La responsabilité est sans doute ce dont le monde a le plus besoin et l’idée la plus dévoyée dans notre environnement actuel.

Nous vivons au quotidien des pratiques de « leaders » qui appellent leurs troupes à se responsabiliser en manifestant parfois de manière outrancière leur propre irresponsabilité.

Comment cela se traduit-il ? Agir sans indiquer la direction. C’est le meilleur moyen de ne pas avoir à rendre des comptes. D’où l’utilisation de quelques mots valises (agilité, flexibilité) qui reviennent à instituer un non-management qui permet de valoriser son action si ça se passe bien et à designer des coupables en cas de revers de fortune.

En prenant le domaine environnemental, les demandes répétées qui nous sont faîtes d’adopter des comportements responsables masquent difficilement un manque de perspectives et de politiques articulées dans ce domaine si sensible. Pourtant, ce ne sont pas les injonctions environnementale qui manquent.

Ces propos abrupts ne relèvent d’une lecture tardive de Machiavel ou d’un éloge du cynisme à la petite semaine. L’exercice de l’irresponsabilité est profondément ancré dans nos traditions avec pour conséquences répétées des défaites militaires et des révolutions de manière cyclique.

Alors autant tirer le signal d’alarme et alerter ceux qui professent à juste titre la nécessité d’être responsable d’un risque de contamination par un de nos travers nationaux.

L’irresponsabilité est devenue presque un art, désigné par quelques expressions familières :

  • Tirer les marrons du feu, c’est-à-dire laisser évoluer les situations de manière sans prendre la moindre décision de manière à ce qu’il n’y ait qu’une solution possible, la sienne.
  • Je te tiens, tu me tiens … c’est mettre en place un réseau d’autoprotection où chacun peut être mis en cause en retour. C’est de l’immunisation collective, le but étant alors de faire en sorte que les nouveaux entrants dans le systèmes soient les moins nombreux possibles et qu’ils soient pilotés de près.
  • Etouffer l’affaire dans l’œuf, c’est utiliser des formules de rhétorique sophistiquées pour réévaluer la réalité avec des expressions du type c’est un non-évènement.
  • Bâtir des lignes Maginot, c’est-à-dire créer du consensus sur des positions irréalistes, de manière à créer une responsabilité collective en cas d’échec.
  • Sacrifier les lampistes, dès lors que leur éviction ne risque pas d’entacher son image ou sa réputation.
  • Jouer la montre, laisser le temps jouer pour rendre une décision acceptable
  • Noyer le poisson, par la complexification juridique ou intellectuelle

Ces pratiques de « finesse manœuvrière », d’« intelligence des situations » de « sens politique » qui visent nos dirigeants sont la représentation permanente de nos propres manquements au quotidien avec l’emploi de postures de victimes dès que l’on peut être tenu pour responsable de quelque chose.

Dans ce contexte, il est courageux de mettre en avant la responsabilité dans les pratiques professionnelles. Je propose quelques points de calage :

Être responsable, c’est accepter d’être tenu responsable de situations sur lesquelles nous n’avons pas eu tous les leviers pour agir. Limiter la responsabilité aux situations que l’on maîtrise totalement ne correspond pas aux exigences d’organisations complexes, au travail en transverse… Cela nécessite de retravailler de manière permanente les périmètres de responsabilités dans une entreprise et d’adapter les organisations si elles ont pour effet de diluer les responsabilités.

Admettre la responsabilité sans faute. La responsabilité est engagée sans qu’il y ait la nécessité de désigner un coupable. C’est une notion qui vient du droit administratif : dans certaines activités, la responsabilité de l’Etat peut être engagée sans qu’il y ait mise en cause directe des agents. Cette construction habile date du XIXème siècle. Aujourd’hui c’est repris dans le domaine du management par le droit à l’erreur, par la mise en place de processus de travail mettant l’accent sur l’expérimentation (agilité, design thinking). Ce droit à l’erreur nourrit en réalité un peu de suspicion dans les organisations, dans notre culture de la méfiance. Ecrire un mode d’emploi permet de le lever.

Faire le tri dans les injonctions et aller à l’essentiel. La liste des actions sur lesquelles nous sommes tenus d’être plus responsables dans nos vies professionnelles et personnelles devient si longue qu’elle dépasse l’entendement. Les anthropologues partent de système d’interdits et d’obligations qui sont fondateurs d’une vie commune. S’il y en trop et que ces règles sont mal faites et communiquées, un corps social se délite. Piste de travail : quelles sont les 10 (non) actions essentielles qui peuvent remettre en cause le rôle d’un collaborateur dans une entreprise. Face à l’inflation inégalée de normes et d’exigences, quels sont les 5 ou 10 points clés à connaître et à respecter ?

Faire preuve de pédagogie. Souvent, les personnes fuient leurs responsabilités par réflexe parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur demande ou bien ne savent adopter les comportements professionnels nécessaires. Ce qui nécessite de se poser pour regarder en finesse les actions de montée en compétence à effectuer.

A notre sens, l’époque nécessite de serrer les rangs sur des sujets aussi essentiels et potentiellement explosifs que celui de la responsabilité. Il est possible d’étendre cette réflexion, le plus important me semble être d’agir pour qu’une équipe de direction travaille sur l’organisation, les modes de management, les règles et les besoins de montée en compétence. Oui, les entreprises et toutes les organisations sont fragiles sur ce thème de la responsabilité. Autant l’observer et l’accompagner.

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