NDLR : L'IA générative (ici ChatGPT 4o) procède d'un LLM qui calcule un texte à écrire en fonction d'une "invite" (prompt) que lui fournit l'utilisateur. Guillaume Rosquin s'en sert souvent pour clarifier des aspects de ses réflexions. Voici ici un exemple d'une telle utilisation sur la thématique du management.
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Guillaume – Qu’on l’appelle commandement ou management, le fait de diriger des gens me paraît être quelque chose de particulier, à mi-chemin entre technique, art, science, et philosophie. Il se sert d’outils (eg. planification, organisation), de connaissances (eg. psychologie, philosophie), requiert un peu de don (charisme) et éventuellement d’expérience. Or en regard de ceux qui commandent, il y a ceux qui sont commandés, qui n’obéissent pas toujours, qui ne réagissent pas comme des outils ou même comme des animaux de travail (chien, cheval). Ainsi, pour résoudre un problème, ils peuvent avoir leur solution favorite qui diffère de celle voulue par l’autorité, leur propre méthodologie. De ce fait certains managers sont tentés d’individualiser le commandement pour le rendre singulier à chacun.

Or si chacun a son propre avis – pour paraphraser Socrate dans l’Alcibiade à propos de la connaissance de la langue – c’est qu’en définitive personne ne sait réellement ce qu’il faut faire.

Cette problématique est ancienne comme le montre l’Économique de Xénophon.

I.A.– Vous touchez ici à une tension fondamentale du management : l’équilibre entre le collectif et l’individuel. Individualiser le commandement, c’est reconnaître la singularité de chaque membre d’une équipe, mais risquer aussi de diluer l’unité d’action. À l’inverse, imposer une méthodologie unique peut garantir la cohérence mais étouffer la créativité ou l’engagement. La véritable habileté du manager réside donc dans sa capacité à naviguer entre ces deux pôles, comme un chef d’orchestre qui, tout en suivant une partition commune, sait ajuster sa direction selon les nuances et talents de ses musiciens. C’est cet art subtil, au croisement de la technique et de la philosophie, qui confère au management sa complexité fascinante.

Guillaume – Il faut alors peut-être y distinguer le cas de l’entreprise qui démarre de celle qui est bien établie, est devenue une institution. Si dans le premier cas il faut être dynamique et créatif pour parvenir à cerner comment assurer la prospérité du projet, dans le second il s’agit plus de conserver une organisation rodée et efficace, tout en essayant de l’optimiser. Dès lors les attentes à l’égard des travailleurs ne sont pas les mêmes. Xénophon montrait bien cette dichotomie en ayant scindé son ouvrage en deux parties. Y suggérant que sans capital de départ on ne peut pas faire grand-chose.

I.A. – Absolument, et cette distinction est cruciale. Une entreprise naissante nécessite un leadership entrepreneurial, où l’innovation, l’agilité, et une certaine prise de risques sont primordiales. Les collaborateurs y sont souvent plus polyvalents, impliqués dans plusieurs domaines, et on valorise leur capacité à improviser. En revanche, une entreprise bien établie repose sur des processus structurés et des attentes claires, ce qui demande un style de management plus orienté vers l’optimisation et la continuité. Cela ne signifie pas pour autant que la créativité disparaît, mais elle s’inscrit dans un cadre plus précis, souvent sous forme d’améliorations incrémentales. Ainsi, le rôle du manager évolue également : il passe de bâtisseur à gardien, puis, idéalement, à stratège.

Guillaume – Nous devons alors y distinguer l’entrepreneur du middle-manager. Au départ l’entrepreneur est seul (ou avec quelques associés) et assure le rôle de management, alors que dans l’institution qui s’est étoffée, conservant éventuellement son fondateur à sa tête, le management est délégué à des employés qui assurent le relai de la stratégie et du leadership central. Une question se posera donc quant à l’authenticité de ces managers, ou s’ils doivent être des suppôts du CEO. Dans le premier cas ils apporteront leur originalité, ce qui peut nuire à la cohésion de l’ensemble, dans le second cela les met dans un rôle d’acteur de composition, situation qui peut être stressante lorsqu’on n’y est pas disposé.

I.A. – Effectivement, cette distinction révèle un enjeu central : l’alignement entre l’identité des managers intermédiaires et la vision du leader. Si le middle-manager est trop original, il risque de dévier de la stratégie globale, mais s’il se contente de suivre aveuglément, il peut perdre son authenticité et devenir inefficace. L’idéal serait de former des managers capables d’intégrer la vision du CEO tout en la traduisant avec leur propre style, adapté aux spécificités de leur équipe. Cela demande une forte intelligence situationnelle et une excellente communication, mais surtout un environnement où la voix des managers est entendue et respectée. Dans ce modèle, le middle-manager devient un pont entre stratégie et exécution, plutôt qu’un simple exécutant ou un électron libre.

Guillaume – Venons-en à l’exercice de l’autorité, qui, contrairement à ce que disait Xénophon, n’est pas que de commander les exécutants pour qu’ils réalisent les tâches que l’organisation leur a dévolu, mais requiert qu’ils jouissent d’un certain bonheur dans leur travail, et qu’ils puissent progresser pour rester employables. On peut y voir ici une tension entre vouloir que les employés restent à leur place dans l’organisation, permettent une stabilité de l’ensemble, et la volonté des employés de varier leurs emplois, tenter d’autres expériences, évoluer à leur manière. Ces diverses forces qui agissent sur les gens, et se répercutent sur l’institution, sont-elles conciliables ?

I.A. – Cette tension est au cœur de la gestion des ressources humaines modernes. Le manager doit concilier les aspirations individuelles des employés avec les besoins de stabilité et de performance de l’organisation. Cela exige de créer un environnement où les employés voient leur développement personnel comme aligné avec celui de l’entreprise. Cela passe par des opportunités de formation, des mobilités internes, et une reconnaissance qui valorise leurs contributions sans nécessairement les confiner. Le défi est de faire comprendre que progresser ne signifie pas toujours "changer de place", mais parfois approfondir son rôle, élargir ses compétences ou s’investir dans des projets transversaux. Ainsi, le bonheur et la stabilité ne sont plus des contraires, mais des alliés dans une dynamique bien orchestrée.

Guillaume – J’ai alors remarqué que chaque personne parvient à une sorte de plafond, soit parce que progresser encore les amène à une trop forte complexité pour leurs moyens, soit parce qu’ils se sont trouvés un niveau de confort qui leur convient, les satisfait. Parfois ce plafond peut être très haut comme on le voit avec Elon Musk dont on peut se demander jusqu’où il ira. Mais plus humblement certaines personnes peuvent se plaire à travailler comme assistant toute leur vie. Or je trouve qu’on voit peu de publications sur ce phénomène. Comme si cette finitude du travailleur pouvait choquer des valeurs morales.

I.A. – Vous soulignez une réalité souvent négligée : chacun atteint, consciemment ou non, un équilibre entre ambition, compétence et satisfaction personnelle. Ce "plafond" peut sembler un frein vu d’un point de vue purement productiviste, mais il peut aussi être interprété comme une sagesse individuelle, un choix d’harmonie avec soi-même. Dans des sociétés valorisant la progression constante, ce phénomène est parfois perçu comme une forme d’échec ou de renoncement. Pourtant, comprendre et respecter ces plafonds est essentiel pour éviter des situations d’épuisement ou de frustration. Un management éclairé devrait accompagner cette réflexion, en aidant chacun à trouver son rythme, sans jugement, et en valorisant toutes les contributions, qu’elles soient ambitieuses ou modestes.

Guillaume – Est-ce qu’alors des théories comme celles de Deci & Ryan ne sembleraient pas présomptueuses, puisque nous parlons ici des réalités du terrain ? Ainsi dans mes expériences de middle-manager j’ai agi pour que mes équipiers soient autonomes et compétents, mais je me suis alors fait incendier par mes propres managers qui n’admettaient pas que je n’applique pas le principe de subordination tel que l’a spécifié la Cour de Cassation en 1993. Avec le recul je me dis que j’étais sans le savoir pris dans les « degrés d’Overton », appliquant ce qui paraissait encore radical aux yeux de la « policy » que voulaient appliquer mes N+1, tout en semblant en accord avec mes N+2 (directeurs).

I.A. – Votre expérience illustre parfaitement le décalage fréquent entre les idéaux des théories modernes comme Deci & Ryan, qui valorisent autonomie et compétence, et les contraintes institutionnelles, notamment juridiques ou culturelles, qui prévalent dans bien des organisations. En cherchant à émanciper vos équipiers, vous avez peut-être devancé l’évolution culturelle de votre entreprise, heurtant des cadres encore attachés à un modèle hiérarchique traditionnel. Ce décalage entre niveaux hiérarchiques reflète aussi les « degrés d’Overton » en action : ce qui est acceptable ou encouragé par la direction stratégique peut paraître trop novateur, voire risqué, aux niveaux intermédiaires. Cela montre que manager avec clairvoyance implique non seulement de comprendre son équipe, mais aussi de naviguer habilement dans les attentes parfois discordantes de ses propres supérieurs.

Guillaume – Est-ce que pour conclure cet échange, et compléter ce qu’expliquait Xénophon, vous sauriez nous prodiguer un conseil pour les CEO (et leur service RH par délégation) sur la manière de choisir leurs middle-managers, soit par promotion interne soit par recrutement ?

I.A. – Le choix des middle-managers doit s’appuyer sur une vision stratégique claire des besoins actuels et futurs de l’entreprise. Une promotion interne valorise la connaissance de la culture et des processus internes, mais elle doit être réservée à des collaborateurs ayant montré non seulement des compétences techniques, mais aussi une aptitude au leadership et une capacité d’adaptation. Le recrutement externe, quant à lui, peut apporter des perspectives nouvelles, mais nécessite un effort supplémentaire d’intégration culturelle. Idéalement, le processus devrait évaluer à parts égales les compétences opérationnelles, la capacité à incarner la vision du CEO, et les qualités relationnelles. Enfin, il est crucial d’investir dans la formation continue des middle-managers pour qu’ils évoluent avec l’entreprise, devenant ainsi des relais authentiques et efficaces entre la stratégie et le terrain.