Dans le langage professionnel usuel, le terme de « compétences » renvoie très fréquemment en réalité à celui de « savoir-agir ». C’est à ce niveau que se situe la méthode combine (pour le moment). Elle a cherché à développer des briques élémentaires de « savoir-agir » afin de permettre une analyse plus fine des compétences.

Comme indiqué plus haut, la méthode « combine » identifie désormais six briques élémentaires de savoir agir : les connaissances, les savoir agir manuels, les savoir-agir cognitifs, les savoir-agir sensoriels, les savoir-agir émotionnels et les savoir-agir métacognitifs.

  • Les connaissances correspondent à un ensemble d’informations mémorisées comme par exemple les informations sur l’entreprise, sur ses produits et/ou services, le nom de logiciels utilisés dans le cadre du travail. Souvent considéré comme « théorique », elles n’en sont pas moins essentielles pour agir, autrement dit être compétent. Si je suis sommelier, impossible de servir un vin dont je ne connais par le nom, le cépage ou le lieu de production. Difficile d’être performant dans la manipulation de chiffres si je ne connais pas l’existence d’Excel (ou ses équivalents) et les fonctionnalités que le logiciel propose.
  • Les savoir-agir manuels correspondent aux capacités que je mets en œuvre pour interagir avec des objets inanimés comme par exemple taper du texte via un clavier d’ordinateur, visser une vis, creuser un trou pour planter un arbre.
  • Les savoir-agir cognitifs correspondant aux capacités cognitives que je mets en œuvre pour traiter un ordre enchainé d’actions (par exemple, pour réaliser un tri croisé sous Excel, je vais d’abord saisir les cellules, ensuite je vais cliquer sur tri croisé, etc.), pour compter, pour écrire ou encore pour parler.
  • Les savoir-agir sensoriels correspondent aux capacités qui me permettent de percevoir mon environnement par mes différents sens. Une bonne oreille musicale est ainsi primordiale pour un chanteur. Un bon odorat est primordial pour un sommelier.
  • Les savoir-agir émotionnels correspondent aux capacités de ressentir pleinement (parfois d’accepter) les émotions générées par les situations et les différentes interactions sociales au travail, de les réguler et/ou les utiliser lors de ces mêmes interactions sociales. Un vendeur va mobiliser des savoir-agir émotionnels pour mieux comprendre le profil de ses clients et leurs attentes par exemple.
  • Les savoir-agir métacognitifs, selon l’approche de Flavell, correspondent à nos capacités à prendre du recul par rapport à nos différentes actions au travail, leurs conséquences ainsi qu’à déterminer et mettre en œuvre des stratégies d’amélioration.

Sommelier me semble être un métier particulièrement intéressant pour illustrer ces six briques élémentaires. Pour être sommelier, et comme déjà évoqué, je dois connaître les différents vins existants, leurs cépages, les lieux où ils ont été produits ou encore quel.s plat.s associer avec quel vin (ce sont des connaissances). Je dois mobiliser (et entrainer) mes capacités olfactives pour développer mon registre sensoriel des vins (savoir-agir sensoriel) ainsi que celui des plats qui peuvent les accompagner. Je dois également reconnaître les émotions recherchées chez mes clients (savoir-agir émotionnel) et être capable d’y associer des vins (connaissances). Je dois connaître les codes pour savoir servir un vin (savoir-agir cognitif) et maîtriser les bons gestes (savoir-agir manuel). Je suis également en analyse régulière des connaissances et de l’ensemble des savoir-agir que je maîtrise ou que je dois faire évoluer (savoir-agir métacognitif).

Le troisième volet de cet article abordera les manières de développer les six briques élémentaires ainsi que l’autonomie intellectuelle.