Les discours sur les générations se sont multipliés ces dernières années. Disserter sur la génération montante est devenu un incontournable pour expliquer la distanciation croissante entre l’entreprise et ses collaborateurs. La caractérisation de telle ou telle génération n’a pourtant fait l’objet d’aucune validation scientifique, aucuns des rares travaux de recherche sur ces enjeux n’ayant jamais conclu à la moindre évidence.
D’autres déterminants que la génération
Les affirmations sur une génération sont par principe contestables, et ce pour plusieurs raisons. Les représentations et aspirations d’une personne sont en premier lieu le produit de l’époque avant d’être celui de sa génération. Ainsi un quinquagénaire d’aujourd’hui aura-t-il plus de caractéristiques communes avec une personne de 20 ans qu’avec celui qu’il était quand il avait lui-même cet âge-là. Les études réalisées sur l’évolution des attentes au travail montrent ainsi que les aspirations à trouver du sens dans son travail, à se réaliser dans son environnement professionnel et à disposer d’autonomie dans son activité ont cru chez tous de manière régulière depuis 20 ans. Elles sont à un niveau élevé, quelle que soit la génération.
Autre réalité qui vient amoindrir toute généralisation sur une génération donnée : celle-ci n’est en aucun cas homogène. D’autres critères ont une puissance explicative beaucoup plus forte. Pour ne prendre que le plus évident, les représentations d’un jeune ayant grandi dans un environnement social défavorisé, avec un contexte éducatif peu favorable, n’auront que peu en commun avec celles du jeune diplômé issu de manière déterministe d’un environnement plus aisé.
Les stéréotypes sur les plus jeunes ne sont pas nouveaux : cela fait des siècles que les générations qui ont les leviers en main jettent un regard critique sur ceux qui assureront leur relève, en considérant notamment qu’ils sont moins courageux, moins impliqués dans leur travail ou autocentrés. Faut-il s’étonner que les productions promouvant ces stéréotypes aient un succès particulier en France ? Dans une étude récente portant sur 68 pays, notre pays est classé en septième position des pays ayant les stéréotypes les plus forts sur l’âge.
Cette situation a une conséquence claire : la grille de lecture générationnelle détourne l’entreprise du diagnostic sur ce qui se joue entre elle et ses collaborateurs. Elle retarde les mises à jour nécessaires de cette relation et du modèle managérial. En prenant conscience de leurs besoins en la matière, les entreprises qui ont mené un vrai travail sur cet enjeu ont dépassé les approches caricaturales.
Et pourtant...
Devons-nous pour autant nier qu’en observant la génération qui arrive sur le marché du travail, certains phénomènes nouveaux apparaissent ? Ces entrants ne sont pas « pollués » comme les plus anciens par le système de contraintes créé par l’intégration au fil du temps des règles du jeu posées par l’entreprise. Cette différence a deux conséquences : dans leur expression des évolutions des représentations, les plus jeunes seraient en légère avance de phase. Et surtout, cette expression serait plus libre, donc plus pure. Ce qui conduit, en maintenant l’approche critique développée ici, à observer plusieurs caractéristiques émergentes.
Chez ceux ayant rejoint l’entreprise ces cinq dernières années, des comportements convergents viennent percuter les standards traditionnels du travail. Sans généraliser ces observations, le rapport au temps d’une partie d’entre eux est différent de celui qui prévalait dans l’entreprise : une logique du « fini-parti » qui peut générer de l’incompréhension chez leurs collègues, un rapport aux horaires de travail plus libre, une prise en compte insuffisante des contraintes de l’équipe et une focalisation sur leur expérience personnelle dans l’entreprise, une connexion à leur environnement personnel maintenue en continu même si le travail attendu d’eux est produit, en délai comme en qualité.
L’analyse des enquêtes d’engagement met en évidence d’autres critères communs : une mutation des interactions avec les autres collaborateurs (74% de cette population exprimant préférer un échange numérique à un échange direct) ; un besoin de feedback en continu (40% attendant un échange quotidien au minimum) ; une aversion à la responsabilité managériale (à peine 20% d’entre eux considérant la voie managériale comme valorisante).
Autre caractéristique spécifique : la simultanéité des attentes. Les générations précédentes fonctionnent globalement sur l’espoir que leur engagement génère à court terme de la reconnaissance et à moyen terme une évolution professionnelle. Les plus jeunes attendent que ce retour soit parallèle à l’engagement, avec des propositions rapides de l’entreprise.
Des sociologues ont pu avancer des explications à ce rapport au travail différent. La distance dans les échanges serait d’abord liée au développement des outils digitaux et à une crainte du face-à-face professionnel. La partie favorisée de cette génération aurait grandi dans une culture de la sécurité, avec des parents surprotecteurs dans le contexte anxiogène de la crise sanitaire. Celle-ci aurait handicapé leur préparation à la vie professionnelle au travers de jobs étudiants ou de stages : 35% des 18-25 ans d’aujourd’hui ont eu une expérience pré-emploi pour à peine 70% en 1990.
Quelles pistes activer ?
S’il se confirmait que ces évolutions sont révélatrices de ce qui va se généraliser dans le monde du travail toutes générations confondues, plusieurs pistes devraient alors être activées par l’entreprise :
- Adapter ses modes de fonctionnement, tout en veillant à maintenir les exigences du collectif.
- Généraliser les feedbacks après missions, projets ou activités d’importance.
- Valoriser l'apprentissage dans la durée, tout en mesurant régulièrement les progrès.
- Expliciter ce qui est attendu dans la fonction : délais, conditions de réalisation, etc.
- Animer sur le résultat plus que le strict respect des processus.
- Développer dans la durée les compétences interpersonnelles renvoyant à la dynamique collective.
- Valoriser les succès collectifs et renforcer la confiance.
- Identifier d’autres voies d’évolution que le management, avec des filières d’expertise attractives.
- Positionner le management comme une ressource priorisant cette dimension, non la production.
- Rendre la fonction managériale compatible avec les enjeux d’équilibre vie pro - vie perso.
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