Partons de deux constats factuels :
- Avec les évolutions du cadre légal sur l’âge de départ en retraite, les plus de 55 ans feront désormais plus longtemps partie de la population active.
- Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à être confrontées à des pénuries de compétences, au point parfois de ne pas parvenir à pourvoir certains postes. Au vu des données démographiques, ce phénomène va s’accentuer.
Un retournement de situation
Ces dernières décennies, de nombreuses organisations ont utilisé le départ anticipé de leurs seniors comme un levier pour ajuster l’emploi et renouveler leur socle de compétences. L’enjeu d’une gestion qualitative des seniors a été peu traité, avec un retard conséquent par rapport à la gestion d’autres populations.
En France, l’obligation légale pour une organisation de disposer d’un accord ou d’un plan d’action en faveur de l’emploi des salariés seniors a conduit les organisations à approfondir le sujet à partir de 2010. Mais la réponse apportée s’est parfois limitée à un effort pour desserrer cette contrainte légale, avec une approche a minima.
Certaines entreprises sont allées plus loin, en définissant des mesures de gestion des parcours des seniors, de valorisation et de transmission de leur expérience. Cette approche via les processus RH est utile, mais elle ne permet pas de traiter l’enjeu de manière complète.
Les perceptions évoluent rapidement. Des transformations vont intervenir dans les prochains mois sur le plan de la réglementation. Cette situation constitue une bombe à retardement.
D’un côté une ressource, de l’autre un besoin. L’entreprise ne peut pas continuer à se séparer de manière anticipée de ses seniors. Et si elle les conserve en son sein, elle ne peut pas non plus s’offrir le luxe d’avoir une population moins engagée et moins contributrice que les autres parce que mal gérée. Plus qu’une approche limitée au refus de discriminations parfois bien réelles du fait des stéréotypes, ce sont bien ces enjeux qui doivent guider la réflexion et l’action de l’entreprise.
Désormais, l’entreprise qui ne se saisirait pas du sujet serait confrontée aux mêmes risques que celle qui néglige les impératifs de mixité. Les grands groupes ne s’y trompent pas, en initiant des projets structurants en la matière. Tout comme VINCI, ENGIE, BNP Paribas et d’autres l’ont fait récemment avec Identité RH.
Les conditions de réussite
Pour transformer en profondeur les pratiques de l’entreprise en matière de gestion des seniors, la première condition est de se fixer le bon objectif. Il ne s’agit pas de traiter d’abord cette situation comme une contrainte ou de chercher seulement à améliorer son image en adoptant une approche à caractère social.
L’entreprise doit se fixer comme cap d’agir pour que cette population soit durablement aux niveaux de compétence, d’engagement et donc de performance que l’activité requiert de tous. Il s’agira également pour l’organisation de capitaliser sur la diversité générationnelle pour alimenter sa performance.
Seconde condition de réussite : pour élaborer ses réponses, l’entreprise devra certes adopter une approche sur mesure, mais aussi être en capacité de mobiliser des contenus riches en capitalisant sur l’expérience des organisations en pointe sur ces sujets.
Sur cet enjeu de la gestion des seniors, les missions d’accompagnement que nous avions réalisées depuis un an, le benchmark des bonnes pratiques que nous avons réalisé au niveau international et notre travail avec les Directeurs C&B de 30 des plus grands groupes français nous conduit à préconiser une démarche en quatre temps.
1 / Traiter le préalable des stéréotypes
Des travaux de recherche récents sur les stéréotypes relevant de l’âgisme ont positionné la France en 61e position sur les 68 pays étudiés. Quant aux seniors eux-mêmes, 53% estiment avoir déjà été discriminés du fait de leur âge (IFOP). Le journal Les Echos évoque « une révolution culturelle » à réaliser.
Productivité plus faible ou au contraire efficacité accrue par l’expérience, diminution de l’engagement, adaptabilité limitée, résistance au changement, moindre tropisme avec l’innovation, capacités d’apprentissage réduites, difficultés avec les outils numériques, etc. Les a priori négatifs sur les seniors sont nombreux et la tâche s’annonce ardue.
Si l’entreprise n’engage pas un travail de déconstruction, ces stéréotypes viendront systématiquement affaiblir ses actions sur les seniors. Pour être efficace, c’est dans la durée que l’effort devra être poursuivi, comme l’illustre celui sur la déconstruction des stéréotypes de genre.
2 / Identifier les thématiques à couvrir
Ce dont il s’agit pour l’entreprise, c’est d’apporter une réponse structurée à une question : quelles sont les thématiques que nous devons traiter pour capitaliser au mieux sur cette population dans la durée ; que mettre en place pour y répondre ? L’enjeu pour une organisation est bien là : déployer ce qui lui permettra de s’appuyer sur tout ce que peuvent apporter ces collaborateurs, tout comme les autres populations de l’entreprise. S’y ajoute un impératif d’équité : s’il ne s’agit pas de dire que cette population doit être traitée comme les autres, le besoin est bien de la gérer aussi bien que les autres.
Une gestion dynamique et complète des seniors doit aborder des volets très divers. Les premiers concernent bien sûr l’activité elle-même :
- Carrière et affectation. L’entreprise doit organiser les parcours possibles pour les seniors dans l’entreprise, mais aussi à l’extérieur (mise à disposition, portage, etc.). Elle pourra mettre en place des dispositifs RH spécifiques type People Reviews dédiées. Elle structurera également sa politique de recrutement des seniors. Au sein de cette population, elle sera vigilante aux autres points d’attention qui alimentent ses politiques RH (différences selon les métiers, mixité, etc.).
- Conditions d’exercice de l’activité. Il va s’agir d’accompagner les intéressés dans la priorisation de leurs motivations et dans la définition du projet de vie qui en découle. L’entreprise précisera ce qu’est sa politique en matière de poursuite de l’activité des seniors (y compris, dans certains cas, ce qui relève des modalités de poursuite d’une activité réduite). Elle déploiera une politique d’accompagnement des aidants.
- Compétences des seniors. Cet axe renvoie à la fois au maintien de leur employabilité, enjeu à intégrer très en amont, ainsi qu’à leur accès à la formation et à une prise en compte de spécificités éventuelles de cette population dans les modalités d’apprentissage.
D’autres volets de la politique seniors de l’entreprise sont liés à la dimension intergénérationnelle :
- Interactions avec les autres populations au sein de l’entreprise. L’entreprise doit veiller à accompagner l’ensemble de ses collaborateurs dans l’identification et le dépassement des stéréotypes alimentant l’âgisme ainsi qu’à valoriser la diversité cognitive. Elle aidera les managers dans la constitution et le management d’équipes diverses en termes d’âge.
- Transmission des savoir-faire. L’entreprise va structurer sa politique pour que l’expérience professionnelle devienne une ressource : identification des savoir-faire clés et des profils, démarche de partage, programmes de tutorat et de mentorat, mise en place d’outils, etc.
Certains aspects requièrent une attention particulière :
- Rémunération. Il va notamment s’agir de baser la politique de rémunération sur la compétence déployée et non sur l’âge ou l’ancienneté, ainsi que d’anticiper avec les intéressés l’enjeu des revenus une fois en retraite.
- Santé. L’entreprise va alors renforcer sa politique de prévention (bilan de santé, sensibilisation, etc.) et traiter les enjeux d’usure professionnelle dans certains métiers. Elle renforcera son action sur les conditions de travail et adaptera sa protection sociale en fonction de l’âge.
- Arrêt d’activité. L’accompagnement des personnes concernées portera notamment sur l’accès à l’information sur les dispositifs (bilan retraite, interfaces avec les organismes, etc.) et sur la réussite du départ (passage de relais, célébration).
3 / Sortir du cadre
Pour « gérer les seniors aussi bien que les autres », c’est chacune des politiques RH qui devra être revisitée, en mettant en cause les certitudes construites au fil des années. Limitons-nous ici à trois exemples.
La question du développement des compétences n’est souvent abordée pour les seniors qu’à travers celle de la transmission de leurs savoir-faire. Alors que pour un profil qui a vocation à rester 3, 5 ou 10 ans dans l’entreprise, la mise à jour de son capital compétences reste un enjeu considérable. Sauf à réduire progressivement son employabilité.
Dans de nombreuses entreprises, hormis pour la population des dirigeants, il n’y a plus d’évolution possible au-delà d’un certain âge. Cette approche renvoie à une gestion des carrières exclusivement composée de mouvements verticaux décidés sur la base du potentiel. Il va s’agir de revisiter cette conception en construisant d’autres mobilités à partir d’autres critères (l’expertise, l’usure professionnelle, etc.) dans l’intérêt de l’entreprise et des intéressés.
En France, l’écart de rémunération d’un 55-64 ans par rapport à un 25-54 ans sur un même métier est de 17% alors qu’il est en moyenne de 6% dans les pays de l’OCDE. Le « raccourci » largement intégré en France est le suivant : si la rémunération est fonction des compétences mises en œuvre dans le poste, donc de l’expérience, donc de l’ancienneté, la rémunération doit donc être fonction de l’ancienneté. Comment remettre en cause les mécanismes formels ou culturels qui conduisent à rémunérer l’ancienneté plus que les compétences mises en œuvre dans le poste ?
4 / Opérationnaliser les réponses
Une fois le cadre de chacune de ces politiques RH revisité par l’entreprise à l’aune de la contribution potentielle des seniors, il s’agira de construire les plans d’action qui permettront de les décliner.
Ce qui supposera alors de se centrer sur ce que vivront les collaborateurs ciblés une fois la politique déployée. Là aussi la notion d’expérience collaborateur peut montrer toute son utilité. Allons plus loin : c’est en associant largement les intéressés qu’il sera possible de construire les plans d’action qui permettront à la fois de répondre aux besoins de l’entreprise et de générer ensuite la mobilisation de cette population.
La démarche pourra comprendre la mise en place, pour chacune des politiques RH à décliner, d’un groupe-miroir composé de seniors des différents métiers de l’entreprise.
Et si le dossier était enfin traité ?
Le benchmark réalisé fin 2022 par Identité RH au niveau européen, avec l’identification d’une trentaine d’entreprise ayant les meilleures pratiques de gestion des seniors, nous a permis de faire un constat : il y a une dizaine d’années, certaines organisations ont traité de manière qualitative l’une ou l’autre des thématiques détaillées ci-dessus. Pour autant, peu d’entreprises ont à ce moment-là construit une politique de gestion des seniors structurée qui aurait couvert l’ensemble de ces dimensions.
Mais l’enjeu de la gestion des seniors, s’il est présent dans les discours, a depuis été peu travaillé. Nous savons que ces populations vont rester plus longtemps à l’effectif. Il est donc plus que temps de rouvrir le dossier. D’autant que la façon dont certaines organisations ont par le passé traité l’emploi des seniors a sans doute pesé dans la distanciation croissante vis-à-vis de l’entreprise qui a pu émerger dans les générations qui ont suivi.
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