Y aurait-il du nouveau en matière d’absentéisme ? Faudrait-il revenir sur cette question pour laquelle on n’a même pas trouvé une dénomination anglo-saxonne ? L’absentéisme appartiendrait-il à ces phénomènes antiques comme l’épidémie, la guerre, la famine, l’inflation et la violence qui avaient été enterrés trop tôt ?
Dans tous les secteurs, les managers observent une recrudescence de l’absentéisme, malgré l’attention portée au bien-être au travail, malgré la réduction du temps de travail dont les défenseurs, il y a vingt-cinq ans – mais tout le monde l’a oublié – nous disaient qu’elle devait le réduire. L’absentéisme est de retour comme préoccupation managériale et, plus largement, comme phénomène social. Certains économistes considèrent même qu’un absentéisme structurel expliquerait en partie cette situation curieuse d’un chômage qui baisse alors que la croissance est nulle, le surplus d’emploi n’étant qu’un moyen de compenser un absentéisme qui a dû être pris en compte.
En effet, l’absentéisme était traditionnellement abordé comme une exception, un défaut, un acte de « sabotage »[1] comme l’évoquait dans les années 70 le sociologue Jean Dubois, à l’instar du luddisme, de la perruque ou de la grève. Le bilan social dans les mêmes années le considérait comme l’indicateur d’un dysfonctionnement ou d’un mauvais climat social ; les travaux de l’Iseor l’envisageaient comme une conséquence de mauvaises conditions de travail. En un mot l’absentéisme était une réaction des salariés à une situation insatisfaisante.
Beaucoup de managers ne le voient plus ainsi. Dans cet établissement de santé, la directrice passe beaucoup de temps, le jeudi, à faire le tour des services avec un mot gentil pour chacune et chacun car elle sait que nombreuses et nombreux sont-elles et ils à ne pas venir travailler, spécialement le vendredi, au point de rendre problématique la pratique des soins de base nécessaires aux malades.
On peut se demander si la Covid a changé la donne ou acté une évolution progressive de cet absentéisme. En effet la gestion de la crise a conduit à accepter des absences pour maladie sans aucun certificat médical, rompant ainsi une tradition de validation et contrôle par un tiers d’un état justifiant l’arrêt de travail. Ceci intervenait alors que s’installaient des notions nouvelles pour aborder le travail comme le droit de retrait et le principe de précaution sous toutes ses formes.
On peut se demander si cette résurgence ou ce maintien de l’absentéisme, quelles que soient les améliorations dans l’organisation du travail, la flexibilité et la prise en compte des besoins individuels au travail, ne témoigne pas aussi d’une évolution profonde du sens même du travail. Il faudrait alors rapprocher le phénomène de la grande démission, dans les formes qu’elle semble prendre dans notre pays, mais aussi de la difficulté de nombreuses institutions à recruter quel que soit le taux de chômage dans leur bassin d’emploi. Il y aurait ainsi du nouveau dans l’absentéisme du troisième millénaire et nous employons le conditionnel parce que tout est tellement fluctuant que des évolutions brutales et prochaines des contextes macroéconomique et géopolitique pourraient rapidement changer la donne. Si tel était le cas, il ne faudrait jamais oublier quelques constantes dans la question de l’absentéisme. Celles-ci concernent l’importance qui lui est continument accordée depuis les premiers temps du management jusqu’aux modernes ESG, mais aussi les moyens mis à jour pour tenter de « gérer » la question.
Pourquoi l’absentéisme est-il si important ?
Premièrement, parce qu’il est mesurable. Il permet de faire des statistiques, de donner du poids à des rapports ou à des présentations Powerpoint et ceci n’a pas de prix. Même s’il existe des débats sur les types d’absentéisme à prendre en compte et leur mode de comptage, on peut imaginer se mettre d’accord sur un minimum d’indicateurs communs en la matière ; même si on sait que le présentéisme n’est pas toujours du travail effectif, l’absentéisme correspond tout de même à un phénomène observable, mesurable donc discutable et, mieux que cela, un indicateur social, dont il faudra évidemment se demander ce qu’il indique. A l’heure où les organisations doivent faire état de leur action sociale ou sociétale, l’absentéisme, grâce à la force de sa mesure, continue d’apparaître comme un indicateur de la qualité des organisations du travail et du bien-être des salariés : pour autant bien entendu que ce soit ce qu’il indique.
Deuxièmement, parce qu’il est fortement perturbateur du déroulement normal de l’activité. Les établissements de soins, les restaurants, les écoles, tous les services de n’importe quelle organisation savent que l’absentéisme empêche de rendre le service qui est dû, mais coûte aussi de l’argent quand il faut remplacer les absents, de l’argent qui n’est pas utilisé à autre chose. L’absentéisme perturbe aussi parce que, la plupart du temps, il détériore la situation de ceux qui continuent de travailler et ne s’absentent pas.
Troisièmement parce que c’est un indicateur, il révèle des choses. Une jeune Française travaillant au Japon disait récemment lors d’une interview que toute absence pour maladie lui était ôtée de ses congés : l’absentéisme dans ce cas n’est indicatif que de l’état de santé des personnes ; mais il n’en va pas de même dans notre contexte réglementaire. Certaines conventions, ou des usages, tolèrent des jours d’absence qui n’ont pas besoin d’être justifiés, des causes d’absence multiples, voire, nous l’avons vu, un simple déclaratif en période de pandémie. Les salariés disposent donc de multiples opportunités d’absence : la meilleure preuve c’est qu’un examen attentif de l’absentéisme dans une même entreprise, dans le cadre d’un même règlement pour tous, révèle de très grands écarts d’absentéisme, même en contrôlant les variables d’âge. L’absentéisme est donc un excellent indicateur de la manière dont les salariés utilisent leur liberté dans la « gestion » de leurs opportunités d’absence, dans l’appréciation de leur état de santé ou des risques qu’ils prendraient à venir travailler.
La quatrième raison de l’importance de l’absentéisme découle de la précédente ; elle a trait à la conception même du travail. Traditionnellement, l’absentéisme était considéré comme une réaction à des situations de travail insatisfaisantes (la satisfaction au travail étant implicitement considérée comme un facteur de performance marqué par le présentéisme). Cette conception s’inscrivait en faux contre un des principes mêmes du taylorisme selon lequel l’être humain était fondamentalement paresseux ; au contraire, la personne ne pouvait que vouloir travailler efficacement, faire du bon travail, mais elle en était empêchée par des organisations ou conditions de travail délétères.
Mais nous sommes dans une autre époque, au temps de la grande démission, à l’époque où les managers savent qu’une altercation, un conflit, des problèmes interpersonnels peuvent générer de subites maladies ; nous voyons aussi, ici ou là, grimper les taux d’absentéisme à l’approche du weekend, en fin de vacances ou, comme on le notait autrefois, au temps de la chasse à la palombe dans le Sud-Ouest. Ne faut-il pas admettre que les attitudes et postures vis-à-vis du travail éclatent dans un temps de « post-modernité » ; hormis pour des raisons idéologiques compréhensibles, on ne peut plus se satisfaire d’approches de l’absentéisme qui ne relèveraient que d’une seule approche du travail. Et c’est évidemment ce qui en rend le management compliqué
Les pistes éternelles
Il n’existe pas de recette miracle pour aider les gestionnaires à traiter les effets coûteux de l’absentéisme et l’on sait de longue date qu’essayer d’agir sur l’absentéisme renforce souvent d’autres dysfonctionnements. Il existe au moins trois pistes de réflexion, sinon d’action.
La première consiste à ne jamais oublier que l’absentéisme est plurifactoriel. Le manager ne doit donc pas se satisfaire des observations trop globales des sociologues ou journalistes. Evidemment si on regarde le phénomène de loin, on s’apercevra que l’augmentation de l’âge moyen des salariés se traduit par plus de maladies et d’absences ; on notera aussi que l’absentéisme est différent selon les secteurs ou les régions, sans que la pénibilité ou les conditions de travail n’expliquent la situation ; on vérifiera globalement aussi des différences d’absentéisme selon telle ou telle variable démographique. Mais le plus intéressant sur le plan managérial n’est pas de regarder l’absentéisme en valeur absolue mais différentielle. Cela consiste à repérer, une fois écarté l’absentéisme de longue durée (qui pèse fortement sur les taux), les différences entre telle ou telle population, entre telle ou telle équipe de travail, établissement. L’absentéisme devient alors un réel indicateur et permet de trouver les pistes managériales pour agir.
La deuxième piste, c’est de ne jamais croire aux solutions simples. En examinant la littérature, il semble que les seuls moyens de réduire l’absentéisme de manière durable soit de mettre en œuvre de manière participative des plans d’action sur les conditions concrètes de travail des personnes. En fait, la vraie solution n’est pas tant dans les modalités de travail mises en œuvre que dans la démarche participative qui a permis de les élaborer.
La troisième piste, sans doute la plus urgente dans les temps de crise qui s’annoncent, concerne le sens même du travail. Les managers ne peuvent se satisfaire d’observer les évolutions sociétales ou de se lamenter sur les attitudes actuelles vis-à-vis du travail. Leur question principale est de faire en sorte que l’expérience de travail soit plaisante, utile, valorisante. Ils doivent laisser tomber les études sociologiques sur les attentes actuelles qui vieillissent aussi vite que les modes, et se préoccuper plutôt de ce que chacun et chacune peut découvrir dans son travail. Ils doivent faire découvrir en particulier que le travail est un lieu unique où se vit la relation, même si les demandes semblent crispées sur le télétravail en charentaises. C’est en réenchantant l’expérience de travail que la liberté laissée à chacun par nos réglementations de gérer sa liberté d’absentéisme, prendra un peu plus en compte les autres qu’ils soient collègues, usagers ou clients.
[1] Dubois, P. Le sabotage dans l’industrie. Paris : Calman-Lévy, 1976.
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