L’incertitude posée par la simplification de l’obligation de reclassement
Souvent source d’inquiétude pour les employeurs, l’inaptitude d’un salarié implique le respect d’une procédure particulière marquée par l’obligation de reclassement. La loi Travail a argué une simplification de cette dernière. Peut-on réellement l’affirmer en l’absence de jurisprudence sur ces nouveautés ?
Jusqu’à il y a peu, la procédure à mettre en œuvre par l’employeur en cas d’inaptitude de son salarié différait selon l’origine de l’inaptitude, professionnelle ou non professionnelle. La loi Rebsamen (loi n°2015-994 du 17 août 2015, JO du 18, art 26) avait initié une première réforme de la procédure d’inaptitude. La récente loi Travail (n°2016-1088 du 8 août 2016, JO du 9, art 102) a marqué un tournant supplémentaire dans ces changements, avec une volonté clairement affichée de simplification.
Le cœur ardent de la procédure d’inaptitude, suscitant angoisse de la part des employeurs, est l’obligation de reclassement du salarié. Comment reclasser le salarié déclaré inapte ? Quelles sont les obligations de l’employeur ? Jusqu’où les recherches de reclassement doivent-elles être approfondies ? La loi Travail a tenté une rationalisation de ces différents points, en vue de les faciliter.
La simplification de l’obligation de reclassement
La déclaration d’inaptitude suppose pour l’employeur de proposer au salarié un nouveau poste adapté à ses capacités. Il est donc nécessaire de rechercher, au sein de l’entreprise voire du groupe, un poste correspondant aux restrictions émises par le médecin du travail. Trois éléments sont présentés comme facilitateurs de cette obligation de reclassement.
- Premièrement, la loi Travail a fusionné les procédures d’inaptitude pour origine professionnelle et non-professionnelle. Désormais, les délégués du personnel doivent être consultés sur les postes de reclassement envisagés avant toute proposition au salarié (C. Trav. art L. 1226-2 et L. 1226-10 ; Cass. Soc. 16 septembre 2015, n°13-26.316). Simplification, avez-vous dit ? Uniformisation serait probablement plus adaptée : ajouter une étape supplémentaire n’est pas spécifiquement gage de simplification.
- Deuxièmement, il est possible, pour l’employeur, de s’abstenir de rechercher un reclassement si l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionne expressément un des deux points suivants (C. Trav. art L. 4624-4 et R. 4624-42) :
- « Tout maintien du salarié dans un emploi serait préjudiciable à sa santé »
- « L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise »
Ces mentions permettent à l’employeur de licencier le salarié inapte sans rechercher un reclassement au préalable.
- Troisièmement, l’employeur est réputé avoir satisfait à son obligation de reclassement lorsqu’il a proposé « un emploi » prenant en compte les propositions écrites et indications du médecin du travail (C. trav. art L.1226-2-1, L.1226-12 et L.1226-20).
Avec ces trois nouveautés apportées par la loi Travail, peut-on pour autant réellement parler d’une procédure simplifiée en l’absence d’interprétation posée par la Cour de cassation ?
Les incertitudes suscitées par l’absence de jurisprudence
L’apposition d’une des mentions exonératoires de reclassement va-t-elle réellement permettre à l’employeur de licencier le salarié sans risque ? En effet, on pourrait lier l’inaptitude du salarié à d’éventuels manquements de l’employeur à son obligation de sécurité de résultats. Dans ce cas, il est possible que le salarié puisse demander en justice des dommages et intérêts s’il prouve le lien entre ces manquements et son inaptitude. De la même manière, outre les mentions exonératoires, l’absence de poste de reclassement pourrait être liée aux manquements à la santé et à la sécurité dans l’entreprise, rendant alors les postes disponibles incompatibles avec les préconisations du médecin du travail.
Selon le rapport de l’Assemblée Nationale, « un emploi regroupe des postes très proches au regard des activités réalisées ou des compétences mises en œuvre. Le poste constitue une unité plus précise au sein d’une organisation et correspond à une situation de travail réelle, concrète à un moment donné et à un endroit donné. » (Rapp. AN n°3675, p. 725). Autrement dit, un emploi peut correspondre à plusieurs postes. Est-ce que cette définition donnée par l’Assemblée Nationale ne viendrait pas mettre à mal l’idée selon laquelle l’obligation de reclassement est réputée remplie lorsque l’employeur a proposé « un emploi » ? Si « un emploi » peut correspondre à plusieurs postes, est-ce que le fait de proposer un seul poste couvre l’obligation de reclassement ? Ou parce que plusieurs postes peuvent correspondre à un seul et même emploi, l’employeur est-il tenu de proposer l’ensemble de ces postes ? Sans réponse à ces interrogations, les employeurs risquent d’être bien limités dans la mise en œuvre concrète de cette obligation de reclassement.
Cette précision légale malmène la jurisprudence de la Cour de cassation pour laquelle le fait de proposer au salarié un poste de reclassement conforme aux préconisations du médecin ne suffit pas à prouver que l’employeur a respecté son obligation de reclassement (Cass. Soc. 10 févr. 2016, n°14-14.325 ; Cass. Soc. 26 mai 2016, n°13-24.468). Si la Cour de Cassation maintient sa position, dans cette lignée, la tendance serait de proposer l’ensemble des postes pouvant correspondre à un emploi au regard de la définition posée par l’Assemblée Nationale. Ou alors, il est possible que la jurisprudence de la Cour de Cassation évolue.
L’interprétation permissive ou restrictive de la Cour de Cassation
Il existe des principes jurisprudentiels bien ancrés sur l’obligation de reclassement, sur lesquels la Cour de Cassation n’est probablement pas prête à revenir malgré les modifications législatives. Ainsi, la Cour estime que l’employeur a rempli son obligation de reclassement lorsque la proposition faite au salarié est précise et consistante (Cass. Soc. 20 sept. 2006, n°05-40.295). Tel n’est pas le cas lorsque l’employeur se borne à proposer au salarié un poste sans préciser explicitement le type de travail qu’il entend lui confier (Cass. Soc. 10 déc. 2002, n°00-46.231).
Dans l’hypothèse où l’employeur n’a plus qu’à proposer un seul emploi, il a tout intérêt à rechercher le poste le plus efficient au regard des capacités du salarié. Pour autant, est-ce que cette disposition légale suffira-t-elle pour contrer la jurisprudence de la Cour de cassation évoquée ci-avant ? Toute la difficulté réside donc dans le sens à donner au terme « emploi ».
La recherche de reclassement doit être effectuée loyalement et de bonne foi par l’employeur, en ayant envisagé l’ensemble des possibilités y compris les adaptations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail (Cass. Soc. 12 oct. 2011, n°10-18.906 ; Cass. Soc. 19 nov. 2015, n°14-12.701 ; Cass. Soc. 1er déc. 2011, n°10-20.123).
En outre, une jurisprudence de la Cour de Cassation, postérieure à la loi Travail, est venue opérer un revirement de jurisprudence pour les entreprises appartenant à un groupe de sociétés. Avant le 23 novembre 2016, l’employeur devait rechercher tous les postes de reclassement et les proposer au salarié, y compris s'il s'agissait de postes ne correspondant pas aux attentes manifestées par le salarié (Cass. soc. 10 mai 2005, n° 03-43.134 ; Cass. soc., 16 déc. 2010, n° 09-42.577).
Dans un arrêt du 23 novembre 2016, une position totalement opposée a été prise : l’employeur peut tenir compte de la position du salarié pour restreindre le périmètre des recherches de reclassement (Cass. Soc. 23 nov. 2016, n°14-26.398 et n°15-18.092). Dans cette affaire, le salarié avait refusé des postes en France en raison de leur éloignement avec son domicile. Il a été admis que dans ce cadre, l’employeur n’avait pas à étendre ses recherches de reclassement aux sociétés du groupe. Dans un cas similaire, la jurisprudence a admis pour l’employeur la faculté de ne pas étendre ses recherches aux sociétés du groupe situées à l’étranger (Cass. Soc. 8 fév. 2017, n°15-22.964). Pour autant, ces jurisprudences permettent-elles à l’employeur de questionner, en amont de toute recherche, le salarié sur ses désidératas (géographique, financiers, etc.) ? La question reste ouverte car dans l’affaire en cause, le salarié avait en premier lieu refusé le reclassement. Ce n’est qu’à la suite de ce refus que l’employeur avait restreint ses investigations.
Une épée de Damoclès pour les employeurs ?
Malgré les récents arrêts de novembre 2016 et février 2017, on pourrait s’attendre à une interprétation plutôt restrictive de la Cour de cassation quant à l’obligation de reclassement du salarié inapte. Qui plus est du fait de la simplification des textes du Code du travail. Pour autant, rien ne garantit que les décisions à venir (car il y en aura) sur les nouveautés issues de la loi Travail soient réellement indulgentes pour les employeurs.
Au regard de l’ensemble de ces interrogations, les employeurs ont tout intérêt à être très prudents dans leurs recherches de reclassement, même si les textes semblent offrir une plus grande latitude. Nous avons précisé dans cet article une partie des questionnements en suspens. Il est fort probable que la pratique en appelle de nouveaux.
L’obligation générale d’adaptation du salarié, en d’autres termes son employabilité, pesant sur l’employeur peut venir à l’appui de la thèse de la prudence sur ces simplifications (C. Trav. art L.6321-1 ; Cass. Soc. 25 fév. 1992, n°89-41.634 ; Cass. Soc. 18 juin 2014, n°13-14.916). L’employeur doit maintenir l’employabilité de son salarié, le former pour qu’il puisse suivre les évolutions de son poste de travail et au-delà du poste qu’il occupe. Si un manquement de l’employeur survient dans cette obligation générale d’adaptation, l’impossibilité de reclassement pourrait être liée à ce manquement et non à l’absence de poste disponible. N’oublions pas non plus que dans le cadre de l’obligation de reclassement, l’employeur doit reclasser le salarié y compris en aménageant le temps de travail, ou en transformant le poste du salarié. La formation du salarié peut être nécessaire en cas de modification ou transformation du poste du salarié.
En tout état de cause, le maitre mot à retenir est la prudence, la prudence vis-à-vis des nouveautés apportées par la loi Travail, dans l’attente du positionnement de la Cour de Cassation, donnant alors la réelle portée de ces transformations.
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