Si la période COVID a mis toutes les organisations en état de sidération, elle a su redonner ses lettres de noblesse à la fonction RH, qui a été au front, et souvent sans grandes ressources, pour accompagner les salariés et assurer la continuité du travail. Ce faisant, elle a permis aux professionnels du métier de renouer avec les racines de leur engagement : l’attention à l’humain.

Trop longtemps centrée sur sa vocation régalienne et administrative, la fonction RH s’est historiquement construite sur un paradoxe : elle est peuplée de collaborateurs empathiques, passionnés par les dynamiques humaines et souhaitant œuvrer pour le mieux-être, tout en étant l’incarnation des rigidités de l’organisation et de la subordination souvent assommante qui lui est associée. Dans un rôle d’équilibriste, écartelée entre les enjeux individuels et collectifs, entre les intérêts des leaders et ceux des employés, entre injonction à l’uniformisation et besoin de flexibilité, la fonction vit une forme de schizophrénie au quotidien qui pèse souvent très lourd sur ses équipes, et génère à la fois fatigue et désengagement.

Alors lorsque le COVID est arrivé, et que, naviguant dans l’inconnu, les habituels réflexes régaliens se sont estompés au profit d’une attention de tous les instants au bien-être et à l’engagement des collaborateurs, et c’est toute une fonction qui s’est réalignée avec ses aspirations originelles : celle d’œuvrer pour le mieux-être au travail.

Cet état de grâce s’est par ailleurs intensifié dans les mois qui ont suivi, via le mal nommé phénomène de la Grande Démission[1] : il était urgent de repenser les modes de gestion, pour répondre aux aspirations à davantage d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, de sens, de flexibilité, ou encore de mobilité des candidats et collaborateurs, pour survivre dans un contexte de guerre sanglante des talents, qui couvait par ailleurs bien avant la crise COVID. Là encore, les RH ont été à la manœuvre pour faire des propositions parfois audacieuses qui sortent du champ habituellement consensuel de la fonction : pour se singulariser, place à des pratiques radicales tels que le « full-remote », la semaine de 4 jours[2], ou encore les congés illimités, quitte à ne pas avoir toutes les réponses juridiques ou organisationnelles pour mettre ces changements en place.

Cris d’orfraie parmi les RH les plus conservateurs : comment pourrions-nous déployer de telles mesures sans être parfaitement certains que nous respectons nos obligations et que l’organisation est capable de les intégrer ? Au diable le principe de précaution diront les autres, le bénéfice étant supérieur au risque, testons, et apprenons en marchant. La prudence n’exclue pas l’innovation comme le met en évidence un petit ouvrage récent[3] sur l’apport de la philosophie au management.

C’est dans cet esprit que certaines entreprises ont pu lancer de nouvelles pratiques, comme le fameux « Work From Anywhere » (pratiqué par Spotify, Ubisoft, Publicis, Google, et même Renault !), permettant à tous les collaborateurs dont le métier est télétravaillable de pouvoir télétravailler quelques jours ou semaines par an depuis un autre pays. Cette disposition répond à l’aspiration à la mobilité, grandissante chez les collaborateurs (et pas seulement les plus jeunes), cassant le sempiternel rythme « 6 semaines de travail – 1 semaine de vacances », et permet d’offrir une réponse à celles et ceux qui ont notamment de la famille à l’étranger, ou tout simplement des envies d’ailleurs. Cette tendance est remise en cause par le retour en force du présentiel observez depuis quelque temps aux États-Unis et en Europe. Mais la fonction RH peut encore une fois faire preuve d'audace si elle arrive à faire reconnaître le fait que la solution idéale est une combinaison de l'organisation structurée représentée par le présentiel et de l’autonomie laissée aux collaborateurs par le distanciel comme le défend Anne Rodier dans une chronique récente dans « Le Monde »[4]

Bien entendu, en fonction des entreprises et du niveau d’accompagnement qu’elles proposent, cette pratique est plus ou moins contrainte (soit par le nombre de jours, soit par les pays accessibles). Mais ce qui est intéressant, c’est moins le bénéfice offert aux employés que la philosophie sous-jacente : le droit de la mobilité internationale est complexe, et n’offre pas toutes les réponses à tous les cas de figure que l’on pourrait imaginer. Est-ce suffisant pour inhiber ou récuser de telles pratiques ? Probablement pas, car plutôt que de se réfugier derrière l’incertitude et l’hyper-contrôle, les RH de demain auront au contraire à cœur de prendre des risques, de tester vite et à petite échelle les bonnes idées pour apprendre et ajuster rapidement, afin de répondre aux aspirations grandissantes des collaborateurs à davantage de souplesse, même si elles ne disposent pas de toutes les réponses.

Dans la même perspective, on peut citer la décision audacieuse de l’entreprise SAUR de supprimer début 2021, en pleine pandémie, la période d’essai sous l’impulsion du DGRH Xavier Savigny présentant cette innovation comme une méthode efficace pour faire face aux difficultés de recrutement dans le secteur de l'eau. En définitive, c’est une idée simple et innovante, qui remplit les objectifs d’amélioration de l’expérience collaborateur et de fidélisation[5]. Près de 4 ans après, les retours de cette expérience sont excellents. On peut se demander pourquoi cet exemple n’a pas été plus imité par d’autres car rares sont les entreprises qui ont fait ce choix audacieux dans leur politiques de recrutement[6].

Un autre cas où la fonction RH a fait preuve d’audace a été la décision de ne plus payer les commerciaux à la commission comme le montre l’exemple de la MAIF dans la continuité du changement de culture managériale vers le management par la confiance sous l’impulsion de son Directeur Général, Pascal Demurger, tel qu’il le décrit dans son livre publié en 2019[7].

En définitive, ce changement de paradigme, ce passage d’une fonction régalienne, centrée sur la conformité et l’égalitarisme de ses politiques, à une fonction véritablement audacieuse et émancipatrice, ce passage de la fonction qui dit « non » à celle qui dit « pourquoi pas », ce réalignement avec la dimension progressiste du métier, seront déterminants pour réconcilier les professionnels RH avec la vocation résolument humaine qui les anime, tout en profitant à l’organisation, qui y verra un moyen de mieux attirer, engager et retenir ses équipes. C’est dans cette perspective que nous ne pouvons que conseiller la lecture d’un petit livre percutant, publié en 2021[8], sur la nécessité pour la Fonction RH de sortir de son pré-carré, dans lequel elle s’est volontairement enfermée depuis des années avec la complicité bienveillante des autres parties prenantes internes et externes.
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[1] Besseyre des Horts, C.H. : «La grande démission : un risque limité mais des actions pour l’éviter », Entreprise & Carrières, n°1562, du 7 au 12 février 2022, p.22

[2] Besseyre des Horts, C.H. : ««Semaine de 4 jours : une contrepartie équitable pour les collaborateurs en présentiel », Ressources Humaines, Le Magazine de l’ANDRH, n°621, Novembre-Décembre 2022, pp.52-54

[3] Tandonnet, X. (ed.) : Supplément philosophique à l’intention des managers, Eyrolles, 2024

[4] Rodier,A. : «L’équilibre entre distanciel et présentiel, la clé de l’avenir du télétravail »,Le Monde, 5 novembre 2024 https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/05/l-equilibre-entre-distanciel-et-presentiel-cle-de-l-avenir-du-teletravail_6376651_3232.html

[5]https://www.andrh.fr/article/supprimer-la-periode-dessai-lexperience-reussie-de-la-saur

[6]https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/recrutements-entretiens/suppression-de-la-periode-dessai-ces-entreprises-ont-essaye-et-adore-ou-deteste-2041052

[7]Demurger, P. : L’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus , Editions de l’Aube, 2019.

[8] Chardin, T. : DRH : mission ou démission, 3 pistes à l’heure du choix, Diateino, 2021