« Le Judo est bien plus qu’un sport, il s’agit d’une « école de vie » Jigorô Kanö[1]
La pratique du judo[2] est définie par deux kanjis[3]. Les neuf premiers traits édictent les valeurs de souplesse, d’adaptation et les douze suivants prescrivent les indications décrivant le chemin et le principe. La lecture assemblée des 21 traits fait comprendre les préceptes, le concept sous les termes : conduite de l’agilité, discernement, ajustement en d’autres termes s’adapter par l’intelligence situationnelle.
Le judo inverse la donne des sports de combat selon Jigorô Kanö. « Surmonter l’habitude d’employer la force contre la force est une des choses les plus difficiles de l’entraînement du judo. On ne peut espérer progresser sans y parvenir ». L’inversion substitue à l’affrontement direct pour faire prévaloir la supériorité de sa propre force par l’utilisation de la force de l’adversaire à son profit.
Il reste à définir pourquoi et comment appliquer cette démarche à caractère philosophique au domaine des relations humaines via les soft skills, les compétences comportementales.
La relation humaine inversée et les soft skills, oui, mais quoi ?
« On ne juge pas un homme sur le nombre de fois qu’il tombe, mais sur le nombre de fois qu’il se relève ». Jigorô Kanö.
Les situations des relations humaines entrainant la possibilité d’un rapport de force entre les acteurs sont aussi nombreuses que variées. Les circonstances emblématiques de ce type d’engagement de puissance sont relatives aux relations manager/managé aussi bien hiérarchique que fonctionnelle, à celles du client/vendeur élargi aux cas de la demande et de l’acceptation et/ou encore usager face à l’autorité. Ces situations illustrent le rapport de puissance imposé par celui qui a le pouvoir à celui qui le subit.
Le point de départ se définit par la réponse à la question « Quelles sont les forces de l’interlocuteur ? ». A titre d’exemple il est possible d’identifier les réponses usuelles suivantes :
- Le pouvoir de décision exercée dans le cadre de la situation
- Le système de valeur qu’il soit d’usage, de conviction ou de responsabilité
- Le profil socioculturel, soit le résultat de l’éducation
Quelles compétences comportementales faut-il mobiliser et plus précisément quelles sont les fonctions efficientes de ses propres compétences comportementales. Quels sont les objectifs à viser pour obtenir le résultat attendu par exemple :
- Influencer la décision.
- Faire acheter au lieu de vendre.
- Développer la confiance, l’autonomie et la responsabilité.
L’exemple courant est le rapport que l’on entretient avec un représentant d’une organisation dont on veut obtenir l’accord.
La relation humaine inversée et les soft skills, oui, mais comment ?
« La vie, ce n'est pas attendre que l'orage passe, c'est apprendre à danser sous la pluie », attribuée à Sénèque[4],
Pour influencer favorablement l’accord il est possible de mobiliser les travaux d’Erickson[5] sur le double lien[6], l’alternative telle qu’il les décrit : « J’utilise fréquemment le double lien dans les questions aux patients : voulez-vous faire passer votre mauvaise habitude cette semaine ou la semaine prochaine ? Mais ce délai ne me paraît pas vraiment raisonnable. Ne préféreriez-vous pas prendre un délai plus raisonnable pour faire passer votre habitude, trois semaines par exemple ? Que leur ai-je demandé en fait ? Je leur ai demandé de spécifier le délai dont ils vont avoir besoin pour faire passer une habitude. Je ne leur ai pas demandé : allez-vous faire passer l’habitude ? Je ne leur ai pas demandé de prendre une décision sur cette importante question. Je leur demande simplement de choisir le délai, mais implicitement, dans leur choix d’une semaine ou de deux semaines ou de trois semaines, se trouve présupposé le fait qu’ils vont faire passer leur habitude ».
Ce principe permet de faciliter l’obtention de l’accord en utilisant la force du pouvoir de décision de l’interlocuteur.
Pour exploiter la notion de territoire, le principe de Mac Lean est mobilisable. Il définit que le cerveau reptilien est le siège des pulsions instinctives innées qui gouvernent la survie de l'espèce en général et de l’individu en particulier (se nourrir, dormir, fuir, attaquer, se reproduire...). Cette activité instinctive est à l’origine de la notion de défense du territoire qui peut être de nature physique, intellectuelle, fonctionnelle, émotionnelle, structurelle, artistique, technique… Il est courant de constater des disputes, des colères, des agressions ayant pour origine une place dans une fille d’attente, pour un parking, la prise de position en vos lieux et place… Les habitudes comportementales se traduisent par un discours agressif : « Je vous interdis de dire cela, vous ne pouvez pas dire, penser cela… » Une agression physique jusqu’à la mort pour une place de parking est souvent présente dans l’actualité.
Celui qui donne son accord présente un besoin indispensable de respect de son territoire, il y a là une ressource pour inverser la force. Il suffit de respecter, de construire le territoire de l’interlocuteur par exemple face à une demande exprimée :
- J’ai un problème à vous soumettre, car je ne sais pas comment faire pour…
- Je vous sollicite en votre qualité de…
- Au lieu de dire j’ai droit à, je ne comprends pas pourquoi vous ne faites pas….
Ces différentes formules développent un sentiment agréablement favorable à la demande.
La force disponible utilisable est matérialisée par le système de valeur de l’interlocuteur. Aristote[7] a défini la valeur d’usage : “Toute propriété a deux usages, une chaussure peut à la fois servir à chausser le pied ou à faire un échange“. Ce concept a été repris par Adam Smith[8], Karl Marx[9] et exploité par Milton H Erickson. . Max Weber[10] a défini les valeurs qui mobilisent les individus : l’éthique de la responsabilité (verantwortungsethisch) et l’éthique de la conviction (gesinnungsethisch). Milton Erickson[11] précise que le fait de communiquer sur le système de valeur permet d’accéder à l’inconscient sans passer par le filtre du conscient.
L’archétype de la stimulation de la valeur est le cas de la soutenance d’un mémoire devant un jury : « Chaque membre du jury représente une fonction et utilise un système de valeur différent, il convient de répondre à cela ; l’école : j’ai bien évolué ; le professionnel : je suis presque prêt ; l’ancien élève : je suis digne d’être des vôtres ; le professeur : la pédagogie était exigeante, mais c’est pour cela que j’ai progressé… et ainsi de suite »
Cette démarche s’applique de la même façon pour la présentation de projet devant un aréopage, une conférence à auditoire diversifié, la réponse à appel d’offres… La force, la puissance potentielle de l’interlocuteur se trouve captée et dirigée au profit de sa propre force.
Conclusion
« Plus l’ascension est longue, plus la montée est difficile plus grande sera la satisfaction … et plus magnifique sera la vue une fois au sommet » Jigorô Kanö.
A l’instar du moteur électrique consommateur d’énergie qui peut devenir producteur d’énergie, il est possible de changer le cours des choses.
L’expertise à développer, l’habileté, le savoir-faire concernent le maniement intellectuel des principes de valeur d’usage, de responsabilité, de conviction, mais aussi le précepte de territoire dans le cadre du profil socio culturel de ses interlocuteurs. Les différentes sortes d’apprentissages et d’entrainement doivent obtenir la perte des habitudes toxiques et/ou improductives liées à contrer la force. Il est possible, alors d’amplifier son habilité à utiliser la force de l’interlocuteur.
Cette façon de penser puis d’agir a pour vertu cardinale d’accroitre une belle assurance par l’utilisation des ressources acquises dans l’usage de ses propres compétences comportementales. La politique de moyens qui en résulte, diminue jusqu’à supprimer le risque de production de stress négatif au profit de la génération de stress positif, voire de dopamine.
L’instrument majeur pour parvenir à ses fins est l’intelligence sous toutes ses formes. Cette capacité à rassembler des éléments épars et différents pour créer un ensemble homogène et opérationnel propre à traiter avec efficience la situation rencontrée pour donner raison à Jigorô Kanö « Une technique supérieure surpasse la force » et au proverbe Hitopadesha[12]. « L'intelligence est au-dessus de la force ».
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[1] Jigorō Kanō, 1860 – 1938, japonais, fondateur du judo kodokan.
[2] Judo « voie de la souplesse » traduction littérale selon le JLPT, Japanese-Language Proficiency Test.
[3] Kanjis signes d’écriture de la langue japonaise issues de l’écriture chinoise.
[4] Sénèque, 4 av. J.- C. – 65, philosophe romain
[5] Milton Hyland Erickson, 1901-1980, psychologue américain.
[6] Erickson exemples régulièrement cités dans ses conférences.
[7]Aristote, 384- 322 av. J.-C. philosophe grec, La politique, livre de la société civile de l'esclavage, de la propriété, du pouvoir domestiques, ch III §11 ;
[8] Adam Smith 1723 – 1790 économiste écossais.
[9] Karl Marx 1818 – 1883 philosophe prussien.
[10]Max Weber,1864-1920 économiste et sociologue allemand, Le savant et le politique, Plon, 10/18, Paris 1995.
[11]Les travaux de Milton Erickson ont permis la création de la démarche appelée Analyse Transactionnelle.
[12] Hitopadesha, L’instruction utile, 300 av. J.-C.- 570, recueil de fables indiennes.
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