La fonction RH a notamment en charge de nombreuses activités de nature administrative. Pour réallouer une partie de ses moyens vers ses missions créatrices de valeur, elle se doit de renforcer encore l’efficience de ces activités, tout en développant le service apporté au collaborateur.
Des activités contraintes
La construction des activités prises en charge par la structure ressources humaines s’est faite en trois temps. Jusqu’à l’apogée du taylorisme, dans les années soixante-dix, elle est centrée sur la paie et l’administration du personnel. Puis elle prend en charge une mission de développement des collaborateurs, tout en restant focalisée en premier lieu sur les activités transactionnelles et les relations sociales, particulièrement en France. Ce n’est que depuis la fin des années quatre-vingt qu’elle élargit encore ses terrains d’intervention dans de nombreuses entreprises.
Sans les activités administratives assurées par la fonction RH, l’entreprise ne peut fonctionner. Ce premier étage recouvre la paie (préparation, calcul, états post-paie et déclaratifs, bilan social individuel, coffre-fort dématérialisé, etc.), l’administration du personnel (établissement des contrats de travail, gestion des entrées et sorties, gestion intégrée des expatriés, etc.), la gestion des temps et des activités (présences et absences, congés, etc.), la gestion administrative et logistique de la formation (stages, apprenants), ainsi que la gestion intégrée des notes de frais.
Comme toute activité de nature administrative, celles assurées par la fonction RH résultent d’obligations légales et réglementaires ou des besoins de fonctionnement de l’entreprise. Elles ne créent pas de valeur. Une déclaration sociale juste ne générera pas de chiffre d’affaires additionnel. Transmettre en avance le bulletin de salaire n’accroîtra ni la motivation, ni la performance des collaborateurs. Une paie sans erreurs n’entraînera pas une plus forte performance.
A contrario, si elle est fausse ou versée en retard, elle sera la cause de troubles sociaux et de moins-value puisqu’elle constitue le socle minimal de la confiance dans l’entreprise. Sans un premier étage solide, l’immeuble s’effondre. L’illustration la plus frappante est celle de Louvois, logiciel de paie des Armées. Initié en 1996, l’abandon du projet a été annoncée en 2013 avec une ardoise pour les comptes publics estimée à plusieurs centaines de millions d’euros et des conséquences catastrophiques pour de nombreux soldats français pendant des années. La paie requiert le zéro-défaut (recyclage, erreurs, recouvrement des indemnités journalières, etc.), la sécurité, le respect des délais, celui de la réglementation, l’absence d’anomalies et d’indisponibilité des outils, ainsi que leur évolutivité.
D’un côté la fonction RH doit assumer des activités contraintes pour ne pas détruire de valeur. De l’autre, elle peut en créer sur de multiples terrains. Aujourd’hui, elle doit mener l’ensemble de ces missions de front. Cette schizophrénie est source de tensions.
Comment faire pour que son centre de gravité ne soit pas inexorablement ramené vers ses missions traditionnelles ? Ces activités sont chronophages et fortement consommatrices de ressources. Dans les entreprises de plus de mille salariés, nous estimons que 25 à 40% des effectifs de la fonction RH sont encore dédiés aux activités administratives. La DRH doit pouvoir mieux se positionner sur les autres étages. Certains ont proposé d’éclater ses activités, avec d’un côté celles qui ont un caractère administratif, de l’autre ce qui renvoie au leadership et à l’organisation.
L’entreprise pourrait aussi être tentée de confier ces tâches à d’autres. N’est-il pas envisageable de transférer l’ensemble des activités administratives, comptables et juridiques vers les directions dédiées existant déjà au sein de l’entreprise ? Tout ce qui relève du traitement de la donnée, matière de base pour la paie et l’administration du personnel, ne peut-il être confié au Chief Digital Officer ? Le Président du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables a aussi affiché publiquement la volonté de ses mandants d’assurer ces activités.
L’enjeu du coût de la fonction RH
Les entreprises affirment depuis maintenant plusieurs décennies leur volonté de maintenir à un niveau constant le coût de la fonction RH. En 2017, une étude démontrait que ce taux était proche de 1,7%, stable ces dix dernières années. Cette moyenne s’accompagne d’un écart-type important selon la taille de l’entreprise, son secteur d’activité et la nature plus ou moins centralisée de sa gouvernance.
En revanche, le coût global de la fonction a sensiblement augmenté depuis 2010. Les investissements technologiques massifs dans les SIRH, les portails RH, les applications smartphones destinées aux salariés, la digitalisation des processus administratifs et la dématérialisation de l’archivage des documents RH en sont la cause. Selon une étude d’ADP, le coût moyen de gestion d’un salarié pour ce qui est des seuls aspects administratifs s’élevait en 2017 à 448 euros par an, en hausse de 17% depuis 2010.
D’après la plupart des sources, le seul coût du bulletin de paie s’établit en moyenne entre 20 et 30 euros par mois en prenant en compte l’ensemble des activités (processus amont de gestion, production de la paie et processus post-paie). Mais les coûts de la paie sont souvent mal estimés. Que recouvrent-ils ? La réponse est différente selon les entreprises, en fonction de la complexité réglementaire, mais aussi de la nature des coûts retenus.
Si les terrains d’intervention de la fonction RH s’élargissent régulièrement, que son coût global est contraint et qu’elle veut disposer de moyens pour développer ses prestations à valeur ajoutée, comment peut-elle procéder ? Elle doit rationaliser ses activités les plus standardisables pour pouvoir réaliser ce transfert de moyens, dans une logique de vases communicants. A coût constant, l’enjeu est de transférer les gains ainsi obtenus vers des services personnalisés rendus par des professionnels RH motivés, compétents et disponibles.
C’est ainsi que la DRH de France Télévisions a pu, tout en maintenant son effectif constant, créer plusieurs dizaines de postes dédiés au développement RH et à l’accompagnement terrain en optimisant ses services dédiés à la paie, à l’administration du personnel et aux relations sociales. Le traitement des activités de back-office doit ainsi s’adapter à l’élargissement permanent des terrains potentiels d’intervention de la fonction RH.
Il s’agit pour l’entreprise de gagner en productivité, en mettant par exemple en place pour la paie ce qui permettra d’augmenter le nombre de bulletins par gestionnaire. Elle devra optimiser ses achats, ainsi que ses charges internes et externes. Elle aura à maximiser ses rentrées d’argent, à travers le recouvrement des indemnités journalières et le traitement des contentieux. Avec une précaution toutefois : Cette recherche de productivité ne doit pas s’exercer au détriment de l’impératif de qualité.
Ce qui a déjà été réalisé
Au-delà d’un certain effectif, toutes les entreprises ont réalisé depuis les années quatre-vingt-dix un effort majeur pour renforcer leur productivité sur ces activités. Elles y ont été aidées par les Systèmes d’Information RH. Ceux-ci étaient apparus pour traiter la paie, en permettant d’automatiser les procédures à partir de capacités de calcul et de traitement nouvelles. Leurs fonctionnalités se sont depuis considérablement élargies, en dépassant le seul objectif de réalisation de tâches administratives pour permettre d’optimiser les ressources consommées pour un résultat donné. Leur impact sur la productivité a été considérable puisqu’ils ont permis de réduire les tâches redondantes et notamment les ressaisies d’informations, ainsi que les erreurs dues à des interfaces défaillantes.
Avoir défini, standardisé et automatisé ainsi les procédures a ouvert la voie à la réalisation d’économies d’échelle importantes, avec un mouvement d’industrialisation et de concentration de ces activités au sein de centres de services partagés (CSP). Le principe consiste à mettre en place des plateformes rassemblant des collaborateurs qui assurent des prestations en volume, de nature répétitive, avec une forte récurrence dans les solutions à apporter. Ces activités mutualisées ont été positionnées par un certain nombre d’entreprises dans des pays à bas coûts, voire, dans certains cas, externalisées.
Ces entreprises ont considéré que l’externalisation présentait plusieurs avantages : la réduction des coûts, nous l’avons dit, mais aussi une garantie d’expertise et de continuité de service. Nous ajouterons qu’elle contribue à déplacer le centre de gravité de la fonction RH en l’affranchissant d’une partie de ces tâches.
Les axes qui restent à travailler
À terme, les activités administratives seront toujours placées sous la responsabilité de la DRH. Tout d’abord parce que la paix sociale, dont la DRH est comptable, peut se dégrader très rapidement à la suite d’erreurs dans ce domaine. Ensuite parce que la nature des informations requises pour produire la paie fait que ces données sont souvent les plus fiables parmi celles dont dispose l’entreprise. La DRH ne peut se priver d’une maîtrise directe de ces données si elle veut développer le pilotage et l’analytique. Enfin, et c’est là qu’est l’essentiel, parce qu’elle seule peut dans le futur aborder ces questions sous le prisme du collaborateur.
Dès les années deux mille, à travers les approches du type libre-service ou portail RH, les SIRH se sont dotés d’interfaces avec les collaborateurs. Ceux-ci pouvaient consulter leur dossier personnel, vérifier leur paie, mettre à jour certaines données, poser des demandes de congés, etc. Une évidence s’est par ailleurs imposée : ils ne pouvaient plus perdre leur temps à saisir plusieurs fois les mêmes informations.
D’ici quelques années, les entreprises auront poussé beaucoup plus loin la logique, en renforçant le service apporté au collaborateur dans ces activités. Elles auront déployé de nouvelles fonctionnalités directement accessibles aux collaborateurs et aux managers, en les rendant notamment disponibles sur leurs mobiles et en veillant à leur simplicité d’usage. Cette approche collaborative contribuera à rendre les intéressés directement acteurs de leur vie au travail. Elles s’appuieront pour cela sur la généralisation de SIRH bâtis sur des configurations plus modulaires. Cette nouvelle génération de SIRH capitalisera sur les capacités des architectures orientées service. Notons d’ailleurs que les entreprises continuent de migrer leur SIRH vers le cloud à un rythme très rapide. En 2017, 73% des organisations avaient au moins un processus RH dans le cloud.
L’entreprise aura mis en place une organisation orientée utilisateur, favorisant agilité et réactivité, en pilotant les équipes RH en charge de ces activités en priorité sur la qualité de leur relation avec les collaborateurs. Ce que nous décrivons ici, c’est une fonction RH qui mène de front la recherche d’efficience pour pouvoir dégager des moyens tout en renforçant la valeur apportée au collaborateur.
Les efforts de rationalisation vont en effet se poursuivre. D’autant que si certaines entreprises ont d’ores et déjà poussé la logique très loin, d’autres ont encore des marges de progrès importantes. Ces dernières pourront s’appuyer sur les enseignements tirés de l’expérience.
Elles sauront que la mutualisation des activités administratives n’est pas toujours source d’économies. Prenons la situation d’une entreprise décentralisée en de multiples petites entités, où la personne assurant la paie et l’administratif RH a également en charge la comptabilité et d’autres activités. La centralisation pourrait conduire à créer des postes d’un côté sans pouvoir en supprimer de l’autre. La dimension organisationnelle doit donc être prise en compte.
Un DRH du secteur des services souligne par ailleurs les conséquences indirectes que peut avoir cette centralisation : « La paie a été externalisée, mais nous avions oublié que les professionnels de la paie avaient un rôle plus large que leur poste lorsqu’ils étaient situés en proximité des collaborateurs. Sur certains sites, ils étaient parfois les seuls collaborateurs RH présents physiquement, avec un rôle de capteur social et de régulateur. Ce que nous avons perdu ainsi, nous essayons de le regagner aujourd’hui en positionnant des RRH très opérationnels sur le terrain. »
Pour ce qui est de l’externalisation, de nombreux DRH invitent à la prudence. Certaines activités externalisées dans les années deux mille, deux mille dix ont été réintégrées en interne par la suite. En cause, le coût caché du pilotage des prestataires et bien souvent un déficit de qualité des réponses apportées aux collaborateurs.
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