Elle est arrivée par la poste début octobre avec un peu de retard. Ça m’a fait du chagrin. Je pensais à elle depuis un an. Elle a d’abord représenté un symbole, une envie, puis … une possibilité … et enfin … un quotidien : ma carte d’étudiante. 58 ans et étudiante. Fin d’études prévue : 2029 (si tout va bien).J’aurai alors 63 ans.

Rentrée de septembre : j’arrive sur les bancs de la fac de psycho à Amiens. Au doigt mouillé, nous sommes une dizaine en formation continue (sur 600 !), dont seulement deux vrais « seniors ». Cheveux gris j’écris ton nom !

On se reconnait, on s’agglutine, on cause. Une poignée de « jeunes » s’additionne aussi pour faire connaissance avec ces drôles de zèbres. A la louche, un tiers d’entre nous a une activité professionnelle (salariée ou non), un autre tiers a choisi de quitter un job et de signer une rupture conventionnelle pour reprendre des études, et le dernier tiers était depuis quelque temps déjà en recherche d’emploi au moment de choisir l’option formation longue. La moitié a des enfants, parfois en très bas âge.

La rentrée c’était « hier », et nous voilà (déjà !) engagés jusqu’au cou dans les révisions pour les examens de décembre ! Réussir peut-être. Echouer éventuellement. Essayer en tous cas. Vous imaginez comme c’est compliqué de tout concilier pour ceux qui cumulent fac + travail + enfants ! C’est lourd. C’est stressant. C’est fatiguant. Et les finances ? Ah les finances … Sujet brûlant ! Alors qu’est-ce qui nous pousse, moi et mes compères ? Puisque la fortune et la gloire ne nous attendent pas au tournant, qu’est-ce que ça dit en matière de motivation ?

Et pourquoi les RH devraient-elles se pencher sur des profils d’adultes qui bifurquent et se réinventent ?

Découvertes intellectuelles Vs électroencéphalogramme anesthésié :

La moitié des seniors avec qui j’échange à la fac sont là par soif de savoirs ! Comme moi, ils s’épanouissent dans la satisfaction de leur curiosité, dans l’apprentissage, la découverte, les défis cognitifs, la bousculade des certitudes, les perspectives inattendues, les nouveaux angles de vue, les manières de faire et de penser inattendues, le frottage des cerveaux qui crée des étincelles !

Perspectives stimulantes Vs bore-out :

L’autre moitié l’avoue : ils sont revenus en fac parce qu’ils mourraient d’ennui au boulot. Manque de stimulation intellectuelle, routine, absence d’échanges constructifs, discussions et conflits cuits et recuits … Impression de tourner en rond, d’être un pion, de s’appauvrir, de rabougrir, de perdre en mordant lentement mais sûrement, de stagner (ou même de reculer) en compétence. L’étouffement par manque d’air frais les menaçaient : ils sont partis voir ailleurs et trouver des conditions plus favorables à leur épanouissement.

Sociabilité fertile Vs solitude frustrante :

Certains étudiants, (pas tous !) sont des passionnés. Et que fait-on lorsqu’on a un centre d’intérêt un peu dévorant ? Oui, en toute logique, on cherche à échanger avec d’autres « mordus » ! Des mordus qui ont sensiblement le même bagage que nous, ou même, merveille des merveilles, avec un bagage bien supérieur et … l’envie de transmettre ! La formation continue à la fac permet de trouver ces personnes habitées par leur sujet : les enseignants-chercheurs. Tous, selon mon expérience, se montrent ouverts à la discussion, soutenants et engagés devant la curiosité des apprenants ! Mieux ! Ils considèrent vraiment leurs étudiants comme des égaux, comme des « pairs » en devenir.

Avancement de carrière Vs stagnation :

Nous sommes dans un monde concurrentiel. Sans formation continue, les compétences se périment. Même si ce n’est pas le premier motif de reprise d’étude invoqué dans mon entourage, c’est un élément pris en compte par ces néo-étudiants. Mais je l’entends plutôt comme une rationalisation d’une décision qui aurait été prise de toute façon.

Titres et diplômes Vs compétences réelles :

La France a la religion du diplôme. Les compétences et l’expérience ne suffisent pas. Les postes à responsabilités, avec la rémunération qui va avec, sont bien souvent hors de portée des autodidactes. Et certaines professions sont même « protégées ». (Protection de qui et de quoi, et au bénéfice de qui, je me le demande chaque jour, mais ça fera l’objet d’une autre de nos discussions autour de la compétence et de l’éthique en psychologie). Cet accès au diplôme comme tremplin vers un meilleur poste et une meilleure rémunération est peu verbalisé par mes voisins de tablées, mais il est sous-jacent.

Et nous voilà à la veille des examens semestriels ! L’enjeu est plus grand pour nous. Peut-être qu’on l’exagère d’ailleurs, qu’on le dramatise. Mais nous savons que nous n’avons plus tout le temps du monde pour réussir. En cela aussi, nous sommes différents des juniors.

Chez les étudiants en formation continue, on sent une formidable énergie, qui transcende le stress, la fatigue et la dèche. Enthousiasme, curiosité, volonté, ambition … il y a là une mine d’or à portée de main des entreprises. Pourquoi, en premier lieu, ont-elles laissé filer cette force au lieu de la garder et de la canaliser ? Comment s’en saisiront-elles pendant et après formation ?

Ces profils de « bifurqueurs » ont un potentiel énorme. On en reparlera lors d’un prochain article.

L’aventure ne fait que commencer.

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