A l’aube de l’Intelligence Artificielle, retrouver le goût de l’humain
En marketing, dans le food business, la technique du saucissonnage consiste à modifier régulièrement la formule d’un produit en remplaçant un ingrédient par un autre moins cher. Un panel de dégustation va décider à chaque étape si le changement lié à la nouvelle formule est acceptable par rapport à la précédente. Ce principe a bien entendu pour objectif de baisser les coûts tout en cherchant à conserver les qualités organoleptiques. Que se passerait-t-il toutefois si après maints saucissonnages on allait comparer la énième transformation avec le produit d’origine ? C’est ce qui est arrivé aux membres du Board d’un géant de l’alimentaire allant visiter une usine du groupe dans une région en développement. Dégustant un produit issu de cette usine, ils furent conquis par son goût. Demandant quelle nouvelle recette avait été trouvée, le responsable leur répondit qu’il appliquait simplement celle initiale de ce produit phare. Sont-ils pour autant revenus à la formule originale ? Le coût a pris le pas sur le goût.
On peut aisément faire le parallèle entre cette technique où à chaque fois on enlève un peu de la valeur du produit, et ces réorganisations constantes du monde taylorien, où on cherche à faire aussi bien avec moins. Chaque nouvelle formule organisationnelle reste acceptable par rapport à la précédente. Mais n’est-ce pas un peu de l’humain qui disparait à chaque fois ? Qu’en est-il au fil du temps ? Quand le coût est préféré au goût ? N’arrive-t-on pas à se persuader que l’humain est ainsi sans réelle saveur ? Sauf bien entendu quand il s’agit de produits hauts de gamme, de compétences d’exception ? On oublie pourtant que ce qui fait la richesse d’une recette ce ne sont pas uniquement ses produits chers, mais les qualités complémentaires de chacun des ingrédients, créant ainsi une harmonie, générant ensemble de la valeur.
Tout comme ce Board redécouvrant des saveurs perdues, l’intelligence artificielle a ce curieux mérite de remettre l’humain en avant même si, il faut le reconnaitre, c’est surtout pour questionner son utilité. A quoi va-t-on comparer ces algorithmes ? Au résultat de décennies de taylorisme où peu à peu on a retiré ce qui fait les qualités de l’humain ? On aimerait penser que toutes ces études contradictoires qui s’enchainent sur l’avenir du travail soient le signe du retour de la conscience de son apport. Le risque est fort néanmoins qu’il s’agisse plutôt de paris sur le potentiel organoleptique des algorithmes. Est-ce un hasard si une banque mutualiste a déjà fait le choix d’une intelligence artificielle complémentaire à l’humain(1), et non pas cherchant à le remplacer ? Quand il est encore présent, comme dans le monde mutualiste, il semblerait que la décision devienne plus évidente. Chez d’autres, le risque alors serait de le réduire à un rôle d’exhausteur de goût de ces puissants algorithmes en devenir. Les softs skills, aussi essentiels soient-ils, ne seraient-ils pas alors qu’un joli complément en attendant que l’on trouve de l’empathie aux chatbots ? L’intelligence artificielle est une chance pour redéfinir nos modèles d’organisation dans un monde en profonde mutation. Elle seule peut aisément permettre de retrouver ce temps perdu, nécessaire à l’humain, pour pouvoir pleinement s’exprimer. Le danger serait de continuer dans cette vision d’efficacité issue du siècle précédent. De donner ce temps aux profits de court terme plutôt qu’à retrouver le chemin de la création de valeur et d’un temps plus long, et surtout durable. A l’aube de ces transformations majeures à venir, il semble plus que jamais nécessaire de regarder de nouveau l’humain. De se rappeler son potentiel, en quoi il peut être essentiel dans la création de valeur. Se rappeler que la montée en compétence n’est possible que si on se donne du temps. Ce temps retrouvé, n’est-ce pas en fait la vraie promesse de l’intelligence artificielle ? Si on ne peut prévoir l’avenir, on peut néanmoins en dessiner les contours dans notre capacité à faire des choix. Et avant même de décider pour demain, oser dès maintenant se retrouver, retrouver le goût de l’humain.
(1) « L’intelligence artificielle à tous les étages au Crédit Mutuel, L’usine digitale du 28 mai 2018
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