Un phénomène émergent "disruptif"

L'explosion du phénomène des jeunes pousses (start-ups) depuis quelques années n'est plus anecdotique comme en témoigne le succès remarquable de l'événement Viva technologies qui a réuni début Juillet 2016 plus de 250 start-ups et des grandes entreprises à la Porte de Versailles à Paris[1]. Une autre signe de cet engouement en faveur des start-ups est la décision de grands groupes comme Airbus ou Air Liquide de créer, en leur sein, des incubateurs accueillant aussi bien des start-ups créées par leurs propres salariés que des start-ups extérieures mais en relation avec leur métier. Selon une étude Bain & Compagnie et Raise, 43% des entreprises du CAC 40 disposent d'un incubateurs de start-ups ou d'un pôle d'innovation[2]

Le domaine des RH n'échappe à cette vague avec la création entre 2014 et 2016 de plusieurs centaines de start-ups RH proposant aux entreprises, petites et grandes, des solutions variées facilitant le recrutement, le développement des collaborateurs, la gestion des talents, le management de la performance, la mise en relation entre individus (réseau social informel) … pour ne citer que le domaines RH les plus couramment concernés par cette offre foisonnante et souvent disruptive. La question pour le(la) DRH est de savoir trier les solutions réellement les plus innovantes et surtout les plus utiles pour l'accomplissement des missions qui lui sont confiées au delà de l'inévitable effet de mode qui peut être, à terme, dommageable pour son image et son positionnement dans l'entreprise. Pour l'aider dans cette tâche difficile, trois pistes lui sont maintenant proposées : (1) la cohérence culturelle et stratégique, (2) la qualité de la solution technologique et la nouveauté du service offert, et (3) le degré d'intégration possible avec le système d'information RH et la maîtrise de la sécurité des données…

La cohérence culturelle et stratégique

Quelle que soient l'originalité et la qualité des solutions proposées par les start-ups RH, il semble tout d'abord essentiel de vérifier que celles qui sont retenues par le(la) DRH sont bien en phase avec la culture et la stratégie de l'entreprise. Il faut, en effet, ici se rappeler des leçons d'une importante école de pensée managériale, l'école des systèmes socio-techniques[3], qui montrait l'importance de prendre simultanément en compte le système technique et le système social de l'entreprise en cas de changement impliquant la technologie. Dans le cas d'une solution proposée par une start-up RH, la première question à se poser pour le(la) DRH est de savoir si elle est en ligne avec les hypothèses fondamentales de l'entreprise pour reprendre la belle expression d'Edgar Schein[4]. Cet alignement ne signifie cependant pas stagnation, car l'adoption d'une solution RH innovante est souvent elle-même un levier puissant de changement.

Au delà de la cohérence avec la culture de l'entreprise, le(la) DRH devra s'assurer que la solution retenue répond bien aux enjeux stratégiques de l'entreprise dans la mesure où celle-ci est susceptible d'impacter directement la capacité à attirer et retenir les talents qui sont déterminants dans la mise en œuvre de la stratégie. C'est ainsi qu'une solution comme celle de la start-up Zewaow[5] propose aux entreprises de faciliter la collaboration entre les collaborateurs qui peuvent librement proposer à leurs collègues leurs compétences y compris les plus cachées et ceci pour permettre à l'entreprise d'être plus performante dans l'exécution de sa stratégie. On est ici de la gestion des talents traditionnelle mais il faudra, pour l'entreprise, que sa culture soit prête à accepter cette approche collaborative "bottom-up" qui caractérise la plupart des solutions offertes par les start-ups RH.

La qualité de la technologie utilisée et la nouveauté du service offert

Une fois que le(la) DRH aura vérifié que la solution proposée est cohérente avec la culture et la stratégie de l'entreprise, il lui faudra ensuite s'assurer de la qualité de la technologie utilisée et de la nouveauté du service offert.

Sur le plan de la technologie, tout d'abord, la validation par les services informatiques de l'entreprise semble être la meilleure garantie mais on peut avoir aussi recours à une compétence extérieure qui peut valider le choix de la solution retenue en ayant un "regard neutre" sans tomber dans des jeux politiques internes qui existent parfois entre les services informatiques et les autres fonctions de l'entreprise dont la DRH. Les solutions innovantes proposées par les start-ups RH peuvent, en effet, remettre en cause le pouvoir traditionnel des services informatiques qui ont eu tendance à centraliser le traitement de l'information comme le montre la généralisation des ERP (Enterprise Resource Planning) depuis plus de deux décennies.

Sur le plan de la nouveauté du service offert, l'évaluation sera nécessairement beaucoup plus subjective. Il s'agit cependant pour le(la) DRH d'être capable de distinguer la véritable innovation RH que représente la solution retenue par rapport aux autres offres du marché en évitant de se laisser berner par la "beauté esthétique" du produit au détriment du fond. Le DRH pourra s'appuyer sur plusieurs sources pour faire le plus objectivement possible cette évaluation : (1) les commentaires et les évaluations laissées par d'autres utilisateurs de la solution proposée sur des sites Web ou des forums de discussion, (2) les échanges directs (mails, téléphone, réunions virtuelles ou réelles…) avec des utilisateurs actuels de la solution pour recueillir leur perception sur la nouveauté du service offert. Mais une source encore plus intéressante peut-être de contacter le Lab RH[6], créé par les fondateurs de Monkey Tie[7] en juin 2015, que l'on peut décrire comme une "loose federation", regroupant aujourd'hui près de 200 start-ups RH, pouvant aider un(une) DRH à pouvoir comparer objectivement les solutions proposées par les start-ups dans des domaines RH aussi différents que le recrutement, le développement des collaborateurs, la gestion des talents, le management de la performance, la mise en relation entre individus (réseau social informel)…

Le degré d'intégration possible avec le SIRH et la maîtrise de la sécurité des données

Le dernier point de vigilance pour le(la) DRH dans son choix de retenir une solution proposée par une start-up RH plutôt qu'une autre sera de vérifier le niveau d'intégration possible avec le système d'information RH (SIRH) existant et la maîtrise de la sécurité des données.

Rien ne serait plus dommageable, en effet, que de retenir une solution incompatible avec le SIRH surtout lorsque les données utilisées par la solution de la start-up peuvent enrichir des bases de données essentielles pour prendre des décisions RH (recrutement, évaluation, formation, carrière….). La plupart des principaux fournisseurs de SIRH ont aujourd'hui compris l'impérieuse nécessité d'intégrer dans leur écosystème les solutions d'un certain nombre de start-ups RH qui voient, de leur côté, un intérêt à pouvoir dialoguer avec les grands systèmes vis-à-vis de clients de plus en plus réticents à investir dans des solutions, certes innovantes, mais déconnectées du contexte.

En ce qui concerne la sécurité des données, cette question risque d'être déterminante dans le choix définitif d'une solution dans la mesure où l'essentiel de l'offre des start-ups RH a recours au "cloud computing" (informatique dans les nuages) dont on connaît des risques potentiels sur le plan de la sécurisation des données. Là aussi, les services informatiques de l'entreprise ou une compétence extérieure peuvent apporter un avis éclairé sur cette dimension si importante puisqu'il s'agit d'informations concernant directement les collaborateurs.

Les starts-up : une chance pour les DRH de traduire dans les faits la révolution digitale

C'est, en définitive, une véritable révolution dans l'approche de l'information sociale gérée par les DRH et les managers que représente ce phénomène des start-ups RH. Souvent créées par quelques individus avec une bonne idée et une technologie innovante, ces start-ups représentent aujourd'hui un aiguillon salutaire pour des DRH dont un enjeu essentiel est de démontrer qu'ils ont intégré dans leurs pratiques la révolution digitale. C'est pour eux(elles) une occasion rêvée de démontrer que cette révolution digitale commence d'abord par l'exemplarité de la fonction RH dans l'adoption de solutions innovantes surtout lorsqu'on constate que dans le domaine RH, beaucoup plus que dans d'autres secteurs, le nombre respectable de start-ups créées par des femmes dans un environnement où la diversité du genre reste problématique comme le montre le chiffre éloquent de seulement 9 % des start-ups dirigées par des femmes[8] !


[1] Cassini S. & Chaffin Z. "Grands groupes et start-up : des liaisons houleuses", Le Monde Eco & Entreprise, 3-4 Juillet 2016, p.8

[2] Cassini S. Chaffin Z., op.cit

[3] Liu, M. L'approche socio-technique des organisations, Editions d'Organisation, 1983

[4] Schein, Ed. Organizational culture and leadership, Jossey Bass, 4th edition, 2010