La DRH doit s’approprier le sujet « responsabilité sociétale de l’entreprise » (RSE) : c’est ma conviction. La RSE, dans ses différentes applications, gravite autour de l’humain, qu’on le conçoive comme citoyen, comme travailleur, comme consommateur ou comme habitant de la planète. Or l’humain est le métier, l’expertise de la fonction RH. Celle-ci est donc non seulement légitime pour parler de RSE, mais elle est la mieux placée pour articuler un discours au croisement des différentes vocations de l’entreprise – économique, sociale, environnementale. Comment s’y prendre ? Disons-le franchement : je ne le sais pas. L’objet de cette tribune est de poser des repères, de lancer des pistes, de commencer à cheminer vers cet objectif qui me semble essentiel : le positionnement RSE de la fonction RH.
La responsabilité sociétale de l’entreprise : vaste programme
Qu’est-ce que la RSE ? La Commission européenne la définit comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». En clair, c’est tout ce que les entreprises font de bien sans y être obligées. Le champ est vaste, et peut se diviser approximativement en 3 grands axes :
- le social (insertion, actions en faveur des démunis, achats responsables…),
- le sociétal (inclusion, égalité, diversité…),
- et l’environnemental (réduction de l’empreinte carbone, lutte contre les pollutions, préservation de l’environnement…).
Beaucoup d’initiatives de l’entreprise peuvent donc se prévaloir de l’étiquette « RSE », depuis la création d’un garage à vélos jusqu’à l’extension du congé parental en passant par le déploiement d’un programme d’insertion ou la signature d’une charte LGBT+.
Les actions RSE peuvent aussi se classifier par rapport à leur relation au business de l’entreprise :
- Les actions « business-neutral », que l’on peut mettre en œuvre, quel que soit le métier de l’entreprise : la gestion des déchets, le plan de mobilité, le changement du parc automobile, l’intrapreneuriat social…
- Les actions « business-related », intégrées au processus de production : le lancement d’une gamme bio, le sourcing responsable de matériaux utilisés dans la fabrication des produits, l’intégration de la dimension RSE à des prestations de conseil…
- Les actions « full-business RSE », lorsque l’objet même de l’entreprise est RSE : la production d’énergie renouvelable, la conception de matériaux isolants, une chaîne d’épiceries bio…
Tout le monde ne peut pas appartenir à la 3e catégorie ; mais la plupart des entreprises peuvent initier des actions relevant des deux premières.
Les paradoxes de la RSE
La RSE est le théâtre d’un double paradoxe.
Le premier découle de la relation à la notion d’obligation légale. À mesure que la loi étend le champ des obligations RSE, les frontières de la RSE « véritable », c’est-à-dire les actions non obligatoires, reculent d’autant. Un exemple : il y a deux ans était lancé le « Parental Act », un groupe d’entreprises qui s’engageaient à proposer un congé paternité d’au moins 4 semaines à leurs salariés pères. Un site (parentalact.com) avait même été mis en ligne pour vanter l’initiative et la diffuser. Patatras, le 1er juillet 2021, la loi imposait cette durée à toutes les entreprises. Le site est aujourd’hui abandonné (il héberge aujourd’hui des liens frauduleux de type « utiliser mon CPF !)... La RSE d’hier a souvent vocation à devenir la loi commune de demain, et c’est tant mieux.
De fait, loi Pacte a commencé à donner un cadre légal à la dimension « RSE » des entreprises, en inscrivant dans le Code civil le fait que « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Elle peut spécifier une « raison d’être » dans ses statuts (ce qu’à vrai dire rien ne l’empêchait de faire avant la loi) ; elle peut également choisir le statut de « société à mission », par lequel elle se fixe des objectifs RSE auxquels elle alloue des moyens et qu’elle se contraint à suivre. Il y a là une porte de sortie du paradoxe ici évoqué : la loi donne aux entreprises les moyens de se fixer leurs propres obligations et de s’y tenir.
Ce qui nous mène à notre second paradoxe : celui de l’action versus la communication. « Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite », nous dit l’Évangile. 57 % des salariés voient dans la politique RSE de leur entreprise une pure démarche de communication, selon ce baromètre Cegos. Mais communication et RSE s’opposent-elles nécessairement ? D’un côté, le risque de « RSE-washing » est réel. Communiquer sur sa RSE fait courir le risque de n’agir que pour la galerie et d’arrêter dès que les têtes sont tournées. D’un autre côté, ne pas communiquer prive l’espace public d’un exemple qui pourrait faire des émules, et ôte aux promoteurs de la RSE en interne un argument à faire valoir auprès des décideurs.
Une attente forte des collaborateurs
La fonction RH détient peut-être la clé de ces paradoxes.
D’abord prosaïquement parce que les DRH ont toujours été des gestionnaires de paradoxes, maintenant l’entreprise en équilibre instable entre l’humain et l’économique, entre le collectif et l’individuel, entre le corps social et la direction, entre les injonctions du court terme et les besoins du long terme.
Ensuite, plus profondément, parce que la RSE, dès avant la crise sanitaire, mais encore plus après celle-ci, fait partie des préoccupations montantes des collaborateurs. Toujours d’après le baromètre Cegos, 86 % des salariés se diraient prêts à se reconvertir dans un métier en lien avec la RSE et 72 % estiment que leur entreprise devrait davantage les associer à la réflexion sur le sujet. Mais ils ne sont que 35 % à considérer l’action de leur entreprise dans la RSE comme efficace. La demande de sens n’est pas un mythe : les salariés attendent l’entreprise au tournant sur ces sujets.
L’une des raisons est peut-être le décloisonnement croissant entre vie professionnelle et vie personnelle, que la crise sanitaire a favorisé. Si ce mélange des genres est porteur de dangers pour l’équilibre de vie, il implique également que les individus éprouvent de plus en plus de difficultés à séparer leur personnalité « civile » de leur identité en tant que collaborateur. Il y a une recherche d’unité, à laquelle l’entreprise peut répondre au moins partiellement en développant des politiques RSE en lien avec les attentes des collaborateurs.
C’est là que la fonction RH entre en scène. La mesure de l’expérience collaborateur, qui fait partie de la panoplie des outils RH, est le meilleur moyen d’identifier les thématiques privilégiées par les salariés (mais aussi par les candidats) en matière de RSE. Les démarches citoyennes et environnementales que peuvent lancer l’entreprise seront d’autant plus efficaces, sincères et aptes à susciter l’engagement qu’elles correspondront véritablement aux ressentis et aux attentes des collaborateurs. Or, les démarches sincères produisent une communication authentique et cohérente. Les bénéfices attendus aussi bien en interne (engagement et fidélisation des talents) qu’en externe (pour la marque employeur et la marque tout court) n’en seront que plus solides.
Par leur capacité à être à l’écoute des collaborateurs, par leur connaissance du capital humain et compétences de l’entreprise, par leur aptitude à penser simultanément les aspirations individuelles et les logiques collectives, l’intérêt du salarié et celui de l’entreprise, la fonction RH est la mieux placée pour impulser une politique RSE à la fois sincère, efficace et cohérente avec la culture de l’entreprise. La RSE, bien sûr, demeure un sujet éminemment transversal : toutes les directions de l’entreprise y sont confrontées et doivent être mobilisées. Mais ce sont les collaborateurs qui la font vivre et lui donnent substance et sens. Avec la RSE, les DRH ont de l’or dans les doigts : ils tiennent là l’opportunité de faire valoir leur expertise de l’humain au service global de l’entreprise, de ses salariés, de ses clients et de la société dans son ensemble.
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