Les jeux paralympiques : une source d’inspiration pour l’entreprise

A l’heure des jeux paralympiques, il semble utile de revenir sur la place du handicap dans l’entreprise près de 20 ans après la loi du 11 février 2005 obligeant les entreprises de plus 20 salariés à avoir dans leurs effectifs au minimum 6% de personnes en situation de handicap. Comme le montre la ferveur des jeux paralympiques dans la continuité de celle qui a animé la quinzaine incroyable de fin juillet-début août 2024, la différence du handicap peut devenir une force incroyable pour souder des collectifs que ce soit pour des spectateurs dans les lieux magiques des jeux paralympiques ou pour des collaborateurs dans les entreprises. Quand on note que plus d’une personne sur sept est en situation de handicap en France[1], les salariés handicapés pourraient représenter 1,75 millions de personnes sur les 29,1 millions que compte la population active si le taux de 6% était respecté par toutes les organisations privées et publiques.

Or on est encore loin car des chiffres officiels[2] font état d’un taux de seulement 3,5% en 2022 pour les entreprises assujetties représentant 657.400 personnes en situation de handicap. L’écart constaté n’est pas le seul fait, bien sûr, de ces organisations privées et publiques car les difficultés existent pour trouver des compétences en ligne avec leurs besoins. Mais il n’en reste pas moins que le handicap d’une personne ayant pourtant les compétences requises constitue souvent un frein à l’embauche. Ce frein existe en raison d’idées fausses sur le handicap qu’une publication récente met en évidence[3] et d’une absence de prise de conscience des bénéfices que l’entreprise peut avoir à être beaucoup plus proactive dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Certaines idées fausses sont maintenant présentées avant de défendre l’idée que le handicap est source de compétitivité pour l’entreprise en évoquant cinq raisons principales avant de conclure sur la vulnérabilité comme une force pour l’entreprise

Pour en finir avec certaines idées fausses sur le handicap

Comme le souligne l’ouvrage cité plus haut, on ne dénombre pas moins de 44 fausses idées reçues tenaces sur le handicap qui “portent sur les représentations, la nécessité des sortir des rôles attendus, l’accessibilité, la participation de la vie en société, l’exclusion sociale et l’accès aux droits”. L'objet ici n'est pas de lister ces 44 fausses idées mais plutôt de s'intéresser à certaines qui concernent directement l'entreprise :

  • S'il était handicapé, ça se verrait : La plupart des études s'accorde sur le fait que le handicap n’est visible qu'à hauteur environ de 25%. Le fauteuil roulant n'est pas le seul signe du handicap et ceci est d'autant plus important dans le contexte de l'entreprise dans laquelle révéler son handicap peut nuire à sa carrière.
  • Être entrepreneur ou entrepreneuse, c'est beaucoup trop ambitieux pour une personne handicapée : les faits démontrent le contraire comme le souligne une étude académique[4] qui met en évidence que les difficultés rencontrées permettent de développer des compétences adaptatives qui favorisent la réussite entrepreneuriale!
  • Les travailleuses et les travailleurs handicapés ne sont pas compétents : C'est la question de l'adéquation aux besoins de l'entreprise qui est ici posée. Au-delà du stéréotype, c’est une occasion formidable pour l'entreprise d'inventer de nouvelles formes d'organisation du travail qui peuvent bénéficier à l'ensemble des salariés.
  • La généralisation des référent(e)s handicap est une vraie mesure d'efficacité : La loi Avenir de 2018, obligeant les entreprises de plus de 250 salariés à nommer un(e) référent(e) handicap, a fait indéniablement progresser la reconnaissance du handicap dans l'entreprise mais ce n’est pas la solution miracle. Le risque existe en effet de la solitude du référent sans grand effet sur le reste de l'organisation si il/elle n'est pas soutenu par le management.
  • Les formations en ligne, c'est LA solution face au système classique, pour celles et ceux qui en ont besoin : Indéniablement la pandémie a démontré les des possibilités extraordinaires offertes par les technologies digitales pour être à distance et particulièrement en formation. Au-delà des promesses, c'est la réalité dont il faut tenir compte et celle-ci n’est malheureusement pas aussi rose pour les personnes en situation de handicap notamment en raison le problème d'accessibilité numérique.

Lutter contre ces idées fausses peut faire assurément avancer la question du handicap dans l’entreprise mais il est encore plus important de montrer que la vulnérabilité des personnes en situation de handicap peut devenir une force en décrivant maintenant plusieurs des avantages susceptibles d'accroître la compétitivité globale de l'entreprise.

Le handicap, facteur de compétitivité de l’entreprise

Contrairement aux idées reçues, une politique et des actions volontaristes sur le plan de l’insertion des travailleurs handicapés est susceptible d’accroître sensiblement la compétitivité de l’entreprise et ceci pour plusieurs raisons développées dans un article récent de la Harvard Business Review[5] :

  • Accès à des compétences uniques et différenciantes : l’exemple des personnes autistes dont les compétences uniques sont reconnues par un nombre grandissant d’entreprises pour accomplir des tâches intellectuelles complexes. Le cas de Alan Turing, le scientifique qui a été capable de “cracker” le code la machine Enigma durant la seconde guerre mondiale et accessoirement l’un des pères de l’intelligence artificielle, est une illustration remarquable de ces compétences exceptionnelles.
  • Une culture plus inclusive et cohésive. L’un des effets les plus visibles de l’insertion de personnes handicapées dans les équipes est une acceptation beaucoup plus marquée des différences et le renforcement de la dynamique collective conduisant à une plus forte cohésion générale.
  • Le renforcement de l’image de l’entreprise auprès des clients : De nombreuses études universitaires en France et à l’étranger montrent l’impact positif de l’emploi de personnes en situation de handicap sur l’attraction et la rétention des clients. L’acte d’achat n’est pas seulement un geste commercial mais représente un acte qui prend du sens comme le montre la différence d’expérience client que propose la chaine des 24 cafés Joyeux avec ses 186 équipiers en France, tous en situation de handicap mental et cognitif[6].
  • Une entreprise plus attractive pour les investisseurs : la croissance rapide en Europe des fonds ESG rend les entreprises proactives sur l’insertion des personnes handicapées beaucoup plus attractives pour les investisseurs qui y voient l’une des preuves tangibles de leur engagement en faveur de la RSE.
  • Le renforcement de la marque employeur : Bien évidemment c’est sur le terrain de la guerre des talents que l’on peut observer l’un des impacts les plus positifs de la mobilisation des entreprises sur la question du handicap. Celles qui se distinguent sur ce plan bénéficient d’une plus forte capacité d’attraction et de rétention de talents dans des métiers en pénurie. Ces talents, surtout les plus jeunes, sont particulièrement sensibles au sens du travail qu’ils/elles peuvent retrouver dans l’attention portée par l’entreprise à l’insertion des personnes en situation de handicap.

La force de la vulnérabilité

Pour conclure, comme le montre l’expérience exceptionnelle des jeux paralympiques, les personnes en situation de handicap ne devraient plus relever de la seule diversité car elles sont parties prenantes à part entière du collectif qui assure le succès de l’entreprise. L’engagement en faveur du handicap permet de démontrer que la vulnérabilité peut devenir une force véritable pour des entreprises qui cherchent à se différencier de leurs concurrents auprès de leurs principales parties prenantes (clients, investisseurs, collaborateurs actuels et futurs, communautés...). Cette force se retrouve également dans les modes de fonctionnement des entreprises qui cherchent à développer la confiance avec leurs parties prenantes internes et externes car la première caractéristique de la confiance est l’acceptation d’une forme de vulnérabilité[7].
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[1] DREES : “En France, une personne sur sept de plus de 15 ans est handicapée, en 2021”, n°1254, 2 février 2023

[2] DARES Résultats, “L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés en 2022, le taux reste stable à 3,5%” , n°62, novembre 2023

[3]Mautalent C. (ed) : En finir avec les idées fausses sur le handicap, Editions de l’Atelier, 2024

[4] Miller D & Breton-Miller, I. : “Underdog entrepreneurs. A model of challenge-based entrepreneurship”, Entrepreneurship Theory and Practice, 41(1), 2017, p7-17.

[5] Alemany, L. & Vermeulen, F. “Disability as a source of competitive advantage”, Harvard Business Review, July August 2023, p. 106-115

[6]Cafés restaurants solidaires, vente en ligne de café et thé-Café Joyeux (cafejoyeux.com)

[7] Truong, O., De Geuser, F., Wiersch, E., Besseyre des Horts CH, Chavanne, PM : Le Management par la Confiance, Eyrolles, 2020

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