La nature de nos responsabilités dans le travail exige parfois de nous des actes de force. Résister à ce que l’on veut nous imposer ; exprimer quelque chose de désagréable ; persévérer envers et contre tout dans une voie dont on est convaincu ; critiquer le comportement d’un de ses collaborateurs ; gérer un rapport de force avec un client ou un fournisseur… etc., sont autant de situations dans lesquelles nous ne pouvons faire l’impasse d’un recours à une certaine force.
Cependant cette réalité est souvent mal comprise, car il peut nous sembler que le recours à la force s’apparente à une certaine agressivité, ou la nécessite. Or ce ne devrait être le cas que dans une guerre ouverte. Il faut dire que nous sommes ici un peu desservis par notre nature, qui a tendance – instinct de survie oblige – à interpréter toute opposition comme un conflit et toute action nécessaire comme une conquête.
Mais il faut dire également que l’état d’esprit immanent de nos entreprises, transportant la guerre en leur sein par une compétition systématique censée maintenir une « saine émulation »… dégrade encore la situation. Sans doute bien des cas de harcèlement moral ne sont-ils au final que des dérives – et pas toujours conscientes – de cet état de fait, de ce mode de fonctionnement. Ceux qui clament les vertus du management par le stress comme créant la meilleure ambiance de performance feraient sans doute bien, à cet égard, de devenir prudent.
Si Aristote – et nombre de philosophes de tous les âges après lui – a fait de la force une des quatre vertus cardinales, au cotés de la justice, de la prudence et de la tempérance, ce n’est certes pas en ce sens.
Rappelons donc quelques différences fondamentales entre la force et l’agressivité :
- L’agressivité est un mode naturel de comportement relevant d’une tendance, d’une pulsion ou d’une réaction incontrôlée ; elle s’accompagne le plus souvent d’effets psychologiques (agitation interne…) et physiologiques (décharge d’adrénaline…) et selon l’expression consacrée « elle nous prend aux tripes», elle est « viscérale ».
Au début, elle nous fait perdre nos moyens, notre « sang froid » comme on dit, et nous perturbe consciemment. Mais son danger est qu’avec l’habitude cette conscience s’étiole et que la personne fasse de ce comportement une habitude rassurante, presque une manière d’être dans laquelle une fierté mal placée le dispute à l’aspect ludique et excitant de la chose. En ce sens, elle devient toujours le pouvoir et le lieu de l’arbitraire.
- La force, en revanche, est une capacité, une disposition acquise à persévérer et soutenir une position délibérément choisie, ou à obtenir quelque chose par une action volontaire. Elle comprend donc bien des aspects « défensifs» et « offensifs », mais qui s’appuient toujours sur un choix conscient. Elle ne répond pas à une motion affective ou sentimentale immédiate, mais à une décision rationnelle dont il est possible d’expliciter les ressorts. C’est pourquoi l’acte de force est toujours proportionné à son objet et peut cesser comme il a commencé, sans se laisser déborder par sa propre logique.
Cependant, on aurait tort de croire que la force, de par son origine rationnelle, ne peut être que froide et dépassionnée. Nous pouvons placer une grande émotion dans la force, car nos passions, lorsqu’elles sont embauchées volontairement, ne sont pas moins fortes que lorsqu’elles surgissent à notre insu : elles sont seulement plus ordonnées, et par là même peut-être plus efficace encore. Mais nous restons en restons maître au lieu de les subir.
Le milieu professionnel – et le professionnalisme lui-même – devrait être le lieu par excellence de la raison, et non des pulsions ; du choix argumenté, et non de l’arbitraire.
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