L’appellation « RH Business Partner » s’est largement répandue depuis une bonne dizaine d’années, notamment dans les grands groupes, pour qualifier les généralistes RH en charge du suivi d’une population. Ce nouveau label traduit plusieurs évolutions. Les responsabilités de la fonction RH sont réparties en deux pôles distincts : d’une part les fameux business partners en charge de leur dimension opérationnelle, de l’autre des services support mutualisés, « centres de services partagés », porteurs des expertises techniques sur chacun des processus RH. Le RH business partner est le plus souvent rattaché hiérarchiquement au dirigeant opérationnel de l’entité dont il assure le suivi RH.
Dans les entreprises où elle a été mise en place, cette nouvelle organisation répondait à une préoccupation : débureaucratiser les pratiques RH. La période précédente avait été marquée par un renforcement du professionnalisme et de la technicité de la fonction RH, dans chacun de ses processus. Ce développement de l’expertise était alors indispensable. Rappelons-nous des méthodes ésotériques encore utilisées par certains à l’époque en recrutement, des « démarches catalogue » généralisées en formation, des tâtonnements et des risques pris par rapport à la législation sociale. Développer le niveau d’expertise dans chacune des fonctionnalités RH répondait à un véritable besoin pour l’entreprise. Mais cette évolution avait conduit à une dérive : faire de la technique la finalité même de l’intervention des responsables RH. C’est bien en réaction à une fonction RH dont la source de légitimité se limitait à des expertises déconnectées des enjeux de l’entreprise qu’a émergé cette notion de RH Business Partner.
Il est essentiel de garder à l’esprit cette volonté initiale de repositionner les techniques RH comme des moyens au service de la vraie vie de l’entreprise, et non plus comme une fin en soi.
Le terme de « business partner » appliqué à la fonction RH a dès son apparition fait l’objet d’une critique venant de la fonction RH elle-même : « Nous ne sommes pas des business partners, mais des business players ! Le responsable RH n’a pas à être à côté du business, mais dedans. » Peut-être la question se pose-t-elle ainsi dans quelques entreprises déjà très en pointe dans l’articulation entre business et ressources humaines. Mais au vu de la pratique effective dans la plupart des entreprises, cette querelle relevait sans doute plus de notre propension française à disséquer les mots qu’à un enjeu réel sur les pratiques.
La critique forte qui a émergé dans la dernière période sur ce positionnement du responsable RH en tant que « Business Partner » est à mon sens plus pertinente. Elle est portée aussi bien par des DRH de grands groupes que par des acteurs influents comme « Entreprise & Personnel ».
Cette notion est aujourd’hui remise en cause car ayant conduit dans certaines organisations à un alignement de la fonction RH sur les besoins opérationnels court terme. La fonction RH ne serait plus centrée que sur les besoins immédiats, sans projet autre que de répondre aux demandes ponctuelles, allant même parfois jusqu’à oublier les règles éthiques dont elle est porteuse par essence. Une fonction inféodée, ayant renié son âme. « Le DRH business partner est devenu un rouage de la politique, en passant du statut “ d’utile ” (la fonction support par excellence) au statut nouveau “ d’utilisé. ”» écrivait Izzy Béhar, rédacteur en chef de la revue Personnel dans un numéro récent dédié au sujet.
Ce qui est ici questionné, c’est notamment la posture de la fonction RH vis-à-vis des responsables opérationnels. Initialement, le praticien RH avait hérité dans de nombreuses entreprises d’une posture de gardien des règles, du fait de l’histoire. Pensons aux premiers directeurs du personnel, anciens militaires en charge du respect de la discipline. Les règles sociales étaient imposées sans être expliquées. L’opérationnel était considéré comme incompétent sur les questions RH, le responsable RH étant le « sachant », dans la « posture du gendarme » qui siffle les fautes et les sanctionne.
La mise en cause du positionnement du praticien RH en tant que business partner renvoie à la dérive contraire, celle de la subordination. Le responsable RH serait au service de l’opérationnel, quelle que soit la demande de celui-ci et sans le moindre recul. En lui étant inféodé, il n’apporterait plus de valeur ajoutée, puisqu’il se centrerait sur l’exécution et sur le court terme, dans la « posture du valet » qui exécute.
Certes, aucun praticien RH ne peut se satisfaire d’un tel positionnement. Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et revenir aux logiques anciennes ? Faut-il cautionner les pratiques existant encore dans certaines entreprises, dans lesquelles la déconnexion entre la fonction RH et les logiques opérationnelles est restée forte ?
Lorsque la fonction RH est centrée sur sa technicité, elle est déconnectée des enjeux réels et crée peu de valeur. Lorsqu’elle est inféodée aux logiques opérationnelles, elle n’apporte aucune valeur ajoutée non plus. Or la fonction RH comme toute autre fonction doit avoir pour finalité de créer de la valeur et d’impacter les résultats de l’entreprise, idéalement dans la durée. Pour cela, quelle doit être sa posture ?
L’activité et le positionnement de la fonction RH doivent répondre à deux déterminants, tout aussi importants l’un que l’autre et qu’il faut croiser : tout d’abord une grille de lecture constituée par le projet ressources humaines de l’entreprise, articulé avec sa stratégie. C’est cette grille qui donne du sens à l’action de la fonction RH. C’est elle qui justifie sa temporalité et lui permet d’être garante du moyen et long terme. C’est ce déterminant qui lui interdit d’être vis-à-vis des opérationnels dans une posture d’inféodation. C’est ce qui lui permet de ne pas obtempérer quand la demande du manager est en contradiction avec ce projet. C’est aussi ce qui lui permet de travailler le moyen et le long terme tout en répondant aux besoins immédiats.
Second déterminant : la fonction RH doit aussi être ancrée dans les réalités opérationnelles, dans ce qui est réellement vécu par les collaborateurs et les managers, sur le terrain, dans ce qu’il faudra impacter via la politique RH.
N’être que sur le premier déterminant, comme le responsable RH technicien, c’est prendre le risque de n’aborder le monde réel qu’à travers les outils et la technique. N’être que sur le second, comme certains RH Business partners, c’est renoncer à toute ambition. Dans les deux cas, la fonction RH ne crée pas de valeur.
Articuler ces deux déterminants suppose donc un projet ressources humaines formalisé à partir de la stratégie de l’entreprise et partagé, une organisation RH qui combine présence terrain et animation forte sur du contenu, et enfin un travail sur les postures de la fonction RH au quotidien.
En étant garant d’un projet RH à caractère stratégique mais aussi ancré dans les réalités opérationnelles, le responsable RH invente une nouvelle posture vis-à-vis du responsable opérationnel. Il l’accompagne et lui apporte ses services en orientant son activité pour
qu’elle soit cohérente avec le projet RH et contribue à sa réalisation. Il est plus dans une posture de coach, qui va aider le responsable opérationnel à grandir dans la compréhension et l’intégration dans son activité de la politique RH articulée avec la stratégie.
D’autant que tirer sa légitimité de la valeur créée permet à la fonction RH de sortir des logiques de territoire et de pouvoir qui marquent les deux postures déjà décrites du gendarme et du valet. La différence dans la nature des contributions respectives du responsable opérationnel et du responsable RH à cette création de valeur ne conduit plus à ce qu’ils se positionnent en priorité l’un par rapport à l’autre, dans une relation de pouvoir. Mais à ce qu’ils se positionnent ensemble par rapport à cet enjeu commun qu’est la création de valeur, qui sera matérialisée par ce troisième acteur qu’est le client final.
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