Un biais dans l’approche
Aborder les questions du travail au travers du seul prisme du temps introduit un biais. Tout dépend en effet de la qualité du travail effectué, voire de sa densité ou de sa productivité.
Le volume horaire, heures comme jours travaillés, ne dit plus grand chose de la performance dans de nombreux métiers, depuis que ce n’est plus le rythme de la machine qui détermine ce qui produit. Mais les règles de droit affirment tout autre chose : le travail est constitué par le temps de subordination du salarié. Cette approche implacable détourne bien souvent du travail réel, celui produit en situation et qui est de nature très hétérogène d’un environnement à l’autre.
La semaine « en 4 jours » ou « de 4 jours » ?
Le thème contient de nombreuses chausse-trappes. En effet, il n’est pas équivalent de parler d’une semaine de 4 jours de travail réduite à 32 heures et d’une semaine de travail de 4 jours à 35 heures voire 39.
Dans le premier cas, il s’agit d’une réduction du temps de travail. Si les organisations syndicales poussent à cette logique, de nombreux décideurs ne sont pas prêts à ouvrir cette perspective. Dans le second cas, l’approche relève de l’aménagement du temps de travail. Dans le débat actuel, la confusion sémantique entre ces deux options est forte.
Le propos est ici focalisé sur la semaine de 4 jours sans réduction globale du temps de travail, puisque c’est ainsi que le sujet est aujourd’hui majoritairement posé. Concrètement, dans cette optique, la semaine est constituée de 4 journées de 8h45 de travail, même si le modèle peut être complexifié à l’envi en jouant sur des durées différentes selon les jours de la semaine.
Une résurgence régulière
L’idée des « 4 jours » n’est pas neuve. Dans le cadre des lois Robien (1996), puis Aubry (1998 et 2000), de nombreuses organisations ont opté pour des démarches très ouvertes. Elles avaient associé leur management et leurs collaborateurs à la définition au plus près du terrain des modalités pertinentes de réduction et d’aménagement du temps de travail, au regard des besoins des clients et des attentes des salariés.
Dans certains cas, la possibilité de travailler 4 jours ou 4 jours et demi a été ouverte par les directions générales. La formule de « 4 jours avec 1600 heures annuelles » n’a quasiment jamais été retenue à l’époque.
De nouveaux gourous s’emparent de l’effet de mode
Aujourd’hui, les initiatives en faveur de la semaine de 4 jours sont en partie initiées dans le cadre d’une démarche mondiale intitulée « 4 day week global », parfaitement organisée et à caractère mercantile.
Il n’en reste pas moins que des expérimentations intéressantes ont été conduites en Islande, au Japon, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis.
Une évaluation positive des initiatives
En France, environ 100 000 salariés travaillent 4 jours par semaine, à temps plein, dans le cadre d’initiatives très différentes. Lidl, la Métropole de Lyon ou très récemment la RATP ont lancé des expérimentations. Au global, la majeure partie des entreprises ayant mis en œuvre la semaine de 4 jours s’en disent satisfaites. L’échec de l’Urssaf de Picardie, très médiatisé, peut être analysé comme ayant été lié à un déficit de méthode dans la consultation en amont.
Les avantages mis en avant relèvent notamment de la réduction de l’absentéisme du fait d’un temps de repos plus long, de la diminution de l’empreinte carbone liée aux trajets professionnels et au chauffage des locaux de travail et du développement de nouvelles compétences sur le temps libre.
Les bénéficiaires semblent très positifs sur cette formule, disposant d’un week-end prolongé qui rééquilibre la semaine entre les temps au travail et hors travail.
Les cinq dimensions à travailler
Les « 4 jours » peuvent constituer une modalité de travail pertinente, pas nécessairement pour l’ensemble de l’entreprise, mais pour des services et entités qui en formulent le besoin, si cinq conditions sont réunies :
- Initier une réflexion sur l’organisation du travail sans positionner les « 4 jours » comme le seul point de sortie envisagé. Rien ne garantit a priori qu’il s’agisse là de la meilleure modalité. Par ailleurs, les entreprises qui ont réussi leur bascule sont celles qui ont conditionné ce nouveau rythme de travail à une recherche de productivité. Ce qui suppose une réflexion aboutie portant sur la viabilité des processus dans ce nouveau contexte, l’intensification de l’usage des outils de production et la coopération.
- Assurer la compatibilité avec la qualité de service. La semaine de 4 jours ne signifie pas que l’activité ne sera assurée que sur 4 jours. Les chevauchements de plusieurs équipes de travail sont possibles, bien qu’ils puissent être coûteux en cas d’ouverture sur 5 jours.
En revanche, dans les activités fonctionnant 7 jours sur 7, cette solution se révèle très efficace.
- Associer en amont les personnels et leurs représentants. Le contre-exemple de l’Urssaf de Picardie montre qu’il ne faut pas présager des réactions des collaborateurs. Un proverbe berbère le rappelle : « Faire pour les gens, sans les gens, c’est faire contre les gens. » Pendant la mise en œuvre, conduire un pulse survey régulier est également utile.
- Analyser le caractère soutenable de la solution. Des journées de cette durée ne sont pas envisageables dans certains métiers, par exemple pour des activités de manutention ou avec des déplacements. Les « 4 jours » relèvent alors de la densification du travail. Il ne peut s’agir de comprimer tous les processus de travail et de « refaire en accéléré le film » des 5 jours.
- Responsabiliser le management dans la conception fine de la solution et dans sa mise en œuvre. Ce qui constitue une bonne idée a priori peut se révéler être une catastrophe sur le terrain si le management ne dispose pas de marges de manœuvre pour définir les conditions de déploiement (règles de travail, modalités d’alerte en cas de surcharge, temps de pause, etc.) et s’il ne renforce pas ses rituels (réunions, échanges à deux) au début de la mise en œuvre.
Dans ces conditions, la semaine de 4 jours méritera d’être considérée comme une option sérieuse et compatible avec la recherche d’un niveau élevé de performance économique et sociale.
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NDLR : Lire également l'article de Patrick Bouvard : https://www.fr.adp.com/rhinfo/articles/2023/09/semaine-de-4-jours-pourquoi-ne-pas-se-reorganiser.aspx
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