Deux risques liés au digital que les DRH doivent pouvoir maîtriser [1]

Depuis plus de 10 ans, les discours sur la révolution digitale ont été largement dominés par une sur-représentation des conséquences positives de l’introduction des nouvelles technologies, y compris récemment celle du Metaverse [2] , qui favoriseraient notamment l’autonomie et la coopération dans les entreprises. Mais cette vision optimiste doit être nuancée par une autre conception qui montre que les technologies ne sont jamais neutres et qu’elles doivent être appréhendées dans un environnement social, ici l’entreprise, où elles sont mises en œuvre comme le défendaient, il y a déjà plusieurs décennies, les théoriciens de l’école Socio-Technique [3] . Deux risques directement liés au digital, que les DRH doivent pouvoir maîtriser, sont ici discutés : la généralisation d’une nouvelle forme de taylorisme – ou néo-taylorisme – et le développement de la paresse intellectuelle avec le recours massif à l’IA conversationnelle comme ChatGPT.

Taylor n’est pas mort : bienvenue dans le monde merveilleux de la révolution digitale !

C’est précisément dans cette deuxième perspective que l’on doit comprendre l’une des faces cachées de la révolution digitale à savoir le risque de développement d’une nouvelle forme de taylorisme ou « néo-taylorisme digital » comme le soulignait avec force en 2015 un article du Nouvel Economiste [4] : les technologies digitales sont en effet susceptibles d’étendre la division du travail, chère au modèle Taylorien fondé sur la division entre la conception et l’exécution du travail, à un nombre beaucoup plus important d’emplois depuis les salariés galériens des plateformes jusqu’aux radiologues qui voient leur expertise dans le diagnostic potentiellement supplantée par des solutions utilisant l’intelligence artificielle même si ce n’est pas demain qu’ils seront remplacés par la machine [5] . Mais l’arrivée en fanfare de ChatGPT, exemple emblématique de l’IA conversationnelle, risque bouleverser un certain nombre de métiers encore préservés, notamment dans les professions intellectuelles, comme le montre la deuxième partie de cet article.

Face à cette vague montante du taylorisme digital que nous vivons nous-mêmes au quotidien lorsque nous faisons totalement confiance aux applications Waze ou Google Maps pour nous faire éviter des bouchons routiers, les entreprises, et les DRH en particulier, se doivent de réagir pour éviter que les technologies digitales ne transforment leurs collaborateurs qu’en simples exécutants d’un travail conçu et organisé par la machine !

Plusieurs pistes sont possibles pour éviter de telles dérives et replacer véritablement l’humain au cœur du digital:

· La première piste est de repenser l’organisation du travail en co-construisant avec les personnes concernées les contenus de leurs missions et les processus utilisant les technologies digitales tout en respectant les savoir-faire et surtout les savoir-être car un facteur de différenciation pour les entreprises sera de plus en plus « l’expérience » , aussi bien client que collaborateur, fondée principalement sur la relation humaine [6] .

· La deuxième piste est de revoir profondément la philosophie traditionnelle de management en profitant des opportunités réelles offertes par la révolution digitale pour le renforcement de la confiance et de la transparence et non l’inverse. Les jeunes générations de collaborateurs, la plupart plus « digitaux » que leurs aînés, exigent la fin du management « command and control » en attendant plus d’écoute, de respect et de reconnaissance comme on l’a vu lors de la pandémie.

· La troisième piste est de promouvoir des démarches pragmatiques de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, par rapport aux évolutions des métiers qui seront impactés, à des degrés divers, par la transformation digitale. Selon les études, 10 à 50 % des emplois sont susceptibles d’être profondément impactés d’ici à 2030 par le digital.

En définitive, Les DRH sont les premiers concernés pour imaginer, avec les managers opérationnels, l’entreprise de demain, utilisant des technologies digitales de plus en plus sophistiquées, mais qui devrait faire la part belle à un modèle d’organisation fondé sur l’autonomie et la responsabilisation des personnes, aux antipodes d’un modèle Taylorien. Il s’agit, entre autres, de redonner aux collaborateurs un vrai pouvoir de conception de leur travail pour répondre aux attentes de clients toujours plus exigeants.

ChatGPT ou le risque de paresse intellectuelle

ChatGPT est une illustration de la véritable révolution que représente le recours à l’intelligence artificielle pour les entreprises mais aussi pour nous tous dans la vie courante. Les activités intellectuelles, comme celle de l’écriture de cet article, sont-elles menacées ? On peut le penser à lecture de ce texte (en italiques) rédigé par ChatGPT en 32 secondes en réponse à la consigne : « écrire un article de 3000 signes sur l'impact de ChatGPT sur les ressources humaines » [7] :

« ChatGPT est un modèle de langage naturel révolutionnaire développé par OpenAI, qui utilise l'apprentissage profond pour générer des réponses cohérentes et pertinentes aux questions posées en langage naturel. Depuis son lancement en 2020, ChatGPT a eu un impact significatif sur de nombreux secteurs, y compris les ressources humaines.

Le recrutement est l'un des domaines clés des ressources humaines qui a été affecté par ChatGPT. Les entreprises utilisent désormais des chatbots alimentés par ChatGPT pour interagir avec les candidats et leur poser des questions spécifiques pour évaluer leur adéquation à un poste. Cela permet aux recruteurs de passer moins de temps sur des tâches répétitives et de se concentrer davantage sur des activités à plus forte valeur ajoutée, comme l'entretien en personne.

En outre, ChatGPT a également aidé les entreprises à améliorer leur communication interne. Les chatbots alimentés par ChatGPT sont utilisés pour répondre aux questions des employés sur les politiques, les avantages sociaux, les congés, les processus de performance, etc. Les chatbots peuvent également fournir des informations sur les opportunités de formation et de développement professionnel. Cela permet aux responsables RH de se concentrer sur des activités plus stratégiques, tout en fournissant aux employés des informations rapides et précises.

ChatGPT a également permis d'améliorer la qualité de l'expérience des employés. Les chatbots alimentés par ChatGPT sont utilisés pour répondre aux demandes des employés, notamment pour des congés, des remboursements de frais, des changements de salaire, etc. Cela permet de traiter les demandes rapidement et avec précision, améliorant ainsi l'efficacité et la satisfaction des employés.

Cependant, il y a également des préoccupations quant à l'impact de ChatGPT sur les emplois humains. Certaines tâches autrefois effectuées par des personnes sont désormais automatisées grâce à ChatGPT. Cela peut entraîner des suppressions de postes, en particulier pour les postes qui impliquent des tâches répétitives. Cependant, il est important de noter que ChatGPT n'est pas destiné à remplacer complètement les employés, mais plutôt à les aider à se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

En conclusion, ChatGPT a eu un impact significatif sur les ressources humaines, en aidant les entreprises à automatiser les tâches répétitives, à améliorer leur communication interne et à offrir une meilleure expérience aux employés. Bien que cela puisse entraîner des suppressions de postes dans certains cas, il est important de reconnaître que ChatGPT est un outil qui peut aider les entreprises à être plus efficaces et à se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée ».

On remarquera que le texte est bien construit mais n’apporte que peu d’éléments novateurs et les affirmations ne sont pas soutenues ni par des arguments solides ni par des références et que, surtout, il manque cruellement d’une forme d’émotion. On pourra alors, en tant que DRH, se rassurer en se disant que ces limites ne font pas de ChatGPT une menace et qu’il peut représenter, comme le souligne le texte ci-dessus généré par ChatGPT lui-même, au contraire une véritable opportunité pour les RH.

Mais la frontière entre l’opportunité et la menace pour les RH est floue surtout lorsqu’on observe que ChatGPT peut constituer une aide précieuse pour les candidats créant ainsi des situations d’inégalités entre ceux qui ont recours à ChatGPT et les autres. Il peut en effet permettre aux premiers de créer des CV qui répondent parfaitement aux attentes d’une offre d’emploi, de préparer un entretien en valorisant leur parcours et leur profil au regard du poste visé, ou d’améliorer une lettre de motivation [8] . Bref, cet outil est susceptible de générer chez les utilisateurs une véritable paresse intellectuelle qui va, si les DRH n’y prennent pas garde, renforcer la facture digitale entre les geeks et les autres.

Cette partie de l’article , rédigée aux 2/3 par ChatGPT, n’a pas pour but ni de défendre ni de rejeter l’usage de ChatGPT dans le domaine RH mais plutôt d’inciter les DRH à faire preuve de discernement [9] quant à son utilisation. Faute de quoi, nous risquons d’avoir des générations de « crétins digitaux », victimes d’une paresse intellectuelle croissante dans nos entreprises et ailleurs comme le dénonçait il y a près de 4 ans un docteur en neurosciences dans un livre choc sur l’impact délétère de l’excès de l’usage du digital sur les enfants [10] .


[1] Cet article est une version adaptée de deux chroniques publiées en octobre 2022 et mars 2023 par l’auteur dans l’hebdomadaire « Entreprise & Carrières ».

[2] Foache. S. & Besseyre des Horts, CH. « Le metaverse : une révolution silencieuse pour l’entreprise et les RH, mais pas sans enjeux ! », Entreprise & carrières, n°1581, du 20 au 26 juin 2022, p.22

[3] Plane, JM. : Théorie des Organisations, Dunod, Coll “Les Topos”, 5ème Ed, 2017

[6] Rebours, C. : L’expérience, le nouveau moteur de l’entreprise, Diateino, 2016

[7] L’article produit par ChatGPT est de 2.732 signes (espaces compris)

[9] Besseyre des Horts, CH : « 2023 sera l’année du discernement dans les entreprises ou ne sera pas ! », Entreprise & Carrières, n° 1606 du 9 au 15 janvier 2023, p.22

[10] Desmurget, M. : La fabrique du crétin digital, le danger des écrans pour nos enfants , Le Seuil, 2019.

 

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