Le DRH à la manœuvre sur la transformation de l’entreprise

Le mot de transformation est désormais un des plus prononcés dans l’entreprise. Transformations de son environnement d’une part, volonté de se transformer elle-même pour répondre à ces mutations externes d’autre part. Mais de quelles mutations s’agit-il ?

Les mutations externes à l’œuvre

- Elles concernent en premier lieu l’environnement business de l’entreprise : d’une économie de l’offre où il s’agissait de « pousser du produit », à une économie de la demande où c’est le client qui est rare, avec des canaux de consommation qui se multiplient. Sans se limiter au seul phénomène d’uberisation, l’élargissement du champ concurrentiel impose de plus en plus à l’entreprise adaptabilité et focalisation sur l’externe, sous peine de graves difficultés sur ses marchés, voire de disparition.

- Ces mutations relèvent ensuite des aspirations montantes dans nos sociétés. Selon toutes les études, jamais le besoin de se réaliser au travail, la quête de sens et l’aspiration à des rapports basés sur le respect et la considération n’ont été aussi forts.

- Enfin, nous vivons une révolution en matière d’informations et de relations. L’information était hier une denrée rare, diffusée via des canaux verticaux, sa rétention étant source de pouvoir. Elle est désormais infinie et hétérogène. Et dans un monde fonctionnant en réseau et en communautés, la diffusion de l’information pertinente devient source d’influence.

En arrière-plan, le digital a rendu possibles ces ruptures, même si le positionner comme cause unique est un peu court.

Une quatrième mutation : celle du travail

Au sein de l’entreprise, ces trois mutations en appellent une quatrième : la refondation du travail qui permettra de répondre aux trois premières.

C’est en premier lieu sa nature qui change, de l’activité prescrite au travail du savoir. Son contenu doit basculer de l’exécution à l’intelligence des situations.

Son organisation requiert de passer d’une organisation de type taylorien avec ses normes et process en guise de régulation à des modes de fonctionnement beaucoup plus souples. Sa gestion, de basculer de processus figés portés par des experts à des politiques qui font sens et sont partagées.

Son animation disqualifie le manager qui considérerait ses collaborateurs comme des ressources à sa disposition au profit de celui qui se positionne comme une ressource à leur disposition.

Quelle approche pour transformer ?

Égrenons quelques lieux communs : Pour faire face aux mutations de son environnement et atteindre ses objectifs, l’entreprise est certes confrontée à la nécessité de se transformer. Mais les actions qu’elle initie pour cela génèrent des résistances. Celles-ci conduisent au bout du compte à limiter le changement, voire à y renoncer, ainsi qu’à des tensions entre l’entreprise et ses collaborateurs.

Face à ce scénario tant de fois répété, la parade serait de nature tactique. Une démarche de conduite du changement devrait être mise en place. Des étapes seraient à respecter. Une communication adaptée permettrait de réduire la « résistance au changement ».

Mais une telle approche revient à rester enfermé dans un mode de raisonnement ancien : seules sont alors revisitées les modalités de déploiement des transformations et non, en amont, celles de leur conception.

Dans notre société développée du début du XXIe siècle, il n’est pas une seule sphère de leur vie où les personnes mettent en œuvre ce que d’autres ont décidé pour eux sans le questionner. Pourquoi en serait-il autrement dans l’entreprise ?

Nous sommes tous, à des degrés divers, l’objet d’un véritable conditionnement culturel : quel que soit le projet à mener, nous considérons que dans l’entreprise, il y a d’un côté quelques décideurs, de l’autre ceux qui auront ensuite à mettre en œuvre. Dans un monde où le travail du savoir se substitue progressivement au travail prescrit et où le niveau de compétences s’accroit chaque jour, comment s’étonner que cette logique ne fonctionne plus ? A fortiori en France, où s’incarne plus qu’ailleurs « la logique de l’honneur » décrite par d’Iribarne.

C’est bien dès l’amont, dans leur phase de conception, qu’il est indispensable de travailler ces transformations avec ceux qui auront à les mettre en œuvre ensuite.

Notre expérience dans les entreprises ayant mené avec succès des projets de transformation ambitieux nous permet de mettre en évidence trois clés.

Première clé : capturer et partager le « pourquoi » de la transformation envisagée.

Pour identifier la nécessité de cette transformation, les dirigeants de l’entreprise ont bien sûr eu une approche rationnelle. Qu’il s’agisse pour l’entité concernée de répondre à une mutation de son environnement ou d’être à l’initiative, cette logique peut être expliquée et partagée. Si les collaborateurs sont considérés comme compétents et capables de comprendre ce besoin, pourquoi faire l’économie de cette étape ? Il y a fort à parier d’ailleurs que dans leurs connexions quotidiennes avec leur environnement, les collaborateurs eux-mêmes ont d’ores et déjà perçu ces enjeux.

C’est parce que les dirigeants de l’Institut Pasteur avaient identifié le besoin d’une fonction RH beaucoup plus proche des besoins des opérationnels, puis partagé ce besoin avec l’équipe RH, que celle-ci a ensuite pu définir par elle-même l’organisation la plus adaptée.

Deuxième clé : inscrire cette transformation dans le cadre plus large d’une vision.

Le partage du « pourquoi » de la transformation est certes l’élément central qui va permettre la mise en mouvement. Mais ce « pourquoi » sera d’autant plus puissant qu’il s’inscrira dans un projet plus large, construit et porté par l’ensemble des collaborateurs. Ce projet donnera un sens supplémentaire et une cohérence aux transformations envisagées.

C’est parce que cette grande banque française de réseau a construit avec ses équipes sa vision d’une « banque de proximité réinventée à l’ère du digital » que son projet de transformation des pratiques de management dans le sens de l’entrepreneuriat et de l’orientation client a pris tout son sens.

Troisième clé : laisser les intéressés définir les « comment » de la transformation.

Si elle veut réussir la transformation engagée, l’entreprise doit laisser aux intéressés le soin de définir eux-mêmes les « comment » de cette transformation. D’une part parce qu’ils sont les mieux placés en termes d’accès aux informations concrètes et utiles, d’autre part parce qu’avec cette approche, les enjeux d’appropriation auront été traités. Pour autant, des repères et un support méthodologique sont utiles et doivent être mis à leur disposition.

C’est parce que PPC, entreprise de la chimie, a mis en place une démarche très structurée de reengineering associant l’ensemble de son personnel, après avoir partagé le projet d’ensemble et le pourquoi de cette opération, que celle-ci a été un succès.

Ces trois clés ne peuvent être appliquées mécaniquement. C’est une approche sur-mesure qu’il va s’agir de construire, en prenant en compte les perceptions et les attentes du corps social de l’entreprise sur l’enjeu à traiter.

Identifier les transformations majeures à impulser et partager leur valeur ajoutée, leur donner du sens, veiller à ce que les moyens pour les détailler et les mener soient disponibles. Ces responsabilités devraient être celles assurées par tout dirigeant. Comment se fait-il alors que tant de transformations soient aujourd’hui encore menées de manière inadaptée ? Sans doute la réponse réside-t-elle pour partie dans une confusion quant au positionnement des dirigeants.

Au vu des enjeux auxquels l’entreprise doit faire face, la valeur ajoutée du dirigeant se situe désormais sur d’autres terrains que la gestion du quotidien. Il doit être en premier lieu un homme de la stratégie, de l’organisation, de la culture et de la transformation. Certains dirigeants minimisent ces thèmes, avec une propension très forte à considérer que leur responsabilité première est de décider du quotidien et que « l’intendance suivra. » Leur réveil risque d’être douloureux, alors qu’un autre choix est possible.

Les atouts du DRH

Dans cette situation, le DRH dispose de plusieurs atouts majeurs :

Si la mutation du travail est la transformation majeure à accompagner, alors il est au cœur des enjeux. Encore faut-il qu’il y soit préparé. Certains DRH se sont de fait plus intéressé ces vingt dernières années à la quantité de travail qu’à son contenu.
Ces mutations peuvent être accompagnées en les abordant sous des angles très divers, tous les sujets RH se prêtant à un traitement sous leur prisme.
Plus largement, le DRH est au vu de la nature de ces enjeux l’acteur le mieux placé pour appréhender ces différentes mutations dans leur ensemble, sous réserve qu’il entende se mobiliser sur le business de son entreprise.

Quel rôle pour le DRH ?

Le DRH peut être celui qui aide les différents acteurs au sein de l’entreprise à comprendre ce qui se joue. Les transformations du travail sont structurelles, bien au-delà des approches caricaturales (la digitalisation comme seul enjeu, les lieux communs sur les générations Y ou Z, etc.) et elles appellent des réponses nouvelles. Lorsque des caisses régionales du Crédit Agricole repensent leurs pratiques de management, ce n’est pas au regard des approches traditionnelles sur le sujet, mais après avoir défini ce vers quoi doivent évoluer les pratiques de leurs managers au regard des mutations à l’œuvre.

Le DRH peut être celui qui garantit que tout sujet RH est traité en prenant en compte cet arrière-plan, et en accompagnant cette mutation du travail. Lorsque cet organisme public mène un projet de GPEC en ayant pour premier prisme non pas ses enjeux de relations sociales, mais bien les transformations des missions, des publics et des métiers auxquelles il devra faire face demain, il est dans cette logique.

Le DRH peut être celui qui, au bout du compte, fera de la dimension RH un facteur de différenciation de l’entreprise sur ses marchés. Cette enseigne de la distribution spécialisée qui a fait du développement de la culture client l’axe premier de sa politique RH gagne mois après mois des parts de marché sur le leader du secteur.

Reconnaissons que pour jouer pleinement ce rôle, le DRH est de fait confronté à deux obstacles. D’une part, il n’est pas toujours attendu sur ces terrains. Mais l’expérience montre de toute façon que la légitimité de la fonction RH ne se décrète pas, elle se conquiert. D’autre part il n’a pas que cela à faire ! Et il a effectivement un sujet d’organisation de son agenda pour pouvoir investir ces terrains, ceux où il crée de la valeur.

Ces éléments confirment que le discours outrageusement critique sur le métier du DRH et sa déconsidération ne sont pas fatals : les transformations à l’œuvre lui ouvrent au contraire un boulevard.