Pas de performance au travail sans satisfaction des besoins fondamentaux du salarié

Le travail est malade

Des managers brillants sont désemparés quand ils doivent accommoder les besoins de flexibilité des jeunes à la soi-disant « vieille école » des seniors. Le recrutement entre les hommes et les femmes se fait parfois au détriment des premiers sous le prétexte de l’égalité entre eux. Et la prise en compte des critères écologiques dans la stratégie de l’entreprise ne rend pas forcément les salariés plus heureux au travail.

 L’enquête de l’ADP Research Institue, People at Work 2024 de Workforce View pointe qu’en Europe 47% des salariés sont stressés dans des proportions notables, dont 16 % fortement. Si le salaire et la sécurité au travail se classent parmi les premières revendications des salariés toutes provinces confondues, le désir d’épanouissement au travail atteint 30% dès la tranche d’âge des 35-44 ans pour atteindre 45% pour les plus de 55 ans.

L’entreprise a cependant mis en œuvre dans son mode de gouvernance, des critères qui visent à l’égalité, l’éthique ou l’environnement. Les salariés continuent à se désengager de leur travail et ce n’est pas un phénomène générationnel.

Qu’est ce qui ne fonctionne pas ?

L’effet miroir de la DEI et de l’ESG

Des nouveaux concepts telle la Diversité l’Egalité et I ’Inclusion (ou DEI) ou l’Environnement Social et de la Gouvernance (ESG) ont été introduits en entreprise, notamment chez les grands comptes et les Entreprises de Taille Intermédiaire. Ces derniers font de l’égalité des chances un axe majeur de leur politique de recrutement afin de faire en sorte que tous les individus disposent des mêmes chances, des mêmes opportunités de développement social, indépendamment de leur origine sociale, de leur sexe, des moyens financiers de leurs parents, de leur lieu d’habitation, de leur origine ethnique, de leur orientation sexuelle ou d'un éventuel handicap.

Avec la détermination d’aller au-delà du constat d’une simple égalité des droits, l'égalité des chances consiste principalement à soutenir et accompagner des populations qui font l'objet de discrimination afin de leur garantir une équité de traitement. D’après l’enquête Workforce View, la grande majorité des salariés apprécient principalement les formations relatives à la DEI si parmi eux, les travailleurs interrogés âgés de 55 ans et plus sont presque cinq fois plus susceptibles que les jeunes de 18 à 24 ans de douter de l'efficacité d'une initiative DEI.

Sans doute s'agit-il d’un phénomène de sagesse dû à l’âge…

Quant aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ce sont des grandes catégories qui recouvrent les différents métiers d’une entreprise, et aux possibles impacts sur la société ou l’environnement. D’après l’enquête citée plus haut, 2 travailleurs sur 3 sont satisfaits des initiatives de leur entreprise qui minimisent les changements climatiques et les émissions de carbone. La confidentialité des données (79 %) et la promotion d'un lieu de travail sûr et inclusif (78 %) sont également bien classées. Cependant, Les travailleurs les plus jeunes (18-24 ans) et les plus âgés (plus de 55 ans) ont tendance à se montrer moins satisfaits de la participation de leur entreprise aux activités ESG qui leur tiennent à cœur. Les jeunes travailleurs apprécieraient les actions en matière de respect des droits de l'homme ou celles pour stimuler l'engagement des salariés.

Ne serait-ce pas là un point commun entre les générations ?

De nature morale, les critères de l’ESG sont utilisés en tant qu’élément de mesure de la durabilité de la transition énergétique et écologique (ou soutenabilité) et de l'impact éthique que ce soit dans une société ou dans un domaine économique. Cet ensemble de principes moraux est à la base de la conduite de quelqu'un et ils désignent également un investissement responsable.

« ESG » est un sigle international utilisé par la communauté financière pour marquer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance qui constituent généralement les trois piliers de l'analyse extra-financière. Ces dimensions et les différents critères associés à chacune d’entre elles aident à déterminer la contribution sociétale d'une entreprise sur chacun de ces aspects. Ils permettent également d’élargir et d'enrichir l'analyse de ses futures performances financières, de sa rentabilité et des risques inhérents.

On se souviendra que la rentabilité est la capacité d'un investissement à produire un bénéfice. Concrètement, c'est un rapport entre le revenu qu'il génère et les sommes mobilisées pour l'obtenir. C'est un outil de mesure de la performance pour une entreprise et il peut concerner tout type de structure ou de projet. Faudrait-il comprendre que les démarches de DEI et d’ESG ne porteraient que sur les populations discriminées et que leur objectif serait de fabriquer encore plus de profit pour l’entreprise, ignorant comment la satisfaction au travail est générée ?

Aurait-on oublié que la conduite requise par les critères ESG ou comportement n’est pas la personne agissant selon la norme en vigueur ? L’entreprise s’en contenterait -elle ?

Dans ces conditions, comment s’étonner que l’interaction entre salariés, managers et gouvernances soit devenue plus difficile ? Quel « bénéfice » propre, mise à part une augmentation de salaire, pourrait trouver le salarié en quête de sens dans son activité ? La raison interne pour laquelle il travaille est-elle satisfaite ?

Aurait-on la capacité d’être performant au travail de façon soutenable sans joie, plaisir, ou en être heureux ?

La démarche QVT contribue déjà à la performance de l’entreprise

La norme ISO 26000 de 2011 positionnait la démarche sociétale avec ses trois volets, social, environnemental et économique comme un changement de paradigme pour les entités dont les salariés seraient devenus parties prenantes en coconstruisant une finalité commune ; un but partagé par tous auquel chacun serait reconnu contributif quelle que soit sa place dans la hiérarchie.

Concomitamment à la démarche ISO, est apparue celle de la Qualité de Vie au Travail (QVT). Celle-ci désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises.

Les conditions de travail sont d'une manière générale l'environnement dans lequel les employés vivent sur leur lieu de travail. Elles comprennent notamment la pénibilité et les risques du travail effectué ainsi que les horaires ou l'environnement de travail (bruit, chaleur, exposition à des substances toxiques, ou les délais de production ou de ventes d'un produit) Il s’agit d’un moyen indispensable pour tendre vers un risque travail amoindri dans son environnement. Dans son volet amélioration des conditions de travail, la QVT a pour objectif le déploiement de la performance de l’entreprise. Elle vise notamment à diminuer les jours non travaillés pour cause d’accident du travail ainsi que la cotisation à régler aux caisses sociales assise sur le même objet.

Le paradigme de la QVT actionné de cette façon serait supposé contribuer implicitement à l’engagement des salariés dans leur recherche du sens de leur travail. On passerait ainsi d’un outil objectivant visant à agir sur les facteurs sociaux, psychologiques, environnementaux, organisationnels et physiques qui constituent les causes externes d’insatisfaction de l’environnement de travail ; à son impact induit sur les besoins fondamentaux des individus. Quand ceux-ci ont la nature de raisons internes, personnelles et souvent non identifiées qui, lorsqu’elles sont reconnues et prises en compte, génèrent la satisfaction d’accomplir son activité.

La QVT est sans doute la démarche la plus proche du salarié et nombre de progrès ont été réalisés dans la prévention des risques professionnels. Cependant, la détérioration de la santé mentale représente encore aujourd’hui l’obstacle essentiel à l'émergence du bien-être au travail. Confondre causes externes du mal-être et raisons internes à l’individu favorables au travail est une erreur majeure qui pourrait expliquer les situations de détérioration de la santé mentale du salarié.

Le télétravail, un équilibre entre vie personnelle et professionnelle

L’approche du travail par la QVT porte également sur la problématique de l’équilibre vie privée et vie professionnelle en lien avec le phénomène du télétravail apparu brutalement dans le monde de l’entreprise en même temps que le Covid. D'après une l’analyse de la Dares publiée en novembre 2024, le télétravail connaît aujourd’hui un recentrage parmi les salariés français. Alors que seulement 9 % d’entre eux pouvaient y recourir quelques jours et souvent uniquement pour quelques demi-journées par mois en 2019, la part des employés qui s’y sont essayés entre mars 2020, date du début du premier confinement, et début 2021, a bondi à 42 %. 

Mais depuis, souligne l’organisme rattaché au ministère du Travail, la pratique tend à reculer. Dès les premiers mois de 2021, la part de salariés en distanciel était retombée à 31 %. Depuis, le chiffre n’a pas cessé de chuter pour tomber à 26 % début 2023, dernières données disponibles. Ce retour en arrière est encore plus marqué parmi les télétravailleurs « intensifs » (trois jours ou plus par semaine). Essentiellement favorable aux cadres (60% en 2021), aujourd’hui un grand nombre d’entreprises fait machine arrière.

Pour elles, un des arguments clé contre le télétravail est que l’excentration du lieu d’activité nuit à la performance de l’équipe et créé des difficultés dans le management simultané des salariés in situ et de ceux distanciés. Quand pour ces derniers, le télétravail représente souvent un avantage majeur dans leur épanouissement professionnel et personnel. Certains envisageraient même de démissionner si jamais ils étaient contraints de retourner sur site.

Le lien de cause à effet affiché par l'entreprise entre la diminution de sa performance et le télétravail, pose question. Les facteurs avancés qui lui sont défavorables ne sont pas à sous-estimer. Pour exemple on pourrait citer, la difficulté de mesurer le temps effectif de travail, celles d’évaluer la réalité des accidents reliés au travail ou encore celles du manager pour conserver la dynamique d’équipe. Tous ces éléments ont la nature de causes externes qui sont susceptibles d’être résolues par le retour sur site. La question de savoir comment le lieu de vie familial, a fortiori dans un environnement nature, influencerait négativement le comportement des télétravailleurs vis-à-vis de leurs employeurs, reste en suspens.

Quelle attitude le télétravailleur aurait-il développé qui soit défavorable à l’entité ?

L’espace de liberté

Les managers s’interrogent sur la façon de conduire les générations les plus jeunes dans leur quête d’indépendance au travail ; et dans le même temps les seniors, dont la demande de flexibilité est de plus en plus importante. Ont-ils conscience que les deux sollicitations se rejoignent ? Elles portent toutes les deux sur une revendication intergénérationnelle analogue, celle de disposer d’un espace de liberté individuelle plus vaste. Elles visent implicitement la quête d’un changement de paradigme dans le management, celui de passer d’une conduite rapprochée des salariés à un pilotage libérateur de leur mobilité et favorable à l’expression de Soi.

Pour l'entité, la quête d’un Soi au travail, passe par la reconnaissance de l’identité personnelle du salarié avant celle de ses performances individuelles. Elle a pour corollaire l’émergence d’un espace de liberté où il aurait les moyens de s’accomplir. Celui qui télétravaille et qui peut grâce à cela retrouver un équilibre entre sa vie personnelle et professionnelle, a souvent choisi de le faire dans une zone périurbaine voire rurale. Selon une récente étude conjointe de France Stratégie et de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, le phénomène est d’importance. Il pourrait même expliquer la perte d’attractivité de certains territoires périurbains ayant misé sur l’immobilier tertiaire !

La vie chez soi, en famille, est vécue par le télétravailleur comme un facteur de sécurisation émotionnelle favorisant des rapports satisfaisants avec les proches. Ce qui impacterait implicitement le développement de la confiance en soi, de la liberté d’expression et de la pensée. Dans cet espace de liberté familial, l’individu tend à échapper à la pensée groupale, aux contraintes organisationnelles ou à la crainte d’un comportement différent de celui de ses collègues, ce qui le singulariserait négativement dans l’entreprise.

La présence de la nature en proximité du lieu de vie élargit encore plus l’espace de liberté de la personne. Pour elle, d’un espace collectif familial, la nature devient un espace pour Soi dont aucune règle lui est imposée. Juste celle de profiter de l’instant.

Ecrite vers 1599, William Shakespeare place l’action de sa comédie Comme il vous plaira, dans une zone de refuge, de liberté et de transgression, la forêt d’Ardenne où évoluent personnages, vie sauvage et cheptel. Elle s’y révèle être un lieu de partage du vivant tout entier.

Selon l’expression du philosophe Jean-Baptiste Vidalou (Être forêts aux Editions La Découverte, 2017), le mot forest, « forêt », dérivé de l’étymon latin fors, foris, « dehors », déploie un territoire insoumis dans un mouvement de repli, de personnes entrées en clandestinité pour former une communauté d’indociles.

Et l’écrivain allemand Ernst Jünger (dans son essai Traité du rebelle sous-titré Le recours aux forêts, chez Bourgeois 1995) rappellera ce que Shakespeare nous raconte déjà avec la forêt d’Ardenne : de tout temps la forêt a été l’emblème de la rébellion.

D’après le dictionnaire Larousse, l’action de se rebeller est une résistance. Grâce à sa proximité avec la nature, la personne acquiert la capacité de résister à ce qui la contraint dans les différents domaines de sa vie. Vivre des perceptions visuelles, auditives et kinesthésiques favorables est susceptible de modifier l’orientation de son répertoire de savoirs cognitifs et émotionnels. Ce phénomène a été développé par le pédagogue Antoine de la Garanderie (« Réussir, cela s’apprend » chez Bayard 2013). Ces perceptions agréables émergées au contact de la nature, et notamment de la forêt, transforment les connaissances et parfois même, embellissent les certitudes du vernis d’un bonheur oublié. Les Hawaïens appellent cela le « Mana »…

Pour le télétravailleur qui bénéficie de cet environnement, rien ne sera plus jamais pareil. Comment accepterait-il de revenir dans un espace qui réduit sa liberté d’être : un management non adapté voire toxique, une interaction insatisfaisante avec les collègues, l’omniprésence des neurosciences dans le langage ce qui interdit l’expression de l'intuition, la non-prise en compte des découvertes de l’apprenance en situation de travail, ou un climat social pollué par la recrudescence des tâches administratives juxtaposées aux tâches opérationnelles ?

Au travail, la personne a besoin de vivre ce qui satisfait ses besoins fondamentaux, ou propension fondamentale. L’émergence de sa performance est à ce prix. Une interaction satisfaisante entre le manager et ses collaborateurs serait en mesure d’y contribuer. Ce dernier pourrait réfléchir aux avantages d’un pilotage par la satisfaction de leurs besoins fondamentaux au lieu de les conduire de façon étroite à force de protocoles à respecter.

Seul, un espace de liberté retrouvé fait la part belle à la performance individuelle !

La transition salvatrice de l’Etre Soi au travail

La solution semble si facile qu’elle peut paraître illusoire… Simplement, ce qui changerait tout, aussi bien pour la personne, le manager et la gouvernance, c’est d’inverser le sens des démarches DEI, ESG et QVT. Partir lors d’un recrutement, d’un entretien annuel ou de toute autre occasion générant un dialogue entre la personne et son N+1, (le dialogue professionnel resterait à inventer) de ce qui satisfait le salarié au travail, telle la défense du faible pour la jeune avocate, écouter ses collaborateurs pour l’agent de la collectivité ou s’investir dans des activités sociétales pour la diplômée de Sciences Po. Tous ces souhaits font partie des mesures proposées par les dispositifs existants. Mais la différence est notable : comment le manager pourrait-il savoir ce qui conviendrait à la personne quand il l’ignore et qu’il va lui imposer des critères trop loin de ceux qui contribueraient à son épanouissement personnel ?

Plaquer le général sur le particulier ne fonctionne pas, sauf le cas d’espèce de la bouteille jetée à la mer et retrouvée par celui qui l’attendait sans savoir qu’il l’attendait... Quand partir de la personne et de ses besoins fondamentaux fait gagner un temps précieux par la suite par le fait d’en perdre sur le moment. Le retour à l’investissement d’un management axé sur la personne se mesurera par l'économie que fera l’entreprise en jours de maladie, stress non résolu, accidents du travail, voire désengagement et démission !

La satisfaction d’Etre soi au travail reste encore un des moteurs principaux de la performance individuelle et de la protection de la santé mentale !

Conclusion aléatoire

Souvent, les TPE et des ETI de taille modeste le mettent en œuvre, même sans démarche instituée. Le plaisir, la joie, être heureux au travail émergent grâce à une interaction favorable entre des personnes qui se connaissent et se respectent. Est-ce là un effet taille ou une meilleure prise en compte de l’humain dans l’organisation de travail ?