Une sanction disciplinaire peut-elle être fondée sur des témoignages anonymes ?

M. "N" a été engagé en qualité d'agent de fabrication, le 1er mars 2013, par la société Airbus opérations.

Ayant fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire notifiée le 11 juillet 2017, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de cette sanction.

Après avoir écarté l'attestation anonyme d'un salarié produite par l'employeur et le compte-rendu de son entretien avec un membre de la direction des ressources humaines, la cour d’appel a jugé que les faits incriminés à l'encontre du salarié n'existaient pas et ne constituaient pas une faute puis a annulé la mise à pied disciplinaire infligée au salarié et a condamné la société à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi ainsi que le salaire retenu durant la mise à pied disciplinaire.

La société a contesté cette décision.

Elle estime que si le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes de salariés, rien ne lui interdit de prendre de tels témoignages en considération lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments et notamment par d'autres témoignages, non anonymes, dont le rapprochement permet d'établir la matérialité des faits qui y ont énoncés.

Dès lors, en refusant d'examiner l'attestation d'un salarié qui avait accepté de témoigner sous anonymat, car il craignait des représailles de la part des collègues dont il dénonçait le comportement, la cour d'appel a notamment violé les articles 201 et 202 du code de procédure civile.

Dans cette affaire, la cour de cassation réaffirme, d’une part, le principe de liberté de la preuve en matière prud'homale.

D’autre part, elle précise qu’il résulte de l’article 6, §1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.

Dès lors en annulant la sanction de mise à pied disciplinaire infligée au salarié au motif que l'attestation anonyme d'un salarié produite par l'employeur et le compte-rendu de son entretien avec un membre de la direction des ressources humaines ne sont pas probants, alors que ces deux pièces n'étaient pas les seules produites par l'employeur pour caractériser la faute du salarié dont il se prévalait et dont il appartenait aux juges du fond d'en apprécier la valeur et la portée, la décision de la cour d'appel doit être cassée.

Il résulte donc de cet arrêt que les témoignages anonymisés peuvent être admis au débat judiciaire en vertu du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale.
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Cass Soc 19 avril 2023

N°21-20.308

Publié au bulletin

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