Si l’entretien vidéo différé avait le vent en poupe fin des années 2010, force est de constater que l’engouement semble s’être quelque peu « calmé » ces dernières années. Dans un sondage réalisé par mes soins sur LinkedIn auprès de 208 répondants – échantillon trop faible et non représentatif pour en tirer des conclusions fiables - 56% jugeaient que cette pratique excluait trop de candidats, 31 % n’avaient pas d’avis tranché, 11 % considéraient que cela leur faisait gagner du temps mais seulement 2 % jugeaient que c’était top pour l’expérience candidat.

A titre personnel, je me range parmi les 56 % qui estiment que l’entretien vidéo différé est trop excluant et je déconseille globalement d’y recourir. Je vais vous en expliquer les raisons dans cet article mais après en avoir présenté tout de même les avantages et bénéfices éventuels. C’est parti !

Définition de l’entretien vidéo différé

L'entretien vidéo différé (EVD) se présente comme une alternative aux méthodes « traditionnelles » de recrutement comme les entretiens téléphoniques ou en face à face.

Concrètement, l’entretien vidéo différé consiste à demander aux candidats de répondre, en se filmant, à une série de questions prédéfinies en amont en fonction du poste à pourvoir. Le recruteur peut ensuite visionner, quand il le souhaite, les réponses ainsi enregistrées et décider si oui ou non il souhaite avancer dans le processus avec le candidat.

L’EVD est majoritairement utilisé en lieu et place de la préqualification téléphonique.

A priori, de nombreux avantages …

A priori, l’entretien vidéo différé offre de nombreux avantages et ce aussi bien pour les recruteurs que pour les candidats eux-mêmes :

  • Flexibilité et gain de temps :
  • Les candidats sont libres d’enregistrer leur réponse quand ils le souhaitent et surtout où ils le souhaitent. C’est un réel avantage pour les candidats en poste avec un emploi du temps chargé et qui ne sont pas disponibles ou, en tout cas, difficilement disponibles sur les heures traditionnelles de bureau. Ils peuvent ainsi s’organiser comme ils le veulent et enregistrer les réponses au moment le plus opportun pour eux, le soir, tôt le matin ou bien encore le weekend.

Généralement, ils ont un délai de plusieurs jours pour effectuer l’enregistrement. Ce n’est pas le cas pour toutes les organisations, mais la plupart du temps, ils ont la possibilité d’enregistrer plusieurs réponses ce qui peut être considéré comme un avantage versus un appel téléphonique ou un échange en face à face.

  • Les recruteurs sont, quant à eux, en mesure de visionner ces vidéos à leur convenance au moment le plus propice. Cela leur permet ainsi d’optimiser leur temps et de davantage se concentrer sur l’analyse des réponses apportées par les candidats.
  • Accessibilité élargie et image moderne :
  • L'EVD permet de toucher plus de candidats et plus facilement. Les contraintes de temps et disponibilités des candidats constituent moins un éventuel frein pour cette première prise de contact.
  • L’entretien vidéo différé véhicule une image plutôt moderne et innovante de l'entreprise et, de ce fait, serait a priori susceptible d’attirer un plus grand nombre de candidats.
  • Analyse approfondie et partage facilité :
  • L'enregistrement des réponses permet à un recruteur de les revoir autant de fois que nécessaire, quand il le veut et d'analyser ainsi plus en détails les réponses apportées par les candidats. Par exemple, il peut décider de regarder toutes les vidéos des candidats pressentis pour un même poste dans la foulée. Les partisans de cette méthode estiment que cela facilite la présélection et aboutit, in fine, à une évaluation plus objective, qualitative et précise.
  • Cerise sur le gâteau, les vidéos peuvent être facilement partagées avec d'autres membres de l'équipe de recrutement ou bien encore les managers facilitant la collaboration et la prise de décision.

… mais des limites problématiques !

L’entretien vidéo différé présente, a priori, de nombreux avantages. En tout cas, en théorie. Mais, dans la vraie vie et de manière très opérationnelle, l’EVD est loin de faire l’unanimité et suscite de nombreuses critiques et interrogations et, je rajouterai, légitimement !

  • Amplification des discriminations ?

Première critique et non des moindres, cette manière de procéder amplifierait les discriminations dans le processus de recrutement.

L'absence d'interaction en face à face pourrait accentuer l'attention portée sur l'apparence physique du candidat, son expression orale, son accent, ses éventuelles difficultés d’élocution etc… ce qui peut mener à des préjugés discriminatoires. Un candidat avec un handicap visible, une coupe de cheveux non conventionnelle, un style vestimentaire atypique, un vocabulaire plus limité pourrait être défavorisé par rapport à un candidat jugé plus « conforme ».

On pourra rétorquer que cela serait de même lors d’un entretien téléphonique ou en face à face mais ce n’est pas le cas. Lors d’un EVD, un recruteur pourrait, au bout de quelques minutes, arrêter d’écouter les réponses apportées par le candidat alors que ce n’est pas le cas en face à face ou au téléphone. Il aurait été « obligé" d’aller jusqu’au bout de l’échange et des questions et aurait peut-être été amené à dépasser certains préjugés et clichés. Mais, dans le cas d’un EVD, l’apparence physique et l’expression orale vont avoir un impact démultiplié.

  • Fracture numérique et exclusion

L'EVD exclut de facto les candidats qui n'ont pas accès aux outils technologiques nécessaires ou qui ne disposent pas des compétences numériques suffisantes pour réaliser une vidéo de qualité.

Et c’est loin d’être anecdotique ! Loin de là même ! En France, 15% de la population est en situation d'illettrisme numérique en 2021 selon une étude de l’Insee de juin 2023 ce qui représente un nombre important de candidats potentiels exclus du processus de recrutement.

Cette méthode ne prend donc pas suffisamment en compte l’importance de la fracture numérique en France.

  • Expérience candidat dégradée ?

Alors que la qualité de l’expérience candidat est souvent mise en avant par les partisans de l’EVD, dans les faits, les candidats n’en raffolent pas du tout.

Ainsi, selon le baromètre de l'expérience candidats établi par YAGGO en 2022 [2], 42 % des actifs et futurs actifs seraient susceptibles d'être découragés par le fait de fournir des réponses à des questions dans une vidéo, 42 % soit le 2ème frein évoqué juste après la présentation du CV dans un format vidéo ( 54 %).

Il faut dire que l'EVD peut facilement générer du stress et de l'anxiété chez certains candidats n’étant pas habitué à ce genre d’exercice et à se filmer. Cela va forcément impacter négativement la qualité de leurs réponses et leur « performance » lors de l'entretien.

  • Le message véhiculé : un manque de considération ?

Enfin, dernière limite mais la plus importante selon moi et qui à elle seule est suffisante pour disqualifier le recours à l’EVD, c’est tout simplement le message qu’elle véhicule auprès des candidats à savoir je suis recruteur/recruteuse mais je veux limiter les interactions humaines au maximum afin de gagner du temps et je ne veux pas m’embarrasser avec des candidats en chair et en os.

Avouez qu’il y a mieux comme message à envoyer aux candidats potentiels et futurs collaborateurs ❗

Et c’est d’ailleurs ce qui revenait le plus dans les commentaires de mon sondage personnel sur le recours à l’EVD, son côté impersonnel et froid et l’impossibilité de créer un lien avec le recruteur.

Le recours à cette méthode est souvent interprété par les candidats comme un flagrant manque de considération envers eux et comme une volonté de limiter les interactions humaines dans le processus de recrutement. Argument-massue, s’il en est, contre l’EVD, non ?!?

Conclusion 

L’entretien vidéo différé présente, a priori, de nombreux avantages aussi bien pour les candidats que pour les recruteurs dont un réel gain de temps pour les deux parties.

Mais, à bien à y regarder, l’EVD présente également une face plus sombre avec un risque plus élevé de discriminations, une absence de prise en compte de la fracture numérique et une expérience candidat dégradée.

Mais le plus grave et, selon moi, l’argument qui suffit à lui seul à disqualifier cette méthode c’est le message conscient ou inconscient qu’elle véhicule à savoir nous, recruteurs et recruteuses, voulons limiter au maximum les interactions humaines dans notre processus de recrutement ; nous, recruteurs et recruteuses sommes prêts à sacrifier l’interaction humaine sur l’autel de l’efficacité et du gain de temps ! Pas folichon comme message à adresser à des candidats potentiels et à ses futurs collaborateurs !

Néanmoins, si vous souhaitez quand même tenter l’aventure, veillez à en avoir un usage raisonné et à vous assurer, préalablement, que cette méthode est bien adaptée à la cible des candidats que vous visez. Ne substituez pas l’EVD aux entretiens en face à face mais servez-vous en uniquement en guise de première étape de sélection et, surtout, soignez la communication avec les candidats en leur expliquant clairement les objectifs et le déroulement de l'EVD et en leur offrant la possibilité de poser des questions.
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Références

[1] Sondage réalisé au cours du premier trimestre 2024 sur LinkedIn

[2] « Baromètre & tendances de l’expérience candidats en 2022 » par Yaggo et l’IFOP | Étude 2022 : baromètre et tendances de l’expérience candidat (yaggo.co)

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