L’avenir de l’entreprise résiderait dans un appel unanime à la bienveillance sans laquelle aucune performance ne serait possible. Le manager qui dirige, corrige ou ose décider est montré du doigt au profit d’un manager orientant délicatement un collectif susceptible comme il cueillerait une petite fleur fragile dont il ne veut pas voir les pétales s’envoler. Mais est-ce réellement cela la bienveillance ? Et est-ce souhaitable à termes pour le collectif, l’entreprise et même l’individu ? Attend-on réellement du manager qu’il soit bienveillant ?

Une source sûre lorsque l’on se questionne sur le sens des mots et leurs impacts c’est encore le dictionnaire ! Et au sujet de la bienveillance, le Larousse nous donne deux indications.

Elle serait avant tout une « disposition d'esprit inclinant à la compréhension ». Appeler le manager à la bienveillance reviendrait à l’inciter à faire un pas vers l’Autre pour chercher à le comprendre : faire preuve d’empathie en quelque sorte. Il s’agit alors de créer les conditions à l’expression des émotions et des ressentis de chacun×e et de s’assurer d’être en capacité de percevoir ce que l’Autre exprime. Cette bienveillance empathique repose sur un profond respect de l’Autre dans toute sa différence et son altérité doublé d’une réelle volonté d’interagir, de tisser des liens : de faire humanité. Une qualité humaine à valoriser finalement chez tous les individus et donc a fortiori au sein du management.

Cependant, lisons la définition en entier avant de conclure : « disposition d'esprit inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui ». Cela pose alors la question de la nécessité de l’indulgence. Entre indulgence, droit à l’erreur et laxisme, où se situe réellement la frontière ?

Entre indulgence et droit à l’erreur

L’indulgence qui consiste à pardonner les fautes et à reconnaître le droit à l’erreur permet au collectif de s’inscrire dans une démarche de progrès souhaitable. Les erreurs deviennent des sources d’apprentissage individuelles et collectives, nous ne cherchons pas à pointer du doigt le responsable mais à trouver des solutions permettant d’avancer, en replaçant le projet collectif au centre des préoccupations. La bienveillance qui inviterait à cette indulgence-là est alors bénéfique pour une entreprise qui évolue dans un contexte toujours incertain et dont l’acceptation du risque constitue finalement une preuve de prudence[1].

Mais que dire de l’indulgence qui nous inviterait à baisser notre niveau d’exigence, à accepter le « bof » en se contentant de maigres efforts ? Cette indulgence-là est celle que nous pouvons craindre en lisant une des définitions proposées par le Larousse : « caractère de ce qui n'est pas sévère ». Appeler à l’indulgence pourrait alors non seulement conduire à dégrader le projet, à abaisser nos ambitions mais aussi à ne plus sanctionner des attitudes ou comportements pourtant parfois inacceptables au regard de ce qui fait société. Or n’est-ce pas le rôle même du manager d’amener son collectif à atteindre les objectifs fixés, à mettre tout en œuvre pour la réussite de ce projet et de faire vivre le collectif, de l’animer ?

La bienveillance qui pousserait à l’indulgence extrême, celle qui consiste à répéter « ce n’est pas grave », à ne pas être honnête et à mentir ou à cacher pour ne pas blesser, va à l’encontre même de ce rôle du management. Manager consiste aussi, parfois, lorsque cela est nécessaire, à sanctionner, à exprimer un mécontentement ou tout simplement une critique, la plus constructive possible, celle qui permet la remise en question et le progrès.

La bienveillance dégoulinante est dangereuse

La bienveillance dégoulinante qui invite à lisser toutes les aspérités des relations humaines est dangereuse à plusieurs niveaux :

  • D’abord pour le projet si à force d’indulgence nous le perdons de vue et que nous ne nous donnons plus la possibilité de le réussir.
  • Pour la personne elle-même que l’on infantilise par notre manque de sincérité et qui risque de s’engoncer dans un confort qui n’est que mirage jusqu’au jour où cette bulle éclatera.
  • Mais également pour l’ensemble des membres de l’équipe : la bienveillance dégoulinante à l’égard d’une personne en particulier peut conduire le reste du collectif à compenser, à faire « à la place de », nourrissant ainsi agacement et amertume.
  • Pour le manager enfin, qui perd sa crédibilité par petite touche, n’assumant pas les décisions, ne portant pas le projet et n’incarnant pas une parole vraie, authentique et transparente.

La bienveillance, poussée à cet extrême, amène à l’exact opposé de ce que nous prônons pourtant lorsque nous l’appelons de nos vœux. Or n’est-ce pas la première des preuves de respect que de dire les choses telles qu’elles sont, sincèrement, sans faux-semblant ? Il ne s’agit évidemment pas d’oublier la plus élémentaire des politesses mais de ne pas, non plus, se cacher derrière un concept par lâcheté ou complexe de légitimité.

Pour conclure à la nécessaire bienveillance du management revenons aux origines latines du mot, sans nous méprendre. La bienveillance managériale n’est pas celle de la « benevolentia », synonyme de gentillesse et d’indulgence, insinuant ainsi que le manager met tout en œuvre pour « gagner la sympathie » de son équipe[2]. Elle découle davantage, selon le dictionnaire étymologique de la langue française (De Roquefort, 1829), de bon-vigilantia qui signifie la bonne vigilance. Définie ainsi, la bienveillance invite alors le manager à être attentif, à veiller avec attention pour réussir la mission qui lui est confiée : conduire le collectif à la réussite du projet commun.

Alors non aux relations lisses, plates et aseptisées et oui à la bienveillance qui consiste à être attentif à l’autre et au projet, à faire progresser et avancer, dans la bonne humeur avec respect. Et c’est bien cela au fond manager : veiller à la réussite du projet en créant les conditions de l’efficacité et de la motivation de ses équipes. Le management n’est finalement pas plus bienveillant qu’il n’est sincère, juste, équitable, humain, orienté résultat, orienté client, et autres mots à la mode. Accoler ces adjectifs au management nous montre simplement à quel point nous avons un réel besoin de revenir à ses fondamentaux[3].


[2] Vous avez dit bienveillance ? On passe le concept à la loupe. Article à découvrir ici

[3] (Re)découvrir les fondamentaux du management avec cet épisode de Story RH

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