L’actualité devrait nous remettre chaque jour à l’esprit ce miracle quotidien qu’est la machine productive de nos économies. Par les merveilles technologiques qu’elle met en œuvre, bien sûr. Mais aussi par l’unité dans laquelle travaillent ensemble des femmes et des hommes dont par ailleurs la diversité d’opinions et de valeurs s’étale en première page de tous les médias. Pour moi, la prise de conscience accrue de cette magie exercée chaque jour, à grand effort, par la fonction ressources humaines, représente l’une des méta-tendances RH majeures de 2025.
Une diversité condamnée à l’efficacité
Sans porter le moindre jugement ni prendre parti, que nous enseigne l’actualité politique sur le métier des ressources humaines ? Pour un professionnel RH, le spectacle offert par l’Assemblée nationale issue des dernières élections est extrêmement surprenant. Pour la 4e fois sous la Ve République, les élections législatives n’ont pas dégagé de majorité en faveur du président. 577 femmes et hommes se sont retrouvés ainsi objectivement en situation d’exercer le pouvoir. Et… rien ne s’est passé. Au moins dans les premiers mois. Aucun compromis ne s’est créé. Aucune action collective ne s’est mise en place. Pourquoi ? Parce que, bien sûr, elle se retrouve divisée entre groupes de personnes aux valeurs et aux loyautés contradictoires. C’est le jeu des partis.
En entreprise, pourtant, des collaborateurs aux visions du monde radicalement différentes, voire incompatibles, se côtoient quotidiennement. Chrétiens, musulmans, athées, pastafariens, communistes, centristes, frontistes, féministes, masculinistes ou que sais-je se retrouvent chaque matin autour de la table, du bureau, de la boutique, de la chaîne de production. Et pourtant, les trains roulent, les voitures sortent de l’usine, les campagnes de communication sont lancées, les patients sont soignés, les salons professionnels ouvrent leurs portes, les produits alimentaires s’alignent sur les rayons des supermarchés…
Dans un monde où les post-vérités s’affrontent, où l’information s’effiloche et se capillarise sans filtre, où les communautés de croyances et de convictions se cristallisent en ligne et dans la rue, la capacité des entreprises à générer de l’action collective en faisant travailler ensemble des individus aux convictions souvent radicalement opposées a de quoi faire réfléchir. Pourquoi les organisations réussissent-elles là où les parlementaires ont, jusqu’à présent, échoué ?
Un espace modéré mais pas tiède
Est-ce parce que l’entreprise se tient éloignée de la politique ? Dans un sens oui : d’un point de vue RH la politique politicienne, la politique partisane lui est non seulement étrangère, mais interdite. L’article L1132-1 du code du travail met en regard deux listes : celle de quelques 20 ou 25 (suivant la façon de compter) critères de discrimination retenus par la loi, et celle des décisions qu’il est interdit de fonder sur lesdits critères.
Sur la liste des caractéristiques qu’il est interdit de prendre en considération, on trouve bien les « opinions politiques », les « activités syndicales ou mutualistes », l’ « exercice d’un mandat électif » et les « convictions religieuses ». Sur la liste des actes que l’on ne peut pas motiver par les critères cités, on recense toute la palette des décisions RH et managériales : recrutement, formation, sanction, licenciement, rémunération, fixation des horaires de travail, évaluation de la performance…
Bref, le manager et le professionnel RH ont, juridiquement, le devoir d’être « politics blind » dans leur pratique quotidienne. Pour autant, l’entreprise n’est pas un espace « politics free » : comme dans l’espace public, la liberté d’expression y est la règle, sa limitation l’exception. A condition d’éviter tout harcèlement et prosélytisme, et en dehors éventuellement de certaines situations, notamment en contact avec les clients, les collaborateurs sont libres d’exprimer leurs opinions. L’entreprise n’est donc pas un espace neutre en matière politique, et le secret de son efficacité collective ne se trouve pas là.
L’action comme remède à la dispersion des valeurs
Surtout, l’entreprise peut parfaitement avoir un engagement politique, au sens noble. Elle y est même encouragée par la loi Pacte, avec la création du statut d’entreprises à mission et de la fameuse « raison d’être ». La directive CSRD incite même fortement l’organisation à décliner ses engagements en indicateurs. Mais à la différence de l’Assemblée nationale, qui est une expression ouverte de la volonté combinée du corps électoral, l’entreprise est contrainte par un champ d’action strictement délimité et une obligation permanente de résultat. La fonction RH n’a pas le choix : elle doit faire en sorte non seulement que toutes les différences s’acceptent et travaillent ensemble, mais encore que la résultante de l’action de tous se traduise par un « net positif ». L’entreprise, par nature, agit sur le monde ; l’enjeu de la fonction RH est de faire en sorte que cette action soit vécue comme positive par l’ensemble des parties prenantes.
C’est un défi considérable, surtout pour une fonction RH qui pendant la majeure partie du siècle précédent aura été perçue au mieux comme un mal administratif nécessaire, au pire comme une fabrique de prétextes patronaux à malmener la main-d’œuvre. Aujourd’hui, elle doit devenir, toujours plus, le garant de l’extraordinaire capacité de l’entreprise à conjuguer les contraires pour les traduire en énergie et en actions.
2025 marquera une étape supplémentaire dans cette transformation, avec l’extension de la directive CSRD. Les données RH figureront de plus en plus parmi les principaux fournisseurs d’indicateurs d’impact sur les parties prenantes, et la fonction RH en verra sa dimension stratégique renforcée. Pour citer le Cahier de tendances RH de Parlons RH (édition 2025), au chapitre « Diversité et inclusion », l’entreprise est condamnée à être politique. En faisant vivre la marque employeur, en écoutant de manière organisée les attentes des collaborateurs, en veillant à ce que chacun dispose des compétences de leur action et d’une visibilité sur leur avenir, la fonction RH crée les conditions pour qu’une diversité de points de vue et de postures se transforme en action conjointe et transformatrice.
La France n’est pas une entreprise, et je ne crois ni souhaitable ni réaliste de vouloir qu’elle soit gérée comme si elle en était une. Mais il y a certainement quelque chose à apprendre, pour l’action politique, de la faculté des professionnels RH à surmonter les contradictions pour avancer ensemble. Les dizaines de témoignages et d’expertises transcrits dans notre Cahier de Tendances RH contiennent certainement une partie des réponses !
___________________________________________________
NDLR : Vous pouvez lire aussi https://www.fr.adp.com/rhinfo/articles/2024/12/la-frugalite-une-opportunite-de-valeur-et-un-defi-culturel.aspx
Newsletter RH info
INSCRIVEZ-VOUS !