Le manager d’aujourd’hui : pathogène ou préventeur ?

Tout le monde en rêve.

D’être un bon manager ou d’avoir un bon manager, selon les cas.

Et pourtant, il semblerait que le manager idéal reste encore une denrée rare de nos jours…

Est-ce à dire qu’on en demande toujours plus aux managers ? Aujourd’hui encore plus qu’hier ? Peut-être.

Cela revient à questionner les fondamentaux du management et ce qu’on attend, au fond, d’un manager. Il est – et ce n’est pas un scoop ! - garant de la motivation, de la dynamique, de la cohésion et de la synergie des équipes. Pas nouvelle non plus, cette capacité à faire partager sa vision, à faire adhérer à la stratégie de l’entreprise…

Mais tout professionnel digne de ce nom, ayant déjà eu un manager, réclame à cor et à cri de sa hiérarchie bien d’autres qualités encore et notamment d’être à l’écoute.

Cette écoute, comme tout ce qui est rare, est précieuse. Vous connaissez la formule… « L’homme a été pourvu de deux oreilles et d’une seule bouche, c’est dire qu’il devrait écouter deux fois plus qu’il ne parle ! » C’est vrai que dans bien des situations, il est plus aisé de s’exprimer que d’écouter, d’écouter vraiment l’Autre.

Et l’écoute, quand elle est associée à la bienveillance, est le premier atout d’un manager en matière de prévention des risques psychosociaux.

L’entreprise attend en effet de plus en plus du manager d’aujourd’hui d’être un préventeur en matière de RPS, autrement dit qu’il ne veille plus seulement à développer la production et les résultats, ni même uniquement à s’illustrer par l’efficacité de son leadership mais également de veiller à éviter toute détérioration de l’état de santé physique ou psychique des collaborateurs.

Or, étrangement, bien qu’on évalue désormais les managers aussi sur cette dernière compétence, peu d’entre eux sont formés en ce sens ! Je rencontre régulièrement encore des managers qui le sont devenus « sur le tas », qui n’ont jamais eu de formation en management, qui ont été nommés ainsi par leur expertise et non pour leur capacité à gérer humainement des femmes et des hommes. Alors vous imaginez… être formé à l’écoute ou à la détection des signaux faibles ! On en est à des années lumières !

On leur parle de bien-être des salariés, on leur vend les bienfaits de la Qualité de Vie au Travail, on leur assène à grands renforts de beaux discours que des collaborateurs épanouis et évoluant dans une atmosphère de travail conviviale sont plus productifs –ce qui est vrai ! - mais leur donne-t-on les moyens pour concilier tout cela ? Rien n’est moins sûr.

Allons plus loin. L’entreprise les place souvent dans cette injonction paradoxale qui exige d’eux à la fois la protection des équipes et simultanément des objectifs plus ambitieux et des résultats attendus parfois à la limite du possible.

Beaucoup de managers ont du mal à trouver le juste équilibre. Qui le pourrait ? Prisonniers dans cet étau, écrasés par cette double demande, ils ne font pas toujours la part des choses et c’est souvent, malgré tout, l’atteinte des résultats qui prend le dessus sur le bien-être des collaborateurs.

Par manque de formation, du fait d’une personnalité pas toujours adaptée au management ou parce qu’ils ont du mal à résister eux-mêmes à la pression qui leur vient d’en haut, nombre d’entre eux deviennent, par leur comportement et leurs actions, nocifs pour les équipes. Concurrence, mondialisation, chômage… tout semble contribuer à développer dans l’entreprise une épidémie de managers pathogènes…

Ces comportements se manifestent souvent par des abus des liens de subordination, une désinformation et une déresponsabilisation des salariés qu’ils ont sous leur aile. À ces abus s’ajoute une tendance à surutiliser les règles disciplinaires et le contrôle. Enfin, pour couronner le tout, une propension à abuser également des choix organisationnels et des changements sans s’assurer qu’ils soient bien perçus ou bien compris des équipes.

Or, les collaborateurs évoluent. On ne se comporte pas aujourd’hui dans l’entreprise comme hier. Les nouvelles générations, notamment la génération dite Y, contribuent largement à cette métamorphose du collaborateur dans ses attentes. Au cœur des préoccupations des jeunes salariés aujourd’hui se trouve le sens. Autrefois, on disait « fais » et le collaborateur faisait. Il ne savait pas souvent quelle était la finalité mais il n’était pas question de mettre en cause l’ordre venant d’en haut, ni même de le questionner. Aujourd’hui, un jeune collaborateur à qui on ne répond pas à ses questions (souvenons-nous que Y dans sa prononciation anglo-saxonne signifie « Why ») n’hésitera pas une seconde à aller voir ailleurs !

Il n’en va pas de même pour les collaborateurs d’autres générations, qui, craignant pour leur emploi, vont trop souvent subir les méfaits d’un manager pathogène. Combien de personnes évoquent des problèmes de compréhension émanant de leur hiérarchie ? Combien sont-elles à dire qu’elle leur mène la vie dure ? Combien ne disent rien et viennent compléter la longue liste des personnes en situation d’épuisement professionnel, de burnout ? Quand ce n’est pas pire encore…

Joli paradoxe !

L’entreprise attend du manager de ne plus être uniquement fixé sur les résultats et sur les chiffres et produit des professionnels qui gangrènent eux-mêmes l’entreprise de l’intérieur.

Être préventeur, ce serait déjà apprendre à ne pas diffuser son propre stress, à éponger la pression qui vient d’en haut sans la partager avec les autres strates hiérarchiques, à être à l’écoute des difficultés des collaborateurs, impliquer davantage ces derniers dans les décisions et tenir compte de ce qu’ils vivent sur le terrain pour adapter la stratégie de l’entreprise en fonction de la réalité. Tout cela semble bien idyllique par rapport à ce qu’on voit autour de nous. Non ?

Pour assurer aux collaborateurs et aux collaboratrices des entreprises davantage de sérénité, il serait judicieux de se centrer aujourd’hui en matière de RPS sur la prévention primaire. Pendant longtemps on s’est contenté de soigner les blessures (prévention tertiaire) avant de stigmatiser l’incapacité de l’individu à faire face au stress que lui impose tout naturellement le monde du travail en lui offrant des formations pour mieux gérer ce stress (prévention secondaire).

Il est temps, aujourd’hui, plus que jamais, pour l’entreprise de concentrer tous ses efforts sur sa propre réorganisation, sur ses modes de fonctionnement, sur son modèle managérial et par voie de conséquence sur la limitation des risques à la source. (prévention primaire).

Doit-on encore et toujours lui rappeler (à l’entreprise) qu’elle a le devoir légal de veiller à la santé physique et mentale de ses salariés ? Doit-on lui redire que la loi prévoit une obligation de résultats en ce sens ?

En attendant que ces paramètres évoluent en haut-lieu, les managers ne doivent pas pour autant s’exonérer de leur devoir d’attention vis-à-vis des collaborateurs. À défaut de moyens suffisants octroyés, ils devront composer et faire avec « les moyens du bord ». Bienveillance et écoute, mais aussi reconnaissance seront les outils à développer et à appliquer au quotidien sans modération pour permettre aux collaborateurs de se sentir au minimum soutenus quelles que soient les difficultés rencontrées.

Si rien n’est fait en amont au sein des directions d’entreprise, que les managers ne sont pas mieux formés, et qu’ils n’ont pas non plus spontanément l’instinct de protection de leurs équipes rien d’étonnant alors, qu’au fil du temps, de préventeurs espérés, ils basculement vite et tristement en « prévent-tueurs ».

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