Télétravail : en arrière toute !
« Le Monde d’après » ! Combien de fois avons-nous entendu cette expression utilisée comme synonyme de révolution ! La crise sanitaire allait sérieusement rebattre les cartes du monde du travail et sonner le glas du présentiel ! Vous alliez voir ce que vous alliez voir !
Mais à bien y regarder, est-ce vraiment le cas ? Certes la pandémie et son cortège de confinements ont accéléré l'augmentation du télétravail mais la dynamique en faveur du télétravail est sérieusement en train de s’essouffler dans le monde et tout particulièrement aux Etats-Unis et au sein des GAFAM qui donnent souvent le « la » en matière de tendance RH. La généralisation du télétravail n’aura-t-elle été qu’un phénomène passager aussi éphémère ou presque qu’un feu de paille ?
Une nette dynamique de recul du télétravail dans le monde
Depuis quelques mois, il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’on ne lise dans la presse ou qu’on entende à la radio ou à la télévision qu’une organisation a décidé de faire machine arrière concernant le télétravail et tout particulièrement parmi les grands acteurs américains. J’en veux pour preuves :
▪️ Zoom, la référence de la visioconférence et de la collaboration à distance, qui exige de ses employés habitant à moins de 80 kms d'un de ses sites, de revenir travailler dans ses bureaux à raison de 2 fois par semaine minimum. C'est donc la fin du tout télétravail.
▪️ Disney qui demande formellement à ses salariés d’être présents sur site du lundi au jeudi. Le nouveau patron, Bob Iger, déclare ainsi : « Je prévois de passer beaucoup de temps au bureau […] et j'espère ne pas me sentir seul. »;
▪️ Et Elon Musk, le fantasque patron de Tesla et SpaceX, qui, avec son franc-parler légendaire, a tout simplement demandé à ses employés de revenir au bureau ou bien de quitter l’entreprise. « Toute personne qui souhaite faire du travail à distance doit être au bureau pour un minimum de 40 heures par semaine ou quitter Tesla ». « Si vous ne vous présentez pas, écrit-il, nous considérerons que vous avez démissionné. »
Outre ces exemples et déclarations, cela se traduit concrètement dans les offres d'emploi publiées avec un nombre d’emplois à distance proposé en baisse constante depuis début 2022 (source étude LinkedIn).
La France, tout particulièrement réfractaire au télétravail
On s’en doutait bien, mais là, au moins, les choses sont claires : côté adoption du télétravail, la France est assurément à la traîne ☹ ! Ce sont les résultats d’une récente étude de l'institut Ifo et de Econpol Europe qui ne laissent, malheureusement, plus de place au doute. [1]
Ainsi, selon cette étude portant sur un échantillon de 42 400 répondants issus de 34 pays développés, la France se classe parmi les pays les plus réfractaires avec, en moyenne, seulement 0,6 jour de télétravail par semaine contre une moyenne mondiale de 0,9 jour.
C'est le Canada, suivi du Royaume-Uni puis des Etats-Unis qui font la course en tête avec respectivement 1,7 ; 1,5 et 1,4 jours de télétravail par semaine.
La France se démarque ainsi par sa résistance au télétravail ! Or les travailleurs français plébiscitent fortement le travail hybride et souhaiteraient, selon cette même étude, pouvoir télétravailler 1,4 jour par semaine en moyenne.
Cette résistance est visible jusque dans les annonces de recrutement puisque 78 % des recruteurs en France ne mentionnent pas systématiquement le nombre de jours de télétravail dans les offres d’emploi et que 22 % d’entre eux ne le mentionnent même jamais mentionné dans leurs annonces ( étude de juin 2023 menée par OpinionWay pour Indeed). Hallucinant !
Quels sont les freins français à une adoption plus large du télétravail ?
La première raison est, selon moi, d’ordre culturel. En France, nous baignons dans une culture très ancrée du présentéisme pour ne pas dire que nous vouons un véritable culte au présentéisme. Les managers adorent « avoir sous la main » leur équipe et pouvoir les voir lorsqu’ils se promènent dans leur bureau.
Autre raison, c’est bien évidemment, le manque de confiance. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Qui n’a pas déjà entendu cette blagounette horripilante : « le télétravail c'est plus télé que travail » ?
A cette problématique de confiance, se rajouter des doutes sur la productivité réelle en télétravail. Et là, c’est un peu difficile de s’y retrouver parmi de nombreuses études contradictoires.
Une dernière étude du MIT [2] est arrivée à la conclusion que le télétravail à temps complet nuirait significativement à la productivité des salariés et entraînerait une perte de productivité de 18%. Un bémol non négligeable cependant est à mettre en avant : cette étude, menée en Inde avec des salariés de la data aux tâches facilement réalisables à distance, ne concerne que des collaborateurs fraîchement embauchés et télétravaillant à temps plein. Difficile d'en tirer des conclusions définitives sur le télétravail de manière générale...
De plus, nombre d'études affirment, quant à elles, le contraire à savoir que la productivité serait boostée et améliorée par le télétravail. Je suis totalement dans l’incapacité, à titre personnel, de départager ces différentes études et de prendre parti. En revanche, clamer haut et fort, que « le télétravail c'est plus télé que travail » me semble être une belle absurdité !
Certes, les tentations sont multiples à la maison (télé, Netflix, canapé, tâches ménagères etc..) mais c’est oublier qu’au bureau, les distractions, le bruit intempestif et les heures de travail non productives sont légion (bruit assourdissant des open spaces, pauses café/cigarettes entre collègues, réunions qui s’éternisent…). Ceux qui font semblant de travailler à distance faisaient exactement la même chose en présentiel. La seule différence notable c’est la tenue 😉 !
Autre inconvénient majeur du télétravail émanant cette fois-ci majoritairement des syndicats et des instances représentatives du personnel : télétravailler brouillerait les lignes entre la vie privée et la vie professionnelle et porterait atteinte au fameux équilibre vie privée/vie professionnelle tant plébiscité et recherché par les candidats et collaborateurs. Ce phénomène porte d’ailleurs le nom de « blurring ».
Des études commencent à sortir mettant en avant le fait, qu’à fortes doses, le télétravail nuirait à la santé mentale des collaborateurs voire serait une trappe à burn-out. C’est un message à entendre et à prendre indéniablement en considération.
Tout comme l’autre argument massue poussé par les organisations à savoir le « risque de désaffiliation » des salariés avec l'entreprise et le danger réel d'un délitement du collectif de travail. Il est vrai qu’il est plus compliqué de créer une cohésion d’équipe dans un contexte de télétravail ou de travail hybride. Il est également plus difficile de former et de faire monter en compétences ses collaborateurs.
Pour autant, est-ce une raison suffisante pour ne pas proposer de télétravail et/ou faire machine arrière alors que les avantages sont nombreux (flexibilité, gain de temps de transport…) pour les collaborateurs qui plébiscitent, enquête après enquête, le télétravail ?
Conclusion
Alors qu’on nous avait vendu des lendemains qui chantent et l’avènement du télétravail, il semblerait que les choses soient en train de se tasser et la dynamique de s’essouffler dans le monde et tout particulièrement aux Etats-Unis 💨💨💨 avec la fin du full remote au sein de nombreuses entreprises et une diminution du nombre de jours de télétravail accordés.
La France n’est pas épargnée par ce phénomène de rétropédalage, loin de là ! Elle est même particulièrement réfractaire au télétravail avec 0,6 jour en moyenne par semaine. Or les travailleurs français plébiscitent fortement le télétravail et plus spécifiquement le travail hybride !
Alors, certes, il y a des freins légitimes au télétravail (risques de désaffiliation des salariés avec l’entreprise, risques psycho-sociaux, intégration et formation moins « simples » a priori…) mais ce n’est, selon moi, pas une raison suffisante pour justifier un tel recul.
Ce qu’il convient de faire, c’est de mener une réflexion en profondeur sur l’organisation du travail et l’articulation présentiel/distanciel. Un trop grand nombre d’entreprises ne se sont pas encore attaquées aux réels problèmes soulevés par le télétravail et se sont contentées d’actions cosmétiques.
Faire revenir leurs collaborateurs sur site pour ne rien faire de plus que ce qu’ils feraient chez eux est une hérésie et une source inépuisable de mécontentement et de démotivation. A bon entendeur !
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Références
[1] Article des Echos « La France parmi les pays les plus réfractaires au télétravail » du 16 août 2023 | La France parmi les pays les plus réfractaires au télétravail | Les Echos
[1] Etude de l'institut Ifo et de Econpol Europe de juillet 2023 | EconPol-PolicyBrief_53_Working_from_Home.pdf
[2] Etude « Working from home, worker sorting and development » de David Atkin Antoinette Schoar Sumit Shindew | 31515.pdf (nber.org)
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