Pourquoi le digital n'est pas (encore) une transformation
« Si je vous dis transformation digitale ? ». A cette question régulièrement posée aux personnes du terrain rencontrées, c’est toujours la même interrogation qui revient sur le visage de l’interlocuteur, semblant répondre : « De quoi parlez-vous ? De quelle transformation ? ». En précisant le sujet, on découvre (quand il y en a) des projets dont la plupart tournent autour de la dématérialisation, équiper des personnels de tablettes, ou encore de l’e.learning. L’expérience d’un responsable RH d’une ETI est édifiante. Il avait monté en interne une vidéo concernant les accidents du travail, assez largement visionnée par les salariés. A la question de savoir quel avait été le résultat, la réponse fut : « ils ont bien aimé ». Un silence gênant a suivi la question pourtant logique de son impact sur la réduction des accidents du travail. On pourrait citer également ce grand groupe mettant en avant sa transformation digitale à travers la… dématérialisation de son bulletin de paye. En quoi ceci a-t-il eu un quelconque impact en amont sur la qualité du travail du service paye pour fournir un document (papier ou pas) de qualité ? En quoi cette dématérialisation a-t-elle une quelconque influence sur une nouvelle politique éventuelle de rémunération de l’entreprise ? Faut-il comprendre alors que la transformation concernerait le transfert de l’encre papier vers des lignes de codes ? On pourrait ajouter une liste longue comme un jour sans pain de ces applis qui à coup de clic sont censées transformer le management. Elles oublient juste que c’est avant tout l’environnement qui le conditionne avant même le salarié. Y compris avec son téléphone en main. Marketing ? Abus de langage ? Il n’y a dans cette réalité constatée du digital aucune transformation notable de l’entreprise, de son organisation et encore moins de son management. Le digital n’est rien d’autre que ce qu’on en fait.
Toujours plus de la même chose reste la même chose.
Bien entendu, au gré des rencontres, on se retrouve parfois confronté à des projets d’envergure, concernant des milliers d’employés. On y utilise les datas, le prédictible, alliant le numérique à l’organisation. On y redécouvre par exemple les vertus de la polyvalence dans un monde ou l’hyper spécialisation tend à faire oublier que l’humain n’est pas une machine. On pourrait effectivement parler de transformation digitale si ce n’est qu’à la question sur la finalité, la réponse reste la même : réduire les effectifs. Peut-on alors parler de transformation quand le projet, aussi innovant soit-il perpétue cette logique taylorienne d’efficacité de court terme ? Digital ou pas, projet d’envergure ou pas, nous restons loin de la recherche de performance en continuant à chercher à faire aussi bien avec moins. Toujours plus de la même chose reste la même chose. Il y a continuation, pas transformation. Générer de l’efficacité est essentielle pour une entreprise. Par contre, cette vision de court terme trop systématique retraduite à travers le digital n’est-elle pas préjudiciable à la performance durable ?
Nous ne savons pas organiser autour de l’humain
Il a quelques mois, une étude bpifrance (1)auprès de dirigeants de PME-ETI a montré que 87% d’entre eux ne voyaient pas le digital s’inscrire dans leur priorité stratégique. Si le taux n’avait pas été sans appel, on aurait sans doute assisté au french bashing classique de ces patrons qui ne comprennent pas le monde de demain. Sauf qu’à 87% de rejet, c’est le produit qui pose problème et non le client qui ne comprend pas. Les promoteurs du numérique ont ainsi préféré faire comme si ce sondage n’avait jamais existé. Buzz et remise en cause font rarement bon ménage. Ce sondage pourtant ne peut que questionner. Alors que tout le monde s’accorderait sur le potentiel immédiat du digital et son irréversibilité, pourquoi un tel camouflet de la part de dirigeants à qui on attribue à raison un solide bon sens ? La réponse se situe peut-être à travers un dernier sondage récent toujours effectué par bpifrance (2)auprès de cette même cible des dirigeants de PME-ETI traitant de … l’humain ! En effet, 90% d’entre eux déclarent mener des actions RSE et 25% une démarche structurée autour d’un plan d’actions à moyen et long terme. De quoi faire rêver tout commercial du digital s’il avait un tel niveau d’intérêt de la part de ses prospects. Difficile avec un tel sondage de dire que les dirigeants de PME n’auraient pas de vision de moyen ou long terme, ou encore piloteraient à vue, dépourvus de toute stratégie. Leur vision et leur stratégie se bâtissent autour de l’humain. La différence est là et de taille. Ainsi, ce n’est pas en proposant une tablette pour se connecter entre collègues quand ceux-ci se serrent encore la main et connaissent non seulement leurs prénoms mais souvent ceux de leurs enfants, qu’on fera fantasmer les dirigeants de PME. Ce n’est pas en montrant à ces derniers comment se priver de leur principal levier de performance, l’humain, qu’on réussira à les impliquer. L’échec actuel du digital auprès d’eux n’est-il pas simplement une nouvelle confirmation du fait que nous ne savons pas organiser autour de l’humain ? A la décharge du digital, nous pourrions faire exactement le même constat avec les modes managériales. Celles-ci à travers de beaux emballages (bonheur, autonomie, confiance) ne font-elle pas autre chose que perpétrer la logique taylorienne en proposant toujours moins ? Moins de managers, moins de RH, et en final moins d’humains. Ces dirigeants dans leur immense majorité ne s’y sont pas trompés, rejetant ces modes tout comme une proposition digitale qui en l’état ne semble pas s’inscrire dans leur vision sociétale.
Le digital, en dehors des exceptions d’usage, ne serait-il pas ainsi que le reflet d’un monde qui tarde à évoluer ? Penser création de valeur et pas seulement efficacité. Retrouver la notion de long terme. « Entreprendre avant de prendre » comme l’écrit Patrick Storhaye(3). Retrouver le goût de la performance durable, le goût de l’humain. Nul doute que le digital y aura toute sa place et contribuera ainsi à cette transformation annoncée.
bpifrance 04/10/2017 : les dirigeants de PME et ETI face au digital
bpifrance 14/03/2018 : Une aventure humaine. Les dir. PME-ETI et la RSE
RH INFO 04/05/2018 : Extrait de l’ouvrage « le plaisir d’entreprendre »
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