On se souvient de la légende. Le roi de Phrygie meurt sans héritier. Un oracle prédit que le premier paysan qui se présentera en ville sur un char à bœufs sera fait roi. Gordios est celui-là. Il attache par un nœud inextricable le char et le joug. (On ne sait rien de ce qu’il advint des bœufs). Un nouvel oracle prédit alors que le premier qui saura dénouer le nœud sera maitre de l’Asie. Alors que Midas, fils de Gordios est roi, Alexandre tente de dénouer le nœud et n’y parvenant pas le tranche. On est en 336 av JC ; il sera ensuite Alexandre le Grand, maitre du monde.
En français et dans la très grande majorité des langues l’expression qui résulte de la légende utilise les termes de « couper » ou « trancher » le nœud gordien. L’esprit de solution prime donc. En Allemagne on utilise indifféremment trancher ou défaire. Conscience de la différence entre le sens et la manière de faire. En Suède et Grèce, le terme « dénouer ». Les italiens utilisent un habile « défaire »[1] qui permet l’impasse sur la loyauté de la méthode au regard du sens.
La légende deviendra le titre d’un ouvrage de G. Pompidou, lequel reviendra sur l’analyse de mai 68 peu avant sa mort en 1974. Livre prémonitoire dont le fil conducteur est la complexification du monde et l’action politique. En faisant référence à la légende, Pompidou évoquait que les décisions simples, raisonnées et une forme de sagesse apaisante deviendraient à l’avenir impossibles en politique.
Pompidou et le nœud gordien me reviennent certainement dans le contexte politique de la prochaine présidentielle qui rappelle celle de 1969 qui suivit le référendum du général de Gaulle sur la régionalisation et la fusion Sénat / Conseil Économique et Social (CESE aujourd’hui). Pour mémoire au premier tour Poher et Pompidou font 52% avec un net avantage pour Pompidou, le PCF fait 16 % et la somme de Deferre, Rocard et Krivine moins de 8%.
Les langues tendent à chasser les démons des peuples par la symbolique qu’elles véhiculent : à près de 50 ans d’écart nous n’avons rien tranché et l’histoire semblerait se répéter. Le nœud reste inextricable.
Et pourtant nous dénouons peu à peu mais cela n’intéresse manifestement pas le monde des « petites phrases » seules audibles dans les moments d’enjeux importants. Retour donc sur trois détails passés inaperçus.
1 - Le report des élections des TPE, ou trancher le nœud gordien version tactique judiciaire.
4,6 millions électeurs des entreprises de moins de 11 salariés auraient du voter avant les fêtes pour désigner leurs représentants aux Commissions Paritaires Régionales interprofessionnelles et de branches. Le ministère du Travail a été contraint de reporter l’élection du fait d’instances judiciaires en cours. Pour faire court le STC (Syndicat des Travailleurs Corses) qui compte 5000 adhérents et n’a aucune chance d’atteindre, au niveau national, les 8% requis pour être jugé représentatif, a souhaité se présenter malgré tout. La DGT a donné son accord. Recours devant le TI des syndicats CGT, CFDT, FO et CFTC en contestation. Décision de justice en leur faveur. Recours du STC devant la Cour de Cassation qui casse la décision du tribunal d’instance pour lequel le STC « ne rempli(ssait) pas les critères d’indépendance et de respect des valeurs républicaines » Retour au TI et décision positive cette fois le 4 novembre. On est à 3 semaines des élections, le STC peut se présenter. Que faire ? CFDT, FO et CFTC décident de ne pas empêcher les élections … la CGT décide de retourner devant la Cour de Cassation et oblige ainsi au report des élections dans l’attente de la décision de la Cour de Cassation. Tout cela n’est pas neutre puisqu’il s’agit de compter le poids des syndicats à un moment de basculement possible du rapport de force CGT CFDT. Votent en 2012 et 2013, 10,4% des inscrits des TPE, 43 % du privé et de 50% à 54% selon les fonctions publiques État, hospitalière et territoriale. C’est de ces dernières que la CGT tire sa prééminence. En perturbant l’élection la CGT ne favorise pas le vote en masse et développe une tactique d’autruche pour maintenir son statut de première organisation. Puissent en réponse les salariés des TPE être informés de l’intérêt que leur porte la CGT et les chefs d’entreprises faciliter le vote entre le 30 décembre et le 13 janvier. Le dialogue social en sortirait gagnant. Ce premier « détail » n’est porteur d’aucune espérance mais montre bien que cette population de salariés non représentée et au cœur de l’économie réelle, mérite mieux que d’être un enjeu électoral.
2 - La fusion UPA et UNPL, ou trancher le nœud gordien version tactique d’appareil.
C’est le choix des organisations patronales les plus importantes du monde des TPE qui viennent subrepticement de fusionner à la barbe de la CGPME et du Medef. C’était le 2 novembre. Une brève dans liaisons sociales et deux ou trois articles de presse. Cela n’intéresse personne. Menée très discrètement cette fusion a été découverte à posteriori par le MEDEF et la CGPME. Gattaz avec son franc parler habituel a avoué avoir découvert la chose par la presse. L’Union Professionnelle des Artisans et l’Union Nationale des Professions Libérales représentent pourtant 3,3 millions des 4,6 millions salariés des TPE. Depuis 2001 l’UPA mène une stratégie très claire de reconnaissance de la négociation locale dans le monde atomisé des TPE. La CGPME a mené 10 ans de combat judiciaire contre elle pour l’empêcher de prélever un tantième sur les salaires versés par ses adhérents pour financer cette représentation. Sa stratégie est fondamentalement différente de la CGPME : elle reconnaît le nécessaire dialogue local interprofessionnel et de branche pour contenir une demande intra entreprise de représentation organisée. La CGPME de son coté cherche surtout à détenir des rôles d’influence dans les chambres de métiers ; c’est son choix. UPA et UNPL sont des organisations qui poursuivent des objectifs de structuration concertée de leur business pour être partout présentes dans les négociations. Chasser en meute pour être plus fort. Quand on associe les géomètres, les bureaux de vérification, les architectes, ex UNPL de la nouvelle U2P (nouvelle dénomination des organisations fusionnées) et la représentation de la Capeb de l’ex UPA on a la plus grosse représentation d’entreprises du BTP. La représentation de la CGPME dans le BTP via le Conseil de l’Artisanat à la FFB (fédération française du bâtiment) tenait sa force de son lien aux grands groupes du bâtiment. Le rapport de force est bousculé, la CGPME, en difficulté financière récurrente, perd un atout important. Son identité par rapport au MEDEF devient de moins en moins claire. On marche tranquillement vers une simplification des organisations patronales au rythme de la déconcentration du dialogue social. C’est bon pour la gestion territoriale, l’emploi, l’innovation RH et le dialogue social.
3 - Que faire du CESE ? ou trancher le nœud gordien version changement de paradigme.
Dans le grand chamboulement des institutions nécessaire à une démocratie d’action le rôle et la vocation du CESE (conseil économique social et environnemental) revient régulièrement depuis 1969. La vraie question n’est pas celle de ses 233 membres. Sous cet angle c’est un coup de menton électoral. La question est celle de l’articulation de la démocratie d’élection nationale ou régionale et la prise en compte d’une diversité de points de vue dans l’action des élus. Le principe majoritaire de l’élection diminue ou efface cette diversité des points de vue. Elle a besoin de s’exprimer entre les élections pour donner le sentiment à chacun qu’il est entendu. C’est une demande existentielle et non institutionnelle. Au niveau des régions ce sont 2251 membres des CESER désignés par les préfets dans une alchimie complexe qui sont consultés obligatoirement en particulier par les Conseils Régionaux. Au rythme de 1 à 4 réunions par mois les conseillers bénéficient d’une rémunération égale à la moitié de celle des élus régionaux. L’enjeu n’est pourtant pas financier. Comment les membres de ces institutions désignés par le préfet à partir de listes constituées par des institutions multiples économiques, sociales, environnementales, syndicales peuvent - ils donner au citoyen le sentiment de porter leurs attentes profondes et diffuses pour éclairer les élus ? A l’heure des réseaux sociaux n’avons nous pas intérêt à réfléchir sérieusement à une novation ? Celle de NKM a au moins l’avantage de poser le problème : remplacer le CESE par une chambre numérique des citoyens. Ce n’est pas très clair à ce stade mais on sent bien la nécessité d’aller dans ce sens aussi bien au niveau régional que national (pour le Sénat). Remplacer des personnes désignées pour représenter un angle de vue par un mécanisme d’expression plus direct contrôlé par un processus. Faire forum sur la base d’un appel à projet via les technologies. L’idée mérite d’être creusée. Ce serait reconnaître que par leur mode de désignation actuel les listes de désignés représentent surtout les arrangements des institutions qui les ont placés dessus. Le dispositif n’est plus un amortisseur des émotions de la foule, c’est un scaphandre de plomb ! L’expression serait libre et imprévisible. Si elle peut se faire dans un cadre structuré et conforme à la vocation de l’expression via la technologie, ce serait juste prolonger des expériences de communes au niveau régional.
Voilà donc trois petits « détails » issus de l’actualité :
- Le premier montre que ceux qui résistent parce qu’ils observent leur incapacité à renouveler leur discours qui n’est plus reçu, ceux-là affichent que les choses vont dans le bon sens.
- Le second indique qu’au niveau patronal s’organise une représentation de nature à traiter concrètement des situations locales dans le dialogue social, loin des lobbies patronaux, plus préoccupés de politique nationale, et c’est aussi rassurant.
- Le troisième enfin, que dans le grand happening traditionnel des présidentielles françaises il serait bien que les électeurs s’interrogent et se forment par eux mêmes à cette question de fond riche en potentiel d’économies, en création de valeur, en prise en compte de la diversité que peut représenter le lien entre les technologies, la préparation et le suivi des décisions des élus par la collectivité.
Il est à parier que ces sujets seront au cœur des élections prochaines. Il est aussi à craindre qu’ils le soient sous une forme réductionniste si le citoyen que nous sommes ne réinvestit pas le sujet par lui même.
[1] Selon le site expressio.fr par l’outil reverso … si on veut bien lui faire confiance.
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