La société de compétences transforme la fonction management

Dans une société de compétences, la recherche de valeur économique ne peut se produire sans élèvement des niveaux de qualification et l’émancipation des citoyens ; leur projet professionnel interfère avec le projet de l’organisation dans laquelle ils sont censés s’épanouir. La compétence n’est plus uniquement considérée comme un instrument de gestion, elle devient un outil central du dialogue social. Le management, qui est l’art et la manière d’encadrer et de ménager des individus singuliers avec des profils différents, s’appuie sur un ensemble de techniques de direction, d’organisation et d’animation afin que les objectifs d’un groupe soient atteints. Après le paternalisme, le management par l’affectif (MPA) où « l’improvisation » prévaut dans la conduite des hommes et des femmes, après le management par objectif (MPO), qui positionne l’encadrement comme un « releveur de compteur », car principalement préoccupé par des considérations de résultat, sans attention particulière portée aux personnes en charge du travail, le management par les compétences (MPC) ouvre une voie nouvelle. Autrefois, la détention de l’information constituait un élément central de la légitimité et de l’autorité hiérarchique ; aujourd’hui, les connaissances toujours plus accessibles et l’information disponible pour celui qui la recherche, circulent rapidement, tout se sait en temps réel. La fonction d’encadrement se transforme, l’évolution du métier de manager, qui s’accélère, déstabilise de nombreux responsables attachés aux privilèges du statut.

De l’encadrement de l’activité au management des ressources humaines

« Le plus grand bien que l’on puisse faire aux autres ce n’est pas de leur communiquer notre richesse mais de leur révéler la leur.» Louis Lavelle (philosophe)

Le travail propose de moins en moins de prescriptions – logique de poste –, mais exige de la part des professionnels de tenir un rôle – logique de compétences. Poser les termes du contrat consiste donc à passer de l’implicite à l’explicite, en s’appuyant sur une clarification de ce rôle et sur un échange régulier entre l’employeur et les salariés. Le manager remplit donc plusieurs fonctions :

  • La fonction « hiérarchisation » : en tant que responsable, le manager choisit d’éclairer l’action sous certains angles, priorise les informations et induit donc des orientations particulières.
  • La fonction « fédération » : un collectif de travail fige des données pour en faire des normes qui s’imposent à tous ; le manager facilite le partage de pratiques et alimente le sentiment d’appartenance. Il crée un environnement dans lequel chacun peut donner le meilleur de lui-même.
  • La fonction « animation » : le manager permet les discussions, les échanges d’idées, les confrontations pour mettre en perspective différentes représentations de l’activité, donc plusieurs manières d’agir.
  • La fonction « réflexion » : il assure une fonction réflexive et prospective, car il sait se « mettre à distance », prendre du recul afin de réfléchir aux évolutions du travail et des compétences ;
  • La fonction « orientation » : le manager aide les collaborateurs à mieux évaluer leurs points forts et points d’effort, il permet à chacun de s’informer, de se situer et de s’orienter parmi les métiers. L’entretien professionnel prévu par l'article L. 6315-1 du Code du travail apporte un cadre formel à cette fonction.

Au carrefour de plusieurs disciplines, la compétence en management nécessite de la réflexion et beaucoup d’expérience, parce qu’elle ne peut être acquise qu’en se confrontant aux situations les plus variées, par une lente transformation des pratiques et des représentations.

Le management n'est pas une science, c’est une compétence expérientielle

« Manager, c’est importer du stress et exporter du plaisir. » Gérard Houllier*

Ce terme de « management », issu du monde anglo-saxon, provient en réalité du mot français, « ménager ». Ce que nous appelons « management des ressources humaines », c’est-à-dire littéralement « ménager la ressource humaine », repose en partie sur l’établissement de règles claires et communes qui définissent les rapports et les comportements que sont censés développer des titulaires d’un emploi dans l’exercice de leur activité. Le responsable fait vivre le contrat de telle sorte que les personnes puissent supporter les variations fréquentes de l’environnement, donc de charge de travail et engager les adaptations nécessaires. Manager ce n'est pas juste encadrer, c'est définir un cadre qui rassure les cœurs et dérange les esprits ; véritable coach de son équipe, le manager amène ses collaborateurs à réfléchir à leurs pratiques, à améliorer leurs compétences. Il leur conseille les destinations et les conditions et modalités du voyage professionnel, accompagne la progression des personnes. Et les compétences, si elles sont exprimées dans un langage commun, deviennent un levier prioritaire du management.

Dans le cadre d’un « management par les compétences », le cadre dirigeant ou responsable d’équipe, en prenant son poste, va s’intéresser à l’état de la ressource humaine qui lui est affectée : qui sont les collaborateurs ? Quelles compétences possèdent-ils ? Quels parcours ont-ils suivis ? Sont-ils à leur place ? Quels projets et quelles aspirations ont-ils ? Car le manager coach personnalise son animation, adapte son mode de management en fonction des situations et des profils individuels. Comme le jardinier professionnel qui réalise une analyse des sols avant toute intervention, le manager « responsable » analyse les différents profils dans son équipe, fait un état des lieux des ressources humaines qui lui sont confiées avant de finaliser son projet et d’engager un plan d’action. Car ce projet peut évoluer pour tenir compte des spécificités des compétences disponibles. Le manager coach veut « faire grandir les personnes » pour augmenter à terme les résultats. L’intérêt de l’employeur est évident, en ménageant ses ressources, le responsable améliore le bien-être des acteurs qui, s’ils « se sentent à leur place », vont se mobiliser afin de délivrer leur contribution conformément aux attentes de l’organisation.

L’éloge du progrès continu et du développement « durable »

« Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant. » André Gide

En assumant sa responsabilité sociale, en agissant sur la motivation et les connaissances dans les équipes, le management développe le potentiel de production et la contribution des personnels ; il améliore l’employabilité* de ces derniers pour faire face aux évolutions et aux changements permanents de l’environnement, car leurs capacités et leurs aptitudes s’enrichissent de l’expérience acquise, leurs compétences durables et transférables se renforcent. La fonction management partage avec la direction des relations sociales cette mission de développement des ressources humaines. L’organisation qui devient apprenante apparaît alors comme un acteur « responsable » dans une société du savoir.

Aujourd’hui, il y a une transformation de la relation au travail ; l’employeur doit investir dans le développement personnel et professionnel du salarié alors que ce dernier est de moins en moins fidèle. De son côté, l’individu, qui se vit aussi comme « responsable », souhaite se réaliser au travail, recherche davantage d’autonomie, et principalement une qualité de vie ; à la promesse de carrière se substitue une promesse d’employabilité*. La compétence, dans cette perspective, prend une autre dimension, elle devient un processus stratégique au service d’un besoin économique, social et environnemental. Le débat public, en France notamment, aborde la question de l’objet social de l’entreprise, de sa raison d’être et de la contribution des uns et des autres dans la création de valeur, pour mieux prendre en compte l’intérêt général, augmenter les gains de toutes les parties prenantes, et ne pas les réserver aux seuls actionnaires.
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L’employabilité* désigne l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle (selon l’Organisation Internationale du Travail)

Gérard Houllier* (1947 - 2020) fut entraîneur professionnel de football, Directeur technique national

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